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17 octobre 1961 : 38 ème anniversaire de la répression sanglante de la manifestation des Algériens à Paris pour l’indépendance de l’Algérie. Des crimes collectifs et racistes commis par l’Etat français !

lundi 9 novembre 2009, par Alger républicain

Alors qu’il n’a été dénombré aucun blessé sérieux parmi les forces de police, les documents et témoignages font état d’un nombre impressionnant de morts. Les chiffres les plus couramment avancés par les spécialistes varient de 200 ? 300 morts, dont un nombre important de noyés dans la Seine. Dans les archives, il a été relevé la mention cynique et sinistre de « NPB » pour dire noyé par balle ! Près de la moitié des manifestants ont été arrêtés : environ 15.000 sur 30.000. Les blessés se comptaient par centaines. La hargne policière s’est d’ailleurs poursuivie après la journée du 17 octobre d’après les dates de quelques plaintes déposées chez des avocats. Les Algériens arrêtés ont été parqués dans des centres de regroupement de Paris, notamment au sein de la Préfecture, au Vel d’Hiv - 20 ans à peine après le 17 juillet 1944 ! -, au centre de Vincennes et au stade Pierre de Coubertin, pour subir des ratonnades. Nombre d’entre eux ont été expulsés vers l’Algérie sous administration militaire.

Le pouvoir français a donc concrètement investi la police de moyens de guerre, et non pas seulement de moyens pour le maintien de « l’ordre public ». Son but premier : empêcher la remise en cause de l’ordre colonial régnant.

Car, en ce mois d’octobre 1961, le gouvernement français était sur la sellette : le FLN (Front de Libération Nationale) avait réussi à internationaliser la « question algérienne » en l’inscrivant à l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’ONU, comme problème de décolonisation. En 1961, la situation politique était pratiquement perdue pour la France et gagnée pour l’indépendance de l’Algérie. Des négociations, encore secrètes, étaient d’ailleurs largement entamées entre le FLN et le gouvernement français. La plupart des historiens s’accordent aujourd’hui pour dire, qu’en 1961, les opérations militaires visaient principalement à encadrer les incontournables négociations, c’est-à-dire obtenir le maximum de ce qui reste à négocier pour les représentants du capitalisme français : pétrole, bases militaires (pour les expériences atomiques), bases économiques. C’est d’ailleurs une des raisons de l’extrême violence de la fin de l’occupation.

Il n’y a donc pas eu affrontement entre des forces de « l’ordre », dont l’action de répression aurait relevé de la loi, et les manifestants supposés manipulés par une organisation terroriste, le FLN, lequel FLN était pratiquement reconnu puisqu’en négociation avec l’État français.

Il y a mensonge d’État.

Toutes les actions, enquêtes et déclarations officielles relatives au 17 octobre 1961 ont visé à dédouaner les responsables de la police et du gouvernement. Jusqu’à aujourd’hui, seule la version de la police a été rendue publique. Elle a reçu de fait un statut de vérité officielle en l’absence de toute vraie enquête menée avec les moyens de l’Etat. Pourtant, des faits troublants et graves ne sont pas éclaircis :
le rapport de M. Papon, adressé au gouvernement le lendemain du 17 octobre 1961, n’aurait pas été retrouvé !

Les archives de la brigade fluviale de la Seine ainsi qu’une partie des archives de la préfecture de police ont disparu sans qu’aucune enquête ne soit déclenchée !
il n’y a pas eu de suite au témoignage de policiers, auprès de Claude Bourdet conseiller de Paris, témoins de l’exécution de plusieurs manifestants dans l’enceinte même de la préfecture de police !

des corps ont disparu de l’institut médico-légal, à jamais, comme pour effacer la preuve matérielle du massacre lui-même !

Cette « vérité » ne tenait plus la route, tout comme la qualification de la guerre d’Algérie « d’évènements » qui a trop bien servi pour cacher l’agression coloniale et faire croire à une simple question d’ordre public. C’est pourquoi en 1998, sous différentes pressions, dont les luttes des démocrates, le gouvernement a commandé un rapport sur le 17 octobre 1961. Cette nouvelle « vérité » officielle n’a été qu’une version remaniée de la police puisqu’elle a été rédigée par le conseiller d’État Mandelkern Dieudonné qui n’était autre que le président de la commission des interceptions de sécurité : « Errachem H’mida wa ellaâb H’mida » !

Le mensonge comme le silence des officiels sont d’autant plus condamnables que dans le même temps la parole a été accordée aux tortionnaires comme le général tortionnaire Ausarrès qui a reconnu publiquement avoir abattu des dizaines d’Algériens sans défense. L’indignation des officiels est feinte. Plus est encore, le chef de l’Etat (Chirac à l’époque) est intervenu pour dire que l’honneur de l’armée était sauf ! Le gouvernement socialiste d’alors, dans un souci de contenir le radicalisme identitaire des banlieues - généré par la recherche de références collectives, mais aussi en écho de solidarité avec la lutte du peuple palestinien - accepta de s’associer à certaines activités commémoratives et décida la pose d’une plaque commémorative sur le pont Saint-Michel de la capitale. Simultanément, son Premier ministre tenta de clore le débat sur les responsabilités en confiant aux seuls spécialistes historiens la question de la justice et de la mémoire de ces crimes.

Jusqu’à aujourd’hui, ce massacre n’a ni responsables ni coupables : encore orphelin !

Il est injuste que des crimes restent impunis !

Il importe de bien noter que le problème de la qualification de ces crimes est avant tout un problème politique et pas seulement juridique ou technique. Même si le terrain judiciaire laisse de nombreuses possibilités pour l’action collective et individuelle des démocrates.

Ce sont des crimes collectifs et à caractère raciste. Ils ont été perpétrés contre une partie bien ciblée des citoyens français : les Algériens vivant en France, légalement français à l’époque, dénommés d’ailleurs Français Musulmans d’Algérie (FMA), qui ne pouvaient être donc repérés par les forces de police que sur la base de marqueurs physiques et culturels (langue, habits, …).

Ce sont des crimes de classe puisque la majorité des victimes étaient des ouvriers. Nombre d’entre eux vivaient dans des bidonvilles en région parisienne.

La paternité de ces crimes est étatique. Les crimes ont été le fait de forces gouvernementales, donc officielles et identifiables. Cela ne soulève aucun doute.
Ce ne sont pas seulement des crimes de guerre. Ils sont qualifiables de crimes contre l’humanité, donc imprescriptibles comme le reconnaît la loi française de 1964. Cette qualification (de crimes contre l’humanité) procède de deux faits :

 d’abord, les actes de répression étaient dirigés contre des civils et pas seulement contre des groupes armés (sous-entendu par le FLN),

 ensuite, la nature même de ces actes consistait en rafles, exécutions, noyades, disparitions, arrestations, ratonnades, …
L’imprescriptibilité est consignée dans le droit français depuis 1964, avec référence aux résolutions de l’ONU de 1946 et à la charte du tribunal militaire international de Nuremberg d’août 1945. Par ailleurs, la France est signataire de la « convention internationale de New York de 1984 contre la torture ». Cette convention invite les Etats signataires à poursuivre tout responsable de tels actes, dont la torture qui est expressément qualifiée dans le texte, quelle que soit sa nationalité, dès lors qu’il se trouve sur son territoire. Comme celle de Genève de 1948, relative aux crimes de guerre, elle est à « compétence universelle » : n’importe quel pays peut enclencher le mécanisme. Ainsi, l’arsenal juridique existant est suffisamment riche pour prendre en charge et élucider ces crimes. Mais les deux Etats concernés au premier chef, l’Algérie et la France, ne font qu’invoquer des arguties juridiques. Un bon prétexte pour faire oublier la disqualification politique et morale des milieux dirigeants actuels de ces deux pays.

Il est vrai que l’action judiciaire a des limites : la justice n’est pas l’histoire. Le jugement ne sera réparateur que s’il est rendu en termes politiques. Il consiste ? condamner un régime, celui de la colonisation, et à réhabiliter les gens qui ont lutté pour des droits justes ! Car il faut bien réaliser que :

Ces massacres sont dans la continuité de tous ceux commis pendant la colonisation. Le but et la logique sont les mêmes, à savoir la domination d’un peuple par la force.

La responsabilité de ces actes n’est pas seulement celle d’une personne, Maurice Papon, Préfet de police à Paris. Elle est surtout celle des personnes et des forces politiques qui siégeaient dans les centres de décision : ministres, députés et responsables politiques. Il faut rappeler d’ailleurs que, après octobre 1961, Maurice Papon a été un membre influent de l’UDR et du RPR et ministre du budget sous la présidence de Giscard d’Estaing. Il a aussi occupé le poste de PDG de Sud Aviation.

L’écriture de l’Histoire : une affaire démocratique et révolutionnaire

Le 17 octobre 1961 doit réintégrer la mémoire collective ! En Algérie, comme en France, comme l’ont été les persécutions sous le régime de Vichy, les « fusillés pour l’exemple de 1917 ».

Ce refus de la dimension algérienne de l’histoire de France est un déni de soi. C’est une attitude raciste qui aboutit à exclure de l’histoire nationale de France des millions de jeunes français et algériens vivant en France.

Les institutions scolaire et universitaire peuvent jouer un rôle de premier plan dans la ré-appropriation de cette mémoire collective en intégrant l’histoire de ces agressions coloniales dans les manuels scolaires. Pour ces jeunes qui fréquentent les cours d’histoire dans les écoles, collèges et lycées de France, l’Histoire enseignée est souvent une histoire familiale. C’est précisément celle de leurs parents, encore vivants pour certains. C’est donc un viol permanent de leurs mémoires et consciences qu’ils subissent en constatant cette amnésie ou encore ces mensonges ! L’enseignement de l’histoire doit aider les générations présentes et futures à percevoir la nature criminelle de tels actes, et être à même de reconnaître la frontière entre le légal, le légitime et ce qui ne l’est pas. Ils doivent apprendre que les généraux et les politiques qui s’y sont associés, en se vautrant dans le sang, et dont de nombreux sites et rues portent leurs noms, se sont couverts, non pas de gloire mais de honte ! Si les crimes coloniaux restent impunis, le sentiment qui dominera sera que, la justice n’ayant pu exister pour le passé, ne peut triompher ni dans le présent, ni dans le futur.

De même, les archives nationales (officielles) peuvent livrer une partie de l’histoire dans la mesure où elles relatent ce qui a été commis au nom du peuple. Elles sont aussi la propriété des citoyens contribuables. Leur accès doit devenir libre et ne pas être réservé aux chercheurs.

Il importe également de comprendre pourquoi tant d’yeux fermés restèrent fermés ce jour là ? Partis, Syndicats, Eglise, Journaux, Police, tous n’étaient pas aux ordres ! Ces Algériens avaient aussi des camarades de travail, y compris parmi les chauffeurs RATP réquisitionnés pour le transport des manifestants arrêtés. La quasi-absence de réaction officielle et immédiate de la gauche, y compris du Parti Communiste Français, reste à élucider. L’autocritique ne pourra être que salvatrice.

Du côté Algérien, il est temps de se départir de cette vision erronée de la guerre d’indépendance qui consiste à sur-valoriser l’héroïsme militaire. Sans minimiser la valeur des faits d’armes et leur impact sur la mobilisation populaire, il reste que le renversement du rapport des forces en faveur de l’indépendance, aux niveaux national et international, a été acquis quand les masses populaires algériennes se sont fortement mobilisées comme dans les manifestations mai 1945, de décembre 1960 en Algérie et … d’octobre 1961 en France.
Il y a aussi à corriger cette idée dominante que le rôle de l’émigration s’est cantonné au soutien financier à la lutte armée. La contribution des travailleurs algériens immigrés est éminemment politique : formation et mobilisation dans les syndicats et partis progressistes.

Mais il ne faut pas perdre de vue que, bien souvent, l’histoire officielle, comme celle dite des milieux autorisés, est surtout celle de l’élite, c’est-à-dire celle des classes dominantes. Elle est pensée, écrite et propagée pour servir des projets de classe.
De même, les archives ne sont pas toute l’histoire, ni la seule histoire. Car elles ont tendance à s’identifier à la version du pouvoir, des vainqueurs quand il s’agit de conflits et de guerre. L’archive sert avant tout son commanditaire ou son rédacteur. Le risque de falsification de la réalité est donc réel : les archives ne contiendront rien de désobligeant vis à vis des assassins et tortionnaires, ni des serviteurs de la colonisation.
En somme, si les faits évènementiels, une fois authentifiés, sont nécessaires, ils ne génèrent pas par eux-mêmes une intelligence du passé. L’appréciation correcte d’un événement, c’est-à-dire la vérité historique, est plus dans le mouvement d’ensemble des luttes qui le portent.

Les opprimés doivent arracher le droit d’écrire leurs archives

Il y a autant, sinon plus à apprendre des plaintes des victimes que des remords des tortionnaires ! Le témoignage des victimes est irremplaçable. Il est même indispensable. La vérité peut être reconstruite de façon démocratique si, au-delà des spécialistes, de larges secteurs de la population et, en particulier, les victimes sont associées à l’écriture de l’histoire et l’étude du passé. Des moyens d’Etat doivent être engagés pour organiser leur collecte des témoignages comme ce fut le cas pour le massacre des Juifs par les nazis (plus de 50.000 témoins ont été entendus) ou encore pour Octobre 1944 (lorsque le gouvernement provisoire de l’époque lança une enquête sur les « années noires » et collecta 3.500 témoignages auprès de résistants, déportés, prisonniers de guerre). Il est à rappeler que le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, Le Maîtron (plus de 110.000 personnes), qui existe depuis 1955, repose sur la collecte des témoignages.

Il ne s’agit pas de cultiver l’esprit de revanche, mais, se souvenir, c’est empêcher que l’horreur ne se banalise et ne se répète.
Il s’agit, plus fondamentalement, de construire, à partir de l’étude du passé, les outils et moyens pour penser et agir de façon indépendante de l’idéologie colonialiste et capitaliste.

Citation de Kateb Yacine :

Il faut que notre sang s’allume
 
Et que nous prenions feu
 
Pour que s’émeuvent les spectateurs
 
Et pour que le monde ouvre enfin les yeux
 
Non pas sur les dépouilles
 
Mais sur les plaies des vivants

Dont la préfecture de police était dirigée d’une main de fer par un certain … Maurice Papon qui était ainsi récompensé pour ses services de Préfet tortionnaire à … Constantine (3ème ville de l’Algérie en guerre d’indépendance).

Selon Olivier La Cour Grandmaison, président de l’association « 17 octobre 1961, contre l’oubli », Constantin Melnik, ancien responsable des services secrets français l’aurait confirmé dans un documentaire.
Selon certaines évaluations, considérées comme pondérées par rapport aux sources officielles algériennes : un tiers de la population qui a fui (plus de 2 millions de déplacés, 1 million de réfugiés en Tunisie et au Maroc). Avec les morts et les blessés, c’est près de la moitié de la population qui a été directement victime de ces « évènements d’Algérie ».
Les délits et crimes liés à la guerre d’Algérie, pour l’essentiel, ont été amnistiés dès la signature des accords d’Evian, en mars 1962. Deux décrets : l’un amnistiant les faits et l’autre amnistiant les personnes ! Selon les spécialistes, aucune autre période de l’histoire de France n’a fait l’objet d’une mesure aussi rapide et radicale !
En outre, selon la loi française, les actes de torture sont prescrits après un délai de 10 ans.
En décembre 1982, Mitterrand et Mauroy ont promulgué une nouvelle loi d’amnistie qui rétablit dans leurs droits les anciens chefs de l’OAS ! Peut-être en guise de remerciements pour des bulletins de vote bien choisis ?
Ainsi un tortionnaire a la possibilité de faire condamner en diffamation une victime !
Souvent, comme à l’occasion du procès Papon, il a été objecté par certains « experts » juridiques que l’imprescriptibilité n’a été introduite dans le code pénal qu’en 1994, et que, pour la période d’avant, les juridictions nationales ne sont reconnues compétentes que pour les crimes commis pendant la 2ème guerre mondiale (arrêt de la cour de cassation du 01.04.1993).

Pour mémoire, deux jours seulement après les massacres du 17 octobre 1961, en réponse à une question de membres du conseil municipal de Paris, Maurice Papon fait adopter par la droite et les centristes une motion rendant hommage à la police. Le groupe du PS s’est abstenu !
Ainsi que bien d’autres évènements comme les massacres en Algérie du 8 mai 1945 (45.000 morts), la manifestation du 9 mars 1956 contre les pouvoirs spéciaux autorisant l’envoi d’appelés à combattre en Algérie, la manifestation du 14 juillet 1953 célébrant la Révolution Française à l’appel commun de la CGT et de nationalistes algériens (6 morts et plusieurs blessés).

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Kamel BADAOUI
Octobre 2009