19 Mars 1962, Des enseignements pour aujourd’hui.

samedi 16 mars 2013

Pour nos petits-enfants, le temps écoulé depuis la fin de la guerre d’Algérie représente le double ou le triple de leur âge. De l’histoire ancienne. Et pourtant…

Le 19 mars 1962 mettait fin à 132 ans de domination coloniale par la France et
à près de huit années d’une guerre sanglante et cruelle. Interrogeons-nous. Pourquoi après l’indépendance, la majorité du Parlement français refusa-t-elle pendant trente-sept ans, le terme de « guerre » qui ne sera admis que le 18 octobre 1999 ? Pourquoi pendant cinquante ans, les autorités françaises, socialistes comme de droite, refusèrent-elles de célébrer le 19 mars date officielle de la fin des combats ? Ce n’est que le 6 décembre dernier que le Parlement français a décidé, à la majorité, que le 19 mars serait désormais « journée du souvenir et du recueillement »

Reconnaître que la guerre d’Algérie était une guerre et non « une opération du maintien de l’ordre » et célébrer le 19 mars 1962, c’est enfin admettre que l’Algérie n’était pas la France et que l’indépendance est un fait acquis. Refuser cette double reconnaissance, au-delà du Front National et de l’extrême droite qui en ont fait un de leurs chevaux de bataille, est révélateur des arrière-pensées de la droite et aussi d’une partie de la gauche. Pour se justifier ils prétendent que les combats ont continué après le 19 mars.

Ce qui a continué, ce n’est pas la guerre avec le FLN, ce sont les attentats et les meurtres perpétrés par l’OAS, le bras armé des partisans de « l’Algérie française » ; quant aux supplétifs, c’est l’armée française qui les a recrutés qui est responsable de leur sort tragique. Mais, me direz-vous, pourquoi évoquer encore aujourd’hui, des débats qui concernent des faits vieux de cinquante ans ? La page est désormais tournée. Il n’en est malheureusement rien, comme l’ont démontré les furieux qui, accompagnés de Collard, de Fournier, de Lachaud, des activistes et élus du FN et des partis de droite, avaient mis notre colloque d’historiens en état de siège à Nîmes en mars 2012, car ils rêvent de faire revenir en arrière la roue de l’histoire. Un combat d’arrière-garde ? Des rancœurs de has-been ? Voire.

La situation mondiale de 2013, n’est certes plus celle des années cinquante. Les rapports des forces entre États ont évolué. Les anciennes puissances coloniales, Allemagne, Angleterre, États-Unis, France, etc, ont depuis vu leur poids relatif, économique, militaire, démographique, diminuer, alors que d’anciens pays colonisés grandissaient sur la scène internationale. Ainsi les États-Unis n’ont pas réussi contre Chavez, ce qu’ils avaient réussi contre Allende. Mais ces anciennes puissances coloniales n’ont pas, pour autant, abandonné leurs objectifs de domination, de mise sous tutelle, de pillage économique. Par d’autres moyens que les armes, mais aussi par la force des armes quand la situation intérieure des pays qu’ils convoitent, leur en donne l’occasion et que les circonstances s’y prêtent. Leurs services secrets tentent toujours de créer ici ou là des troubles afin de fournir des prétextes à interventions militaires. Et ils sont d’autant plus enclins à cette fuite en avant que, dans les conditions actuelles de raréfaction des sources d’énergie, le contrôle de celles-ci est pour eux d’une urgente nécessité.

Les aventures militaires en Afghanistan, en Irak, en Côte d’Ivoire, en Libye, et maintenant au Mali, nous le prouvent. Aujourd’hui comme hier, ces interventions sont engagées au nom de grands principes humanitaires, souvent au nom de la démocratie et des libertés qu’il faudrait exporter vers les pays réputés en être dépourvues. Qui a dit : « Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures…parce qu’elles ont un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. » Roselyne Bachelot ? Bernard Henri Levy ? Non, Jules Ferry, le 28 juillet 1885 à la Chambre des Députés, propos dénoncés par François Hollande, le premier jour de son mandat de Président de la République.

Mais c’est la philosophie qui inspire le soit-disant « devoir d’ingérence », sans base légale et pourtant cher à Bernard Kouchner et qui sous-tend l’intervention militaire de la France au Mali.
« Les peuples n’aiment pas les missionnaires armés… », faisait remarquer Robespierre avec raison. C’est aussi une des leçons du 19 mars. L’entêtement des gouvernants français socialistes, radicaux ou de droite, qui refusaient le droit à l’indépendance du peuple algérien, n’a fait que reculer l’échéance, au prix de 500 000 à 1 million de morts en Algérie et de la vie de plus de 30 000 jeunes Français. Toutes les familles, en Algérie, pleurent encore aujourd’hui un être cher mort au combat ou disparu. Même dans les plus petits villages existe un cimetière où dorment des chouhadas (martyrs).

Les essais nucléaires des années soixante au Sahara continuent de tuer en Algérie et en France, et chaque jour des enfants, des femmes, des hommes sont victimes des mines déposées par la France aux frontières du Maroc et de la Tunisie. Pour toutes ces familles, hier est toujours présent.

En France même, la IV République est morte de la guerre d’Algérie et un régime quasi monarchique a été instauré en 1958, qui s’est perpétué jusqu’à nos jours.
Marx pourtant nous avait prévenus : « Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre. »

Les leçons de l’histoire ne doivent donc pas être oubliées. Elles peuvent nous aider à éviter de retomber dans les erreurs et les fautes du passé.

Bernard DESCHAMPS

15 mars 2013

http://www.bernard-deschamps.net