8 mai 1945 : un avertissement pour le système colonial

lundi 8 mai 2023

A l’occasion du 78 ème anniversaire de la sauvage répression des manifestations du 1er et du 8 mai 1945 pour la liberté et l’indépendance de l’Algérie, Fouad Soufi, Chercheur en histoire, expose dans le quotidien national l’Expression la signification historique de ces événements.

Extraits*.

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L’Algérie commémore, aujourd’hui, les évènements tragiques du 8 mai 1945. Un triste souvenir qui a étalé la sauvagerie du système colonial. Mais une étape essentielle qui a façonné la trajectoire des luttes du peuple algérien pour son indépendance.

L’Expression : 78 années sont passées depuis les massacres du 8 mai 1945. Pouvez-vous nous mettre dans le contexte desdits événements ?
Fouad Soufi : Merci pour votre confiance. Vous me demandez là de rappeler l’histoire de ce tragique événement que furent les Massacres de mai et juin 1945 et principalement ce qui s’est passé à Sétif, Guelma et Kherrata.

Le grand problème dans la connaissance historique de notre pays et dans celle de ces massacres réside dans la question de la circulation de l’information historique. Des thèses, mais hélas pas toutes, ont été publiées, des colloques ont été organisés, avec publication des actes - et là je fais référence à ceux de l’université de Skikda. Des journalistes ont recueilli des témoignages et rédigé des ouvrages fortement documentés. Mais hélas, tout se passe comme s’il fallait régulièrement tout recommencer à zéro, comme si rien n’avait été fait avant ! Donc le contexte est connu.

Les historiens tant algériens que français ont su et pu nous donner des analyses et des études fines. Il faut savoir qu’après le débarquement anglo-saxon de novembre 1942 à Oran puis à Alger, l’administration coloniale et à sa tête le secrétaire général Gazagne s’attendaient à un soulèvement. Le Manifeste du peuple algérien rédigé par Ferhat Abbas en mars 1943 et la formation des Amis du Manifeste et de la liberté (AML), démontraient la force des aspirations indépendantistes du Mouvement national.

Globalement, on admet que les « événements de mai 1945 » ont commencé le 1er mai. Ce jour-là. se sont déroulés dans des villes et, notamment à Alger et Oran, mais également et entre autres à Sétif et Tébessa d’importantes manifestations de rues. Elles furent parfois assez violentes à Alger et à Oran (des morts et des blessés).
Elles reprirent, le 8 mai, avec un tour dramatique à Sétif, Guelma et Kherrata. Les historiens Chentouf Tayeb et Taleb-Bendiab Abderrahim avaient publié dans la Revue algériennes des sciences Juridiques, économiques et politiques,(1974/4) un document important : le Rapport Tubert qui avait décrit et dénoncé les massacres. L’historien Aïnad-Tabet Redouane avait utilisé pour sa thèse sur le 8 mai (1978 puis 1987) les témoignages des acteurs encore en vie qui rendent vivants les souvenirs et les ressentiments de ceux qui ont vécu ces dramatiques événements. Enfin, il faut lire et relire les analyses et les témoignages riches en enseignements et en renseignements, publiés par l’hebdomadaire El Moudjahid en arabe et en français sur le 8 mai 1945 (les 3 tomes dits de Yougoslavie).

L’impact de ces massacres sur les évènements a été tel que des voix, même parmi les acteurs du Mouvement national, considèrent que le 8 mai 1945 est une étape charnière de l’histoire de l’Algérie en lutte. Il est considéré comme un prélude au 1er Novembre 1954. Etes-vous de cet avis ?
Cette question est, en fait, toujours d’actualité. Quel lien peut-on faire entre le 8 mai 1945 (date symbolique, encore une fois, puisque les massacres ont continué jusqu’en juin) et le 1er Novembre 1954 ? Ce fut d’abord la fracture entre la majorité algérienne /musulmane et la minorité dite européenne. C’est-à-dire que pour les premiers, il n’y aurait de solution à la question coloniale que la lutte armée. Pour les seconds, seule la raison du plus fort est et reste la meilleure.

Mais il y a eu l’entre-deux. Chez les premiers va s’insinuer une coupure lente mais irréversible entre ceux qui acceptent le principe de la lutte armée mais qui estiment que nous ne sommes pas prêts. Ils renvoient au syndrome né des massacres de mai 1945. Et ceux qui sont contre pour les mêmes raisons d’ailleurs. Du premier groupe, et en son sein, émergent les militants de l’Organisation Spéciale née en 1947, qui eux mettent en pratique le principe et préparent activement la lutte armée. Les autres que l’on va appeler centralistes et messalistes choisissent une voie active, mais réformiste et vont être surpris par le déclenchement de la lutte armée le1er Novembre. Aucun d’entre eux, ni centralistes ni messalistes, n’ont été tenus informés ni des préparatifs ni de la date du déclenchement. Alors, prélude oui, en tant qu’avertissement pour le système colonial et date charnière aussi pour le peuple algérien.

C’était aussi un moment dans la construction de la conscience nationale ?
La conscience nationale s’est formée au cours d’un long processus qui a commencé un peu avant et surtout après la Première Guerre mondiale. Le premier grand événement qui a fait sortir la grande masse des Algériens a tout de même été le Congrès Musulman Algérien (CMA) le 7 juin 1936. Certains historiens - encore aujourd’hui - suivant en cela la construction de notre histoire par les militants du PPA-MTLD, l’ont évacué pour crime d’assimilationnisme. Mais on oublie un peu trop que pour la première fois tous les groupements politiques et tous les hommes politique toutes tendances confondues se sont réunis ce jour-là à Alger devant une foule immense d’Algérois qui n’a pas pu pénétrer dans le cinéma Le Majestic. Deux mois plus tard le stade municipal a également fait le plein pour le rapport des délégués du C.M.A. envoyés à Paris pour présenter la Charte Revendicative du Peuple Algérien. L’accueil fait au discours de Messali Hadj (arrivé le dernier) a démontré que le peuple algérois et au-delà, le peuple algérien, attendait autre chose et constituait la véritable réponse au gouvernement français encore sourd aux revendications -pourtant modérés - des représentants des Algériens.

Le 8 mai 1945 constitue, effectivement, un grand moment dans le développement de la conscience nationale algérienne, malgré ses insuffisances, malgré les provocations de l’administration coloniale et des colons.
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*Pour lire l’intégralité de l’entretien, aller sur l’url :
https://www.lexpressiondz.com/natio...