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Algérie 1950-1954 : Les luttes qui ont enfanté Novembre
vendredi 31 octobre 2025, par
Avant les armes, il y eut les bras. Avant le maquis, il y eut la grève. Dans les ports, les mines, les usines et les campagnes d’Algérie, entre 1950 et 1954, un peuple enchaîné par le système colonial s’est mis debout. Ces quatre années, souvent reléguées à l’arrière-plan de la mémoire officielle, furent pourtant le creuset de la conscience nationale. C’est là, dans la poussière des chantiers et le fracas des docks, que s’est forgée l’âme de la Révolution de Novembre.
1950 : L’étincelle ouvrière
Tout commence à Oran, en 1950. Les dockers cessent le travail, soutenus par leurs femmes qui défilent dans les rues, brandissant leur colère et leur dignité. La répression est immédiate : la Maison du Peuple est saccagée par la police coloniale. Mais la peur change de camp. Dans tout le pays, les ouvriers se lèvent.
Deux cent vingt-cinq grèves éclatent cette année-là, mobilisant près de 250 000 travailleurs. Mineurs, ouvriers des banques, cheminots : les revendications sociales se mêlent à une soif de justice plus profonde. Le mouvement ouvrier algérien affirme son autonomie au sein de la Fédération Syndicale Mondiale. Derrière le syndicat, c’est déjà la nation qui s’affirme.
1951 : Quand la solidarité devient internationale
En 1951, les luttes s’étendent. Les gaziers et électriciens d’Algérie entament une grève nationale de 22 jours. À Aïn Taya, Tlemcen, Sébdou, Aïn Témouchent, les ouvriers agricoles se joignent au mouvement. Dans les ports, les dockers d’Alger refusent de charger les navires britanniques à destination de l’Égypte.
Ce refus, à première vue technique, prend une dimension politique : il exprime la solidarité avec d’autres peuples colonisés. Lors du congrès de la CGT, la délégation vietnamienne salue le courage des travailleurs algériens. La lutte pour le pain devient inséparable de la lutte pour la liberté. L’anticolonialisme entre dans les consciences par la porte de l’usine.
1952 : La répression et la colère
L’année suivante, la violence coloniale atteint un sommet. Le 1er mai 1952, à Oran, les forces de l’ordre tirent sur les manifestants : plus de soixante blessés. Quelques semaines plus tôt, les femmes d’Oran avaient déjà manifesté pour soutenir la Tunisie insurgée. À Constantine, une grève générale paralyse la ville ; à Alger, des milliers d’ouvriers se rassemblent pour exiger la libération de militants emprisonnés.
Plus de 260 grèves, 265 000 travailleurs mobilisés : la société coloniale tremble. Ce n’est plus seulement la misère qui révolte, mais l’ordre colonial lui-même. La parole ouvrière devient politique, nationale, révolutionnaire.
1953 : Le sang et la solidarité
Le 14 juillet 1953, à Paris, quarante mille travailleurs nord-africains défilent sous la bannière de la dignité. La police tire. Sept morts, cent blessés. L’émotion traverse la Méditerranée : le 17 juillet, l’Algérie s’arrête. Dans les ports, les ateliers, les usines, le travail cesse en signe de protestation.
Les dockers d’Oran multiplient les grèves : soixante-huit mouvements recensés dans l’année, dont quarante-huit refus de charger des bateaux à destination de la guerre d’Indochine. Ces gestes, à la fois simples et puissants, sont des actes politiques. Ils disent non à la guerre, non à l’exploitation, non au colonialisme.
Dans ces refus silencieux, se construit une conscience internationale et révolutionnaire. La classe ouvrière algérienne devient le miroir d’un monde en insurrection.
1954 : Le seuil de la Révolution
En 1954, le pays est au bord de la rupture. À Timezrit, les mineurs se lancent dans une grève héroïque de six mois. Malgré la faim, la misère et les menaces, ils tiennent. Le 30 avril, ils organisent une « marche de la faim » symbole bouleversant d’un peuple qui ne veut plus plier. Quelques jours plus tard, ils arrachent la victoire.
À Alger, le 28 avril, une grève générale mobilise 130 000 travailleurs. Le port, la gare, les usines s’immobilisent. Le pays entier semble suspendu dans un silence plein de tension. À Genève, le ministre vietnamien Pham Van Dong rend hommage aux dockers d’Alger : « Notre combat est le même. »
Dans le même élan, la création de l’Union Générale des Syndicats Algériens (UGSA) marque une étape décisive : les travailleurs d’Algérie se dotent de leur propre organisation. L’indépendance syndicale préfigure l’indépendance nationale.
Les années qui ont enfanté Novembre
Ainsi, lorsque la nuit du 1er novembre 1954 s’illumine des premières explosions, ce n’est pas un hasard de l’histoire. C’est l’aboutissement de quatre années de luttes, de grèves, de solidarités, de répressions et d’espoirs. Les armes du FLN ont porté l’écho des marteaux et des chants des ouvriers.
Les luttes sociales des années 1950 ont été le véritable prélude à la Révolution. Dans les mines, les ports, les campagnes, un peuple a appris à s’unir, à résister, à dire non.
Ces quatre années furent le creuset où s’est forgée la dignité nationale. Dans le vacarme des chantiers, dans les galeries étouffantes, dans les sillons des champs, un peuple apprenait à dire NON : non à la faim, non à la peur, non à l’humiliation.
Avant les maquis, il y eut les grèves.
Avant les fusils, il y eut les mains.
Avant Novembre, il y eut le peuple debout.
AR
(D’après Abderrahim Taleb Bendiab, Chronologie des faits et mouvements sociaux et politiques en Algérie : 1830-1954, Imprimerie du Centre, Alger, 1983.)
Alger républicain