Cannes, le festival, une histoire de lutte de classe

samedi 16 mai 2015

la première trahison de la SFIO après la guerre

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Affiche du Festival de Cannes - 1948

Pour info et pas seulement pour l’anecdote : la présence de la CGT dans l’histoire du festival de Cannes est une grande et belle histoire qui demanderait à être mise au grand jour et écrite. Elle est liée aux conditions de l’immédiat après guerre, de l’affrontement avec l’impérialisme culturel des USA tel que prévu dans le plan Marshall et ratifié par les accords Blum Byrnes.

A défaut d’avoir pu imposer l’AMGOT - « gouvernement militaire allié des territoires occupés, en anglais Allied Military Government of Occupied Territories », une administration de la France par les troupes anglo-américaine que De Gaulle rejettera dans la trajectoire du CFLN à Alger puis des conditions de la libération du Pays dont la Résistance et les armées françaises (Le Clerc et Delattre) la puissance du PCF et celle de la CGT) qui déinsteureront la République- des discussions s’ouvrent dès 1945 pour examiner les conditions de l’aide américaine à la reconstruction.

Avec J. Monnet (le fameux « père de l’Europe »), Blum, Léon, père spirituel de Guy Mollet puis de,… puis de,… puis de, pour arriver à Hollande Valls et Macron (n’oubliez quand même pas les barreaux intermédiaires) était le représentant de la France dans les négociations des déclinaisons pour la France du plan Marschall. Négociation qui se déroulent aux USA. Le 1er Janvier 1946 ces « accords économiques » avec les USA représentés par James F. Byrnes (prononcer « beurneuss » ) secrétaire d’état US sont signés à Washington.

L’industrie cinématographique est un des chapitres de ces accords et une monnaie d’échange. Ils permettent la libre pénétration du cinéma américain en France en échange d’importants avantages financiers concédés au trésor français. La profession les dénoncera ce marché. La CGT et le PCF comme organisations nationales et leurs implantations dans les studios de production seront à la tête de ce mouvement,mobiliseront largement.

Qu’est-ce qui dans ces textes met le feu aux poudres ? Les accords Blum-Byrnes prévoyait l’installation de quota de diffusion de film US où Byrnes exige un retour aux accords de 1933, qui prévoyaient un quota fixe de films américains par an projetés dans les salles françaises avec en 1946 un nombre encore plus réduit pour la production française que la part de film français autorisé en … 1941-42 sous l’occupation allemande.

De son côté, le secteur du cinéma français demande que sept semaines sur treize soient réservées uniquement à la diffusion de films français.

Cette question sera le catalyseur dans le cadre de ce qui s’appelait la Renaissance française et la reconstruction du pays. Pour montrer la réalité de la création cinématographique française et le coup de poignard des accords B&B, la profession avec une puissante CGT parmi les artistes et l’industrie cinématographique, autour d’eux la CGT et tout le monde du travail, avec aussi un puissant PCF, en protestation à ces accords, tous vont conduire à la réactivation d’un projet de festival du film dont la première mouture (pour s’opposer à la Mostra de Venise alors inféodée aux fascistes) avait été stoppée par la guerre.

Pour comprendre les raisons d’une colère si forte dans la profession et la montée rapide et massive du rapport de forces, il faut avoir en tête (et les média sont plus que très discret là dessus) que la résistance et la CGT sont particulièrement fortement implanté dans le spectacle et le cinéma. Depuis 1936 le PCF a des liens fort avec la création cinématographique (se souvenir de Renoir et la Marseillaise, des films ont été produit par des coopératives progressistes de production avant la guerre, des fédérations d’industrie ont commandé des réalisation pour porter les transformation imposées par les acquis du front populaire (Métaux, Construction, Cheminots).

Le spectacle, de l’Opéra au cinéma en passant par le théâtre aura une activité de résistance majeure seront des vecteurs du combat contre la collaboration.

Les archives du Musée de la Résistance ont des pièces émouvantes, parfois savoureuses, héroïques toujours. Par exemple un Bernard Blier en arme, chassant en aout 44 les miliciens du siège de la CGT Rue Lafayette au coté de son capitaine de détachement FTP JP Lechanois. J Gabin engagé volontaire dans les FFL qui sera des combats au sein de pour finir sa campagne dans la libération de la poche de Royan en 1945, Aimos qui sera tué durant la libération de Paris, Henri Alekan, chef opérateur de Bataille du rail et La Belle est la Bête était un des responsables du Front National du cinéma et un de ceux qui fera le relevé cinématographique clandestin des défenses de la côte méditerranéenne pour les alliés dans une locomotive avec René Clement. Comme chez les acteurs et les techniciens, les musiciens ont été de ce combat et seront acteurs de la renaissance culturelle après avoir résisté comme Georges Auric Désormière, Dutilleux et combien d’autres, comme Michel Tagrine violoniste, lieutenant FTP de la Cie St Just qui mourra dans les combats pour la libération de Paris. Des personnages et moments sur lesquels il va falloir imposer que l’histoire, reviennent, ils et elles se sont battus pour la libération politique, économique et culturelle du pays. Notons que tous ces noms parfois mondialement connus était massivement syndiqués à la CGT. Un engagement qui dans les conditions de la profession est une des données de l’histoire du cinéma Français (le syndicat des acteurs adhère à la CGT en 1936).

Une histoire avec des facettes mal connues. Qui parmi ceux qui lui vouent admiration parfois culte savent qu’à la mort de Gérard Philippe (lui même FFI qui participera aux combats d’aout 44 à Paris) il aura comme successeur un certain JP Belmondo qui est pointé dans le Maîtron comme président du syndicat CGT des acteurs ?

C’est dans ce contexte qu’en 1946 la CGT propose et construit Cannes contre les accords Blum Byrnes, un défi relevé en moins de six mois. Notons que si conflit il y a avec les magnats d’Hollywood, la solidarité jouera à fond avec UA (unitedS artists) coopérative fondée par Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks, Mary Pickford et D. W. Griffith. Combien d’autres UA, avant de se faire étrangler par les banques, comptera dans ses rangs ? Piocher au hasard : Yul Brunner, Burt Lancaster, Sinatra, Kirk Douglas, J Wayne (avant qu’il se fascise). UA qui fit travailler tout ces réalisateurs qui à l’image de Dalton Trumbo et Chaplin seront pourchassés par le maccarthysme.

Cette solidarité contre les « Major » conduira les battus des deux côtés de l’atlantique (ici en France au premier rang le MRP et la SFIO) à dire devant leur défaite que Cannes sera soutenu par Hollywood ce qui est une contre-vérité et une offense aux acteurs et techniciens d’UA et un blanchiment de MGM et Universal et autres.

Pour l’anecdote (mais pas que), si la fédé du spectacle est naturellement dans l’organisation culturelle de Cannes, malgré les embûches et parfois tentative de les écarter, l’UL de Cannes, dont le Syndicat CGT des Cheminots sont présents, toujours actifs dans sa réalisation.

La réaction municipale a pu raser le « palais du festival » construit avec la CGT par la population, des fondations aux rideaux rouges de scène dont les couturières seront applaudies debout par la salle lors de la première remise des récompenses, elle n’a pas pu et ne pourra pas effacer ce qu’est ce festival ; vous savez maintenant à la lumière de ses racines les enjeux d’aujourd’hui autour de l’originalité du cinéma français pourquoi cette originalité de l’avance sur recette, héritage de ce rapport de force pour soutenir la création, pourquoi aussi ce statut particulier qui installe une zone diplomatique d’extraterritorialité permettant à des professionnels du cinéma du monde entier, pourchassés dans leur pays de venir répondre aux journalistes protégés par un statut diplomatique, de pouvoir recevoir leur récompense parfois à peine sortie de prison par la pression internationale qui arrive parfois à les en arracher et surtout …d’empêcher qu’ils y retournent.

C’est lié à la Résistance, à la Libération et ses conditions en France au pacte républicain symbolisé par le Conseil National de la Résistance. Autant de chose qui ne s’apprend pas dans les programmes scolaires et qu’il serait pas mal que chacun de nous face découvrir et explique autour de soi et apprenne à ses enfants.

Pour en savoir plus du côté des acteurs (qui ne sont qu’une partie de l’industrie cinématographique un titre : Marie-Ange Rauch, De la cigale à la fourmi, histoire du mouvement social et syndical des artistes interprètes 1840-1960, Paris, 2006, Éditions de l’Amandier

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Canaille le Rouge

le 14 Mai 2015