De Charybde en Scylla De Valhyd en Desertec Jusqu’à quand l’hémorragie des ressources nationales ?

dimanche 13 novembre 2011

Il y a à peu près quarante ans, la politique d’exportation massive de gaz naturel était mise en place. Inaugurée avec un contrat dit « El Paso », du nom du premier partenaire (on devrait plutôt parler de prédateur), elle recevait rapidement une systématisation sous la forme de la doctrine dite « Valhyd » (valorisation des hydrocarbures).

Si un jour une appellation a été abusive, c’est bien celle de Valhyd, car en fait il s’agissait bien de l’exportation d’hydrocarbures n’ayant subi aucune valorisation ni traitement autre qu’une liquéfaction, c’est-à -dire conditionné pour être exporté dans des conditions économiques considérées comme acceptables.

Et effectivement, quand certains cadres manifestaient leur inquiétude envers cette politique, il leur était répondu que l’opération était financièrement très rentable.

Les adversaires de Valhyd faisaient remarquer que le gaz étant exclusivement réservé au « partenaire » étranger, il aurait été plus logique que celui-ci prenne en charge la construction des usines de liquéfaction qui représentaient à l’époque un énorme effort financier pour l’économie nationale. L’Algérie pouvait à la rigueur amener le gaz aux limites de l’installation et y installer un compteur pour facturer le gaz livré.

Cette solution, qui n’était qu’un moindre mal, n’a jamais fait l’objet d’étude de la part des responsables nationaux. Les usines de liquéfaction financées par l’Algérie se sont multipliées, le gaz a été exporté à un rythme sans cesse croissant, et aujourd’hui, nous sommes dans la situation où les réserves de gaz s’épuisent, et où les usines construites pour des milliards de dollars deviendront l’objet de visites à l’intention des enfants des écoles.

Cette politique a permis à l’Algérie de constituer d’énormes réserves financières qui bénéficient pour l’essentiel à des banques étrangères. Quitte à constituer des réserves, il aurait été infiniment plus rentable de gérer les gisements de gaz naturel avec précaution, comme le font par exemple les Norvégiens. Le prix du gaz a évolué beaucoup plus favorablement que le cours du dollar, et les réserves qui auraient été conservées pourraient être commercialisées dans des conditions bien meilleures que lorsqu’elles ont été vendues dans les cadre de Valhyd.

Au lieu d’être exporté tel quel, le gaz aurait pu être, encore plus qu’aujourd’hui, au centre de la création d’une industrie pétrochimique exportatrice de produits intermédiaires ou finis.

Bref, avec Valhyd, on peut dire que l’on a eu « tout faux ».

L’erreur est humaine, dit le sage, mais l’entêtement est diabolique.

Or, avec Desertec,c’est une opération encore pire que Valhyd qui se prépare. Rappelons en brièvement les caractéristiques principales.

Il s’agit de construire au Sahara des centaines de kilomètres carrés de capteurs photovoltaïques produisant des quantités énormes d’énergie électrique, destinées exclusivement à l’exportation vers l’Allemagne grâce à une ligne de très haute tension traversant une bonne partie de l’Europe, et, entre autres joyeusetés, la mer méditerranée.

Comme la construction du parc de capteurs photovoltaïques devrait prendre du temps, il a été prévue une « période de transition » pendant laquelle l’énergie serait produite par des turbines à gaz. Pour une période limitée, disent nos « partenaires ». N’empêche : les réserves de gaz, déjà bien entamées, devraient être mises à contribution. De plus, il est aujourd’hui plus clair que jamais que brûler du gaz pour fabriquer de l’énergie est au mieux un pis-aller, au pire un scandale pour un pays comme l’Algérie. Or, en cas (plus que probable) de retard dans la construction des capteurs solaires, l’Algérie sera condamnée à utiliser ses réserves de gaz déjà bien entamées pour produire à l’exportation des quantités énormes d’électricité.

Il ne s’agit pas bien entendu de discréditer la filière solaire qui est, sans aucun doute, l’avenir énergétique de l’Algérie. Mais si le gisement solaire intéresse les étrangers, pourquoi ne construiraient-ils pas eux-mêmes et à leurs frais, les installations de captage, l ’Algérie se contentant de percevoir un loyer pour l’utilisation de son sol ?

D’autant plus que les risques technologiques ne sont pas minces. Le journal français le Monde évaluait récemment à 40% les pertes d’énergie électrique en ligne. Ces pertes seraient en grande partie supprimées si l’énergie était utilisée en Algérie. Alors, plutôt que la transporter dans des conditions ruineuses vers l’Allemagne, pourquoi ne pas installer en Algérie les industries gourmandes en gigawatts-heures et exporter, plutôt que de l’électricité, des produits intermédiaires ou finis (aluminium, aciers fins et spéciaux,...) ?

Bref, la problématique se pose à nouveau : l’Algérie permet l’accès des industriels étrangers à son patrimoine énergétique, et en plus, finance cet accès. Il est vrai que les ressources solaires ne risquent pas, comme le gaz, de s’épuiser. Mais est-ce une raison pour jouer, encore une fois, le dindon de la farce ?

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Mustapha Bencheikh

5 novembre 2011