Des agences de renseignement infiltrent les médias

jeudi 16 avril 2015

Que ce soit par la subornation ou le harcèlement, les journalistes qui collaborent avec des agences de renseignement diffusent ou passent sous silence des contenus pour cacher la vérité. Dans ce sale jeu, des communicants sans scrupules n’accomplissent pas leur fonction sociale pour devenir des porte-paroles du pouvoir : ils ne vérifient pas la véracité des faits et détruisent des réputations en même temps qu’ils discréditent des gouvernements légitimes. Cette vieille connivence cherche le contrôle social et ternit le travail des journalistes engagés et critiques qui exposent leur vie pour couvrir fidèlement des conflits et des crises.

Cacher la vérité et déformer l’exercice du droit à l’information est ce qui est derrière l’utilisation de journalistes et de médias pour le compte des services de renseignement de la planète qui égarent, attisent les différends et déforment les faits. On ignore combien de journalistes sont sur les liste du personnel de ces services, quels pays sont les plus pénétrés et quels sont les services qu’ils rendent au pouvoir. Ce qui est confirmé, c’est que ce lien s’exprime dans des textes et des images trompeurs et tendancieux à partir de sources douteuses, de chiffres peu fiables et d’euphémismes qui déforment la réalité.

Bien que les gouvernements et les agences nient qu’ils intègrent dans leur liste de personnel des reporters et des médias, il est habituel qu’ils paient des pots-de-vin pour diffuser une information à leur manière. On distingue l’Opération Zenzontle (Mockingbird, dont le chant trompe d’autres oiseaux) qui, au milieu du siècle dernier, fut imaginée par l’ Agence Centrale de Renseignement (CIA) des Etats-Unis pour infiltrer la presse écrite et électronique, des journalistes et des écrivains proches, en échange de pots-de-vin.

Avant de diriger la CIA, Richard Helms était journaliste à l’agence United Press International (UPI) et il a travaillé comme agent de renseignement. Zenzontle obtint de si bons résultats que le co-propriétaire du Washington Post, Phillip Graham, déclara : « Tu peux toujours trouver un journaliste meilleur marché qu’une prostituée de luxe ».

Actuellement, c’est toujours vrai. L’analyste Jason Simpkins signale que le Gouvernement de George W. Bush, dans sa guerre contre le terrorisme, a falsifié des données sur le soi-disant succès de la guerre en Irak et les a transmises sur 77 chaînes de télévision. C’est un fait qu’au moins 20 agences fédérales, y compris le Département d’Etat, produisent et distribuent une information manipulée pour les médias. C’est le triomphe de la propagande sur l’information légitime, conclut Simpkins.

Journalisme dirigé

Cette perverse complicité a été analysée par le Prix Pulitzer Carl Bernstein dans son texte :« La CIA et les médias » publié en octobre 1977. Là, il explique le trafic d’influences et les engagements éditoriaux entre le pouvoir politique et les médias. Dans le sous-titre, Bernstein décrivait le fait que les médias étasuniens les plus puissants travaillent, avec des gants, avec cette agence et que la mission des journalistes cooptés consistait à servir d’yeux et d’oreilles à la CIA, à rapporter ce qu’ils avaient vu et entendu dans une usine d’Europe de l’Est, dans une réception diplomatique à Bonn ou dans le périmètre d’une base militaire au Portugal.

A d’autres occasions, leur mission était plus complexe : déposer subtilement des pièces d’information erronées ou fabriquées par les services secrets, réunir des expions étrangers et des agents étasuniens ou offrir des déjeuners ou des dîners où des journalistes étrangers étaient instruits avec la propagande pour qu’ils la répètent. Il était aussi habituel de les doter d’hôtels et de bureaux pour obtenir une information sensible, disait Bernstein.

Bien que cette néfaste complicité semble appartenir au passé, en novembre 2014 ressurgit le souvenir de l’Opération Mockingbird, quand un rapport du Sénat des Etats-Unis conclut que la CIA avait donné à des médias et à des journalistes des informations manipulées sur les soi-disant avantages de ses techniques d’interrogatoire sur les suspects de terrorisme pour qu’ils élaborent des articles, des livres et des émissions. Avec cela, l’agence cherchait à minimiser les critiques publiques après la découverte de l’échec de leur Programme d’Arrestation et d’Interrogatoires qualifié par certains de torture ouverte.

Le rapport ajoute que depuis 2005, des journalistes et des médias ont accepté de promouvoir la fausse version de la CIA sur l’efficacité de la torture. L’un d’entre eux fut le reporter du New York Times (NYT) Douglas Jehl. En juin de cette année et avec des témoignages d’ex agents, la chaîne NBC a soutenu la fausseté de la version de Jehl. Avec cela, la chaîne ne cherchait pas l’intérêt public mais cherchait à sauver son image face au croissant rejet de la société de ce rôle des médias.

Le rapport ajoute que fin 2002, celui qui était alors le vice-président Richard Cheney et d’autres fonctionnaires de la CIA convainquirent le New York Times de censurer dans un article, le nom d’un pays (la Thaïlande) qui avait accepté d’héberger une prison secrète de la CIA. Cette information est sortie au grand jour à cause du travail de journalistes engagés envers la vérité.

Une confession surprenante

Le journal allemand Frankfurter Allgemaine Zeitug (FAZ) est le journal le plus distribué à l’étranger (148 pays) et sa ligne éditoriale de centre-droite ou libérale-conservatrice est définie par une coopérative de 5 éditeurs. L’un d’entre eux était Udo Ulfkotte. En octobre dernier, Ulfkotte a admis qu’en échange de pots-de-vin, il a publié des articles rédigés par la CIA et d’autres services de renseignement, même des services allemands, ainsi que par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Dans sa confession inédite, Ulfkotte affirme : « J’ai menti, j’ai désinformé, j’ai manipulé la vérité pour de l’argent. » Celui qui était alors conseiller du Gouvernement allemand explique qu’il a agi ainsi parce qu’il a été éduqué à mentir, à trahir et à ne pas dire la vérité au public. Il admet qu’il en a assez d’être pro étasunien et que l’Allemagne soit une colonie des Etats-Unis. Et il a avoué que la couverture actuelle de la presse occidentale - et de FAZ - dans la crise d’Ukraine est, de plus d’être biaisée, est « un clair exemple de manipulation de l’opinion publique ».

Il semblerait que les éditeurs et les journalistes se soient mis des casques virtuels imperméables au son pour publier que la Russie préparait une guerre imminente, souligne Ulfkotte. Dans son livre « Journalistes achetés », il rapporte que beaucoup de collègues, comme lui, désinforment à la demande des agences de renseignement et affirme que la revue allemande « Der Spiegel » a publié que le Boeing malaisien abattu sur l’Ukraine (juillet 2014) l’a été par un missile russe. Une telle affirmation, admet-il, fut dictée par les services secrets car il n’y avait pas de preuves.

Avant la confession de Ulfkotte, les documents filtrés par Edward Snowden en juillet 2013 ont révélé l’étroite relation entre la presse corporative et les agences de renseignement. Cependant, à trois mois de cette révélation, le journaliste Robert Vargas, de The Telegraph, demandait : Pourquoi les médias ignorent la relation entre l’Agence de Sécurité Nationale (ASN) et le renseignement allemand ? Contre la chose qu’ils étaient anxieus d’aborder, Vargas soulignait que les médias étasuniens, britanniques et allemands n’avaient rien publié.

Calomnier sur ordre

Depuis le triomphe de la Révolution Cubaine, les agences de renseignement étasuniennes ont conçu des campagnes massives de déformation contre l’île. A cette offensive systématique des médias de ce pays, s’ajoute la récente filtration d’un rapport de 5 pages du Bureau Fédéral d’Enquête (FBI) sur la soi-disant ingérence de la Direction du Renseignement (DI) Cubain dans le milieu universitaire des Etats-Unis.

Dans son article « En jouant à la grande roue ? Journalisme réchauffé et revenus du FBI », le journaliste Miguel Fernández Díaz expliquait en septembre dernier que le journaliste spécialisé en sécurité nationale au Washington Post, Bill Gertz, a subi des pressions pour la commenter sans confronter la véracité et tout de suite Fox News reproduisit le document qui exacerba l’opposition cubaine.

Le pire cas de manipulation médiatique par le Gouvernement et les agences étasuniennes survint entre 1999 et 2001 quand la presse de ce pays se joignit à la féroce campagne contre les 5 anti-terroristes cubains condamnés injustement pour espionnage. Des documents officiels obtenus par le mécanisme de transparence étasunien (FOIA) confirment que des journalistes et des médias ont reçu de fortes sommes pour influencer le jury et l’opinion publique.

Parmi ceux qui ont écrit sur ordre figurent le Bureau des Transmissions Cuba - qui gère Radio et TV Martí - en échange de 37 millions de dollars par an, Ariel Remos, du journal « Las Américas » (qui a reçu quelques 25 000 dollars), le reporter du Miami Herald, Wilfredi Cancio Isla (22 000 dollars), l’éditrice du journal « Las Américas », Herren Fele (5 800 dollars) et le conducteur Radio Mambí Enrique Espinosa (10 000 dollars).

Carlos Alberto Montaner reçut plus de 40 000 dollars pour attaquer les Cinq dans ses colonnes du Miami Herald et le reporter du Nuevo Herald, Pablo Alfonso, reçut au total 252 325 dollars. Tous ont glissé de faux liens des accusés avec l’espionnage, ont évoqué des preuves fallacieuses, ont omis des preuves en leur faveur et ont déformé les faits.

D’autres cas dans le monde sont venus au grand jour de médias et de directeurs payés par les services de renseignement. Un câble de WikiLeaks a révélé que le directeur d’Al Jazeera, Wadah Khanfar, a manipulé une information au goût de l’Agence de Renseignement de Défense (AID) étasunienne et a dû démissionner. Quand cette agence a protesté à cause de la couverture négative de la chaîne, Khanfar a retouché l’information.

Le hacker Chris Coleman a affirmé que la Direction Générale d’Etudes et de documentation (le service de renseignement du Maroc) a payé des journalistes étrangers pour que leurs articles et leurs reportages lient le Front Polisario, de la République Arabe Sahraoui Démocratique (RASD), au terrorisme jihadiste. C’est ce que révèle l’article de WikiLeaks : de graves secrets du régime marocain à découvert, du professeur espagnol Carlos Ruiz Miguel.

Sur son blog Desde el Atlántico, Ruiz cite Coleman qui affirme que cette agence aurait payé des journalistes comme Richard Miniter (NYT, The Washington Post et Forbes) ainsi que le journaliste Joseph Braude, qui auraient transmis dans leurs dépêches la fausse impression que les Sahraouis du Front Polisario étaient liés au terrorisme jihadiste.

Journalisme infiltré

L’avocate Eva Golinger a dénoncé le financement par le Département d’Etat de la presse et de journalistes d’opposition au Venezuela et a averti que des programmes similaires existent dans d’autres pays d’Amérique Latine. A son tour, le journaliste étasunien Jeremy Bigwood soutient que des agences étasuniennes, comme la très polémique Conseil Supérieur de Radiodiffusion (Broadcassting Board of Governors), financent en secret des médias et des journalistes avec l’arguement de soutenir le développement des médias dans plus de 70 pays.

Entre 1993 et 2005, le renseignement allemand (BND) a recruté des journalistes pour surveiller leurs collègues : sur quels sujets ils enquêtent, leurs sources et leur vie privée. Selon l’ex espion Wilhelm Dielt, qui a travaillé pour la revue Focus sous le nom de code de Dali, d’autres rédactions ont été infiltrées : Der Spiegel, Stern, Berliner Zeitung et Süddeutsche Zeitung.

En 2012, le journaliste du New York Times, Mark Mazzett envoya une copie d’un article de sa collègue, la journaliste Maureen Dowd, à la porte-parole de la CIA Marie Harf. L’article de Dowd évoquait une filtration de l’agence à Hollywood sur le film Zero Dart Thirty (sur Oussama ben Laden).

En août 2013, l’éditeur et rédacteur Wayne Madsen citait le fait que des agents de renseignement qui opéraient sous couverture journalistique assumaient plusieurs rôles et travaillaient pour les services de renseignement. Les médias où ils s’étaient infiltrés sont Radio Free Europe, Radio Free Liberty, Radio Free Asia, Alhurra, Radio Sawa, Radio et TV Marti, ainsi que La Voz de América. D’autres médias signalés comme façades de la CIA sont Kyuv Oistm Cambodia Daily et Lidove Noviny de Prague.

Nombreux sont les journalistes qui, protégés par l’image d’ « indépendants », obtiennent un financement et l’autorisation d’accompagner l’Armée des Etats-Unis dans ses opérations en échange d’articles bienveillants. Pour l’analyste britannique du Centre d’Etudes pour la Défense et la Sécurité, Martin Edmonds, cette subordination est inacceptable car elle affecte leur rôle dans la démocratie et ils perdent toute crédibilité et toute indépendance, affirme-t-il.

Des correspondants, des journalistes indépendants, des éditeurs, des directeurs de chaînes d’information, des journalistes et des commentateurs sont aujourd’hui dans le viseur des services de renseignement. Des documents de Snowden confirment que le Centre Gouvernemental des Communications (GCHQ), une des 3 principales agences de renseignement britanniques classe les journalistes d’investigation comme une menace identique aux terroristes, aux hackers et aux criminels.

De plus, cette agence et d’autres envoient des messages spam, contrôlent les médias sociaux et utilisent des outils sophistiqués pour manipuler sur internet des enquêtes, des statistiques et des chiffres.

En conclusion, il faut souligner qu’à cause de cette obscure relation, la méfiance des citoyens envers les médias augmente et personne ne rend de comptes.

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Par Nydia Egremy/Mejico Global

traduction Françoise Lopez

29 mars 2015

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Source en espagnol :

https://miradasencontradas.wordpres...