Election présidentielle du 17 avril : Petites phrases et psychose

jeudi 17 avril 2014
par  Alger republicain

Les petites phrases que Bouteflika avait réussi à chuchoter contre son rival Benflis, quand il avait rencontré samedi dernier le ministre espagnol des Affaires étrangères, ont eu leurs effets.

La peur s’est subitement répandue dans tout le pays. Une campagne d’une ampleur inattendue a été lancée sur le thème « C’est Bouteflika ou le chaos ». Il a suffi que Benflis dise qu’il n’acceptera pas la fraude, ce contre quoi tout candidat a mille fois raisons de protester, indépendamment de ce que l’on puisse penser de ses orientations idéologiques, pour que la machine d’intimidation du régime se mette redoutablement en marche.

Dans cette affaire, ce qui est grave c’est que Bouteflika s’adresse à un responsable étranger pour évoquer ses déboires politiques internes. Ce qui est grave, ce ne sont pas les « entorses » aux règles de la diplomatie qui auraient commandé à un chef d’Etat de s’abstenir de mêler les étrangers aux conflits politiques internes. Ce qui est grave c’est que Bouteflika vient de faire entrer le pays dans une nouvelle phase de sa crise politique. L’homme qui a toujours affirmé que la préservation de l’indépendance du pays était le sens de sa vie, ce qui est très discutable, car on ne défend pas l’indépendance du pays par des phrases, mais avant tout par une politique de développement, de justice sociale et de résistance effective aux pressions des mutinationales ; cet homme vient de donner de fait le feu vert aux puissances impérialistes pour s’ingérer dans les affaires internes du pays.

Cet acte est différent des menaces qu’il adressait il y a dix ans en termes voilés aux généraux hostiles à son retour au pouvoir. A l’époque, les conflits revêtaient un caractère interne et impliquaient moins de gens dans la bataille, si l’on excepte les éditorialistes de presse affiliés à tel ou tel clan du régime.

Aujourd’hui les puissances impérialistes sont confrontées à une grave crise économique dont les hauts et les bas n’ont pas fini de miner leur système. Elles se sont déchaînées, comme jamais auparavant, pour imposer leur mainmise sur le monde. En Algérie, elles ont tissé leur toile d’araignée. Des centaines de jeunes et des journalistes ont été formés ces dernières années aux USA par Freedom House, vitrine de la CIA, et par les innombrables succursales de Georges Soros, pour servir de 5 ème colonne à la réalisation de leurs plans. Ce ne sont plus seulement d’horribles obscurantistes (« djihadistes ») formés par les USA en Afghanistan pour semer la terreur dans ce pays et ensuite dans les pays arabes et musulmans. Ce sont aussi des garçons et des filles issus des couches moyennes à horizons cosmopolites qui sont de la partie dans un climat de mécontentement général qui légitime les protestations quel qu’en soit l’objectif.

Dans ce contexte différent de celui du début des années 2000, les candidats pour servir les intérêts des puissances impérialistes sont plus nombreux. Le monopole des hommes du régime dans ce domaine est cassé. La crise tend peu à peu à faire intervenir des catégories de plus en plus larges. Bouteflika n’est plus l’unique interlocuteur obligé des États impérialistes. C’est pourquoi, il doit pour ainsi dire se surpasser en indiquant à leurs représentants qu’il demeurera le seul gage de leurs intérêts en Algérie, le seul capable d’empêcher la violence. Comme si ces États qui mettent le monde à feu et à sang en avaient cure ! Mais en langage politique codé cela signifie que si la violence est nécessaire, elle sera exercée par les « hommes qu’il faut » dans le sens « qu’il faut » pour satisfaire comme il se doit les intérêts des multinationales.

Le problème est que Benflis n’est pas à l’inverse un défenseur de la souveraineté du pays, d’une politique de développement économique et social qui permettrait au pays de faire face aux pressions impérialistes et d’une politique de solidarité anti-impérialiste internationale.

A travers ses discours et ses silences soigneusement calculés, Benflis a révélé clairement ce qu’il fera s’il est élu. Il supprimera la règle des 51/49%, c’est-à -dire qu’il donnera libre cours aux appétits des multinationales qui ne seront en aucune façon tenues de respecter les intérêts du pays. Autrement dit, il ira encore plus loin que Bouteflika. Il rendra le travail plus « flexible », c’est-à -dire qu’il livrera les travailleurs au bon vouloir des capitalistes qui pourront les licencier sous n’importe quel prétexte et faire régner la terreur propice à la réalisation de hauts taux de profits, ou au « climat des affaires » ce qui veut dire la même chose mais en termes plus hermétiques. Benflis a ainsi ouvertement exposé son objectif de participer à l’exécution de l’ordre du jour international du capitalisme : jeter les travailleurs dans une concurrence mondiale sans merci pour faire baisser les salaires et casser les grandes conquêtes sociales arrachés au cours du 20e siècle quand l’influence du socialisme était grande. Ce que Bouteflika accomplit pas à pas et avec persévérance, sans le clamer aussi ouvertement, en politicien expérimenté de la grande bourgeoisie.

Et surtout, Benflis n’a à aucun moment dénoncé les ingérences impérialistes dans la région et dans le monde. En recevant John Kerry, Bouteflika avait demandé aux USA qu’ils fournissent à l’Algérie des « renseignement en temps réels » sur les activités terroristes au Sahara et au Sahel. Il les a ainsi autorisés à surveiller nos frontières ! Ce qui est une grave atteinte à la souveraineté du pays. Benflis n’a pas dit un mot pour dénoncer cette incroyable appel à mots couverts à l’ingérence étrangères, à leur acceptation officielle à travers la télévision publique. Kerry a pu ainsi tester avec succès la disponibilité du chef d’État et de tous ses opposants libéraux, y compris au sein de mouvements dits spontanés de contestation, très médiatisés, à ne pas gêner l’expansionnisme impérialiste, voire à le servir.

Résultat de tout cela, Benflis a réussi en quelques jours à gagner l’estime de la bourgeoisie et des puissances impérialistes, à les rassurer, à leur faire comprendre qu’elles n’ont rien à craindre de lui. Il est apparu comme un homme en qui elles peuvent faire confiance. Désormais ces dernières ont le choix entre deux personnalités qui se plieront en quatre pour satisfaire leurs desiderata. La différence est que l’invalidité de Bouteflika le rend inapte à continuer à gouverner réellement, à garantir la « stabilité » absolue indispensable aux bonnes affaires. Benflis, un peu plus jeune, en bonne santé, est un cheval sur lequel elles pourront parier sans prendre trop de risques, au moins dans un avenir pas très lointain.

Voilà ce qui a dû mettre en rage Bouteflika et ses partisans inconditionnels, à le pousser à franchir une ligne rouge.

Une raison supplémentaire pour ne choisir ni l’un ni l’autre ce 17 avril, encore moins les autres candidats qui esquivent ces questions, pas même Louisa Hanoune qui, pendant des années, a induit en erreur les travailleurs par son soutien à Bouteflika.

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Zoheir Bessa

16.04.2014