Emouvant hommage à Abdelkader Farah et à Chebbah Mekki deux grands hommes de théâtre algériens

dimanche 21 août 2016
par  Alger républicain

Ce bel hommage leur a été rendu le samedi 13 août à la librairie Chaïb-Dzair où une présentation a été faite par Mohamed Rabia, dramatuge et comédien.

Ces deux hommes ont, chacun dans ses conditions et ses convictions propres, contribué à mettre leur art et leur talent au service du progrès.

Il est dommage que l’ANEP n’ait pas annoncé que la manifestation du samedi allait porter sur ces deux éminentes personnalités du 4e art que le public algérien gagnerait beaucoup à connaitre.

L’hommage a sorti de l’oubli Abdelkader Farah (1932-2005), grand homme de théâtre algérien qui fit carrière en Grande Bretagne et notre camarade Chebbah Mekki (1894-1988).

Les quotidiens El moudjahid, Horizon et Le Temps ont rendu compte de la conférence donnée par Abdelhamid Rabia comédien et dramaturge sur le parcours de ces deux homme de théâtre qui ont chacun de son côté, écrit une belle page de l’histoire de la culture nationale et universelle.

Abdelkader Farrah :

Abdelkader Farrah né à Ksar El Boukhari, s’est installé en Grande Bretagne où il réalisa sa carrière à la Royal Sheakspeare Company dont il était membre, à Stratford Upon Avon [1] et à Londres.

Abdelhamid Rabia nous apprendra : « Je l’ai connu, à mes débuts, en 1964, lorsque Mohamed Boudia l’a engagé pour nous enseigner la scénographie à Sidi Fredj » [2].

Ainsi Abdelkader Farah, relatant son parcours et sa carrière, dira :

« durant un quart de siècle, j’eus le privilège de scénographier une vingtaine de fois des œuvres de Shakespeare tout en collaborant avec des metteurs en scène de plusieurs autres compagnies de théâtre à travers le monde et notamment en Grande-Bretagne, en France, en Irlande, Tunisie, Etats-Unis, Allemagne, Autriche, en Italie et ailleurs. [3]

Féru de belle musique, il écrira les compositions pour 17 pièces et travaillera avec un grand nombre de dramaturges en Grande Bretagne et dans d’autres pays.
Homme de grand talent Il a eu, entre autres reconnaissances, le prix de la critique londonienne du meilleur scénographe en 1971.

Il a légué la totalité de ses livres à la Bibliothèque Nationale d’Algérie. Cependant, nous avons malheureusement appris que le legs de ce grand homme de culture déposé par ses enfants à l’ambassade d’Algérie à Londres s’y trouve toujours et n’a pas encore été remis à la Biliothèque Nationale d’Algérie.

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Chebbah Mekki :

Chebbah Mekki quant à lui, était originaire de Khenchela, issu d’une famille très modeste de la tribu Ait Abderrahmane dans la mechta Akbache au douar Tajmout.

Né à Sidi Okba, il émigre en France en 1924. A Paris il rencontre Messali El Hadj et adhère à l’Etoile Nord-Africaine à sa création. Les rencontres avec les militants avaient lieu dans les locaux du parti communiste français.

En 1929, il rentre au pays et crée un club théâtral avec son ami Redha Houhou. [4]

Ainsi, il a assisté Ahmed Rédha Houhou dans la création de la première troupe théâtrale avant de créer, en 1936, la troupe des Jeunes Okbis, puis, en 1937, la troupe El Kawkab Ettamthili,...

Il utilisait le théâtre comme une arme. [5]

A son actif, plus de 18 textes dramatiques dont :

• Tarik ibn Zayed
• Le jeune ivrogne ignorant
• Le héros du désert
• L’espoir
• Le destin des espions...

A Batna, il faisait connaître les communistes algériens en montrant qu’ils accomplissaient leur devoir envers le peuple travailleur et paysan. [6]

Son engagement politique était total et déterminé. Il avait adhéré à son retour en Algérie au PCA [7] au sein duquel il mena un combat ininterrompu pour la libération nationale et le socialisme. Il le poursuivit jusqu’à sa mort en tant militant du PAGS [8].

Chebbah Mekki était l’une des rares personnes à tenir tête au tyran de Biskra, le Caïd Bengana et qu’il surnommait « le pharaon arabe ». Il le dénonçait publiquement. A l’époque cela constituait un acte passible de mort !

En 1944, il proposa à son parti de créer un syndicat de fellahs.

« Chebbah El-Mekki, dit Abdelhamid Rabia, s’est distingué par l’ingéniosité de sa pensée et la volonté inébranlable de son militantisme à être proche d’Abdelhamid Ibn Badis, d’Ahmed Rédha Houhou et de l’élite du mouvement nationaliste intellectuel à l’aube du mouvement nationaliste algérien à partir de 1924. Défendant l’idée que le communisme et l’islam pourraient cohabiter dans la même pensée, l’interlocuteur indique que Chebbah El-Mekki était un fervent anticolonialiste et un militant coriace, ce qui lui vaut plusieurs peines d’emprisonnements dont la plus célèbre en compagnie d’autres militants communistes lorsqu’il a défié et insulté le féodal Bengana. L’armée française le punit en le ligotant d’une corde et en le traînant à cheval de Biskra à Ouled Djellal, sur une distance de 100 km. »

Dans ses mémoires, Chebbah Mekki raconte cet évènement en disant :

... C’est au cours de l’année 1936 que j’ai été trainé poings liés attachés à une corde tirée par une jument sur un parcours de 130 m km entre Biskra et Ouled -Djellal.

Mon arrestation a eu lieu « un certain jour de 1936 » après une réunion de l’association des Oulémas qui s’était déroulée à Biskra pour fêter la libération du Cheikh El Okbi et de Abbas Turqui qui avaient été accusés à tort de l’assassinat du muphti Kahoul.

A la suite de cette réunion je fus arrêté par le représentant du Bachaga Bengana qui m’avais accusé « d’avoir tenu des propos hostiles à ce dernier et à la France ». Le représentant de Bengana m’a informé que je serai conduit à la prison de Ouled-Djellal où je serai mis aux arrêts durant un mois.

J’ai rejeté ces accusations mensongères et j’ai refusé de me laisser mener à la prison de Ouled-Djellal sans qu’il y ait un jugement en bonne et due forme. C’est donc par la force et en usant de moyens violents que les serviteurs zélés du féodalisme et du colonialisme ont pu me mener à Ouled Djellal.

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L’armée coloniale française avait fait trainer Chebbah Mekki ligoté à l’arrière d’un cheval, sur une distance de 100 km pour le punir d’avoir insulté le Caid Bengana qui était le défenseur des intérêts français.
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Timbre réalisé par le Secours populaire français en soutien à Chebbah Mekki

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A sa sortie de prison, il s’est réfugié à Alger où il est reçu par Cheikh Tayeb El Okbi. Son emprisonnement ne l’a pas dissuadé de continuer son combat contre le colonialisme français. Chebbah El Mekki a continué à produire et militer pour l’indépendance nationale. Cet artiste engagé est également membre des Oulémas Algériens et du parti communiste.

Il est enterré dans sa région natale, à Sidi Okba. Son œuvre artistique et son parcours de révolutionnaire restent inconnus de la génération actuelle. [10]

Dramaturge et homme de théâtre, Chebbah El-Mekki est une icône du théâtre algérien sans sculpture, il a fait du théâtre politique une arme secrète de sensibilisation et d’éveil des valeurs du nationalisme et de l’identité. Témoin de la naissance de l’État algérien, de la guerre de Libération nationale, mais aussi de l’époque coloniale, Chebbah El-Mekki a écrit, adapté et traduit une dizaine de pièces de théâtre, à l’exemple de Waâd el-hak, adaptation de Taha Hussein, Hassan el-hchaychi, Batel essahra, il a édité un livre intitulé Mémoires auréssiennes, [11]
tout en étant le créateur d’une dizaine de troupes et de coopératives théâtrales. [12]

D’après le témoignage de William Sportisse qui l’a connu :

"Chebbah Mekki était un communiste intransigeant dans sa pensée qu’il mettait en concordance avec son action. Il ne souffrait pas ceux qui avaient tendance à se compromettre.

Ahmed Reda Houhou a collaboré aux côtés de Chebbah à la mise en place de la troupe théâtrale de Biskra. Chebbah en parle dans son ouvrage, comme il évoque son activité théâtrale lorsqu’il était à Alger. Le théâtre pour lui devait être un moyen de combattre les valets internes du colonialisme.

Il me disait au lendemain de l’indépendance de l’Algérie :

« Il est plus facile de liquider le colonialisme étranger que celui qui nous est propre ».

Il faisait une distinction entre « Al-istiamar Al-Dakhili oua Al-istiamar Al-Kharidji ». Il en avait fait l’expérience avec le Bachagha Bengana qui l’avait fait trainer, attaché par les mains derrière un cheval sur une distance de 100 kilomètres. Son arrestation à cette époque avait fait l’objet d’une grande campagne pour sa libération en Algérie et en France. Le secours populaire français avait même édité un timbre de solidarité qui représentait Chebbah enchainé et trainé derrière la queue d’un cheval.

Interrogé par le Cheikh Abdelhamid Benbadis sur sa double affiliation à l’association des Oulémas et au PCA qu’il trouvait contradictoire, Chebbah Mekki lui répondit :

" Je suis communiste parce que je suis contre l’exploitation de l’homme par l’homme et contre l’oppression d’un peuple par un autre. J’interprète également l’Islam dans ce sens. Je suis membre du Parti communiste parce que tous ceux qui y sont affiliés, qu’ils soient religieux (musulmans, catholiques ou Juifs) ou qu’ils ne le soient pas, luttent contre l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais les partis qui se réfèrent à la religion et qui la manipulent pour les intérêts de l’exploitation, je ne peux pas y adhérer. 

L’association des oulémas, qui n’est pas un parti, lutte pour que la langue arabe soit officielle pour que l’Islam ne soit pas étouffé ni contrôlé et dirigé par les mesures arbitraires et oppressives du colonialisme. C’est pourquoi il est de mon devoir de militer dans ses rangs car je suis pour la liberté de conscience et pour la séparation du religieux et du politique.

J’ai évoqué cela dans « Le camp des oliviers »  [13]

Chebbah Mekki s’est battu au lendemain de l’indépendance contre les manipulateurs de l’Islam pour servir les intérêts des exploiteurs capitalistes et impérialistes. Il allait dans les mosquées lorsqu’il apprenait qu’un imam obscurantiste et réactionnaire allait présenter un sermon afin de le contredire sur la base des textes religieux. Chebbah Mekki accordait une grande importance à cette bataille. Il la menait parce qu’il était profondément religieux mais ouvert aux idées de progrès de notre siècle, les idées du socialisme-communisme." 

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Ali Sayad
20.08.2016


[1Upon Avon : Ville de naissance de Sheakspeare

[7PCA : Parti communiste algérien

[8PAGS : Parti de l’avant-garde socialiste

[9In Mémoires auréssiennes de Chebbah Mekki - traduction Alger républicain

[11Publication de Chebbah Mekki : Mémoires auréssiennes - souvenirs auréssiens, ouvrage autobiographique.

[13Le camp des oliviers de William Sportisse. Ed. Dar El ijtihad année 2014.


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Chebbah Mekki et Abdelkader Farrah