Etranges étrangers de Mustapha Boutadjine

vendredi 22 janvier 2010
par  Alger républicain

Le vernissage de l’exposition de Mustapha Boutadjine, intitulée « Etranges étrangers » a eu lieu le 17 janvier 2010 au théâtre Victor Hugo de Bagneux dans la région parisienne.

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L’exposition montée par la Maison des Arts de Bagneux, est superbement installée dans le bel espace de deux niveaux qui abrite le théâtre. Les œuvres de Boutadjine, ses personnages, habitent les lieux pour interpeler les visiteurs par la présence de ceux ? qui elle est dédiée.

Le travail de Mustapha Boutadjine veut rendre hommage et inscrire dans les mémoires comme dans un livre d’histoire, les portraits de ceux qui ont combattu et donné jusqu’ ? leur vie pour que s’accomplissent les rêves humains.

Mustapha Boutadjine crée, depuis le début de son œuvre, un musée de portraits inscrits dans l’histoire de l’humanité. Les portraits de ceux qui ont milité, lutté, combattu et vécu pour le progrès et de la défense de la liberté et du droit dans un monde qui aujourd’hui s’en éloigne.

Chaque personnage invité par l’artiste raconte un parcours, un cheminement, une étape, une vie, un engagement.

À l’entrée de l’exposition, accueillis par Mohamed Boudia et Sadek Aissat, dans une grande émotion l’Algérie est l ? , représentée par deux hommes dont l’être s’est fondu dans le combat pour la préservation de l’honneur d’être humain, les visiteurs se détachent aussitôt du poids superficiel du quotidien et vont ? la rencontre de ceux qui les attendent l ? .

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Dans cette exposition, il y a Kateb Yacine, celui qui a toujours débusqué les traitres et continue de le faire encore dans chacune de ses lignes, Ali La pointe campant fièrement ? Bagneux comme il l’aurait fait ? la Casbah, nous avons eu également le bonheur de rencontrer Frantz Fanon, Adonis, Edward Said qui a démasqué les usages et méthodes de ceux qui travaillent ? dominer. Il y avait Mohamed Dib qui nous a restitué l’Algérie qui nous a fait, Abdoulaye Sadji l’écrivain clamant sa négritude, Jean Genêt, explorateur des interdits, Mahmoud Darwich qui immensément nous manque, Cesarea Evora avec sa classe et sa gouaille et aussi Cheikh Sidi Bémol et Rachid Taha ces deux belles voix d’Algérie.

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Il y a Jean Michel Basquiat impétueux créateur qui a donné ? la peinture bourgeoise et ? la société qui s’en délectait, l’immense coup de gueule qui a brisé toutes leurs certitudes, Nelson Mandela qu’on ne raconte pas, Myriam Makeba adoptée comme algérienne qui a illuminé de ses immenses clameurs le superbe Panaf de l’Algérie debout et toutes les scènes du monde et nous a fait encore vibrer ici au théâtre Victor Hugo, Patrice Lumumba rien qu’ ? la regarder, Dulcie September et le merveilleux Steve Biko morts pour que l’Afrique du Sud soit de nouveau offerte ? l’Homme.

Avec ses œuvres, Mustapha Boutadjine inscrit ce et ceux qui portent l’homme et l’artiste en lui dans le travail de talent et de mémoire qu’il réalise.

Pour finir, une représentation théâtrale de la magnifique pièce de Sembène Ousmane : « Les bouts de bois de Dieu » a été présentée au public après le vernissage.

L’exposition se tiendra jusqu’au 16 avril 2010.

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Etranges étrangers

Kabyles de la Chapelle

et des quais de Javel

hommes des pays loin

cobayes des colonies

Doux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d’Italie

.

Boumians de la porte de Saint-Ouen

Apatrides d’Aubervilliers

brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris

ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied

au beau milieu des rues

.

Tunisiens de Grenelle

embauchés débauchés

manœuvres désœuvrés

.

Polacks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone

pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre

rescapés de Franco

et déportés de France et de Navarre

pour avoir défendu en souvenir de la vôtre

la liberté des autres

.

Esclaves noirs de Fréjus

tiraillés et parqués

au bord d’une petite mer

où peu vous vous baignez

.

Esclaves noirs de Fréjus

qui évoquez chaque soir

dans les locaux disciplinaires

avec une vieille boîte ? cigares

et quelques bouts de fil de fer

tous les échos de vos villages

tous les oiseaux de vos forêts

et ne venez dans la capitale

que pour fêter au pas cadencé

la prise de la Bastille le quatorze juillet

.

Enfants du Sénégal

dépatriés expatriés et naturalisés

.

Enfants indochinois

jongleurs aux innocents couteaux

qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés

de jolis dragons d’or faits de papier plié

.

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés

qui dormez aujourd’hui de retour au pays

le visage dans la terre

et des bombes incendiaires labourant vos rizières

.

On vous a renvoyé
.

la monnaie de vos papiers dorés

on vous a retourné

vos petits couteaux dans le dos

.

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville

vous êtes de sa vie

même si mal en vivez

même si vous en mourez.

.

Jacques PRÉVERT

Grand bal du printemps

Éditions Gallimard, 1955