Françafrique en Centrafrique : la France reproduit le « schéma malien », déstabiliser pour mieux intervenir

lundi 25 novembre 2013

La Centrafrique vit une tragédie. Le premier responsable, c’est l’ancienne puissance coloniale. Depuis 1960, elle fait et défait les dictatures, manipule coteries au pouvoir et groupes rebelles. La France a laissé pourrir la situation pour mieux légitimer une intervention impérialiste.

Les chiffres sont incertains, la tragédie réelle : 400 000 déplacés, 1 million de personnes menacés de famine, des milliers de morts depuis le début de l’année, victime des combats mais aussi des exactions des bandes rivales. Qui est responsable de cette situation ?

On peut remonter au début de l’année 2013, il faut surtout remonter à l’indépendance, en 1960, et à la colonisation avant. La Centrafrique est un petit pays de 4 millions d’habitants, mais très riche en ressources naturelles – or, diamants, bauxite, phosphate, uranium, maintenant pétrole.

Pourtant, la Centrafrique est aussi un des pays les plus pauvres du monde : 80 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, fixé à 2 $ par jour, l’espérance de vie ne dépasse pas les 40 ans.

De Bokassa à Bozizé, soixante ans de soutien aux dictatures

La France porte une grande part de responsabilité. Dans ses intérêts, elle a soutenu depuis l’indépendance des dictateurs sanguinaires et des régimes corrompus, appuyé ou maté les putschs de généraux ambitieux, alimenté les conflits communautaires.

On se souvient du fantasque Jean-Bedel Bokassa, caricature de lui-même dans sa mégalomanie impérial, son cannibalisme prétendu, ses cadeaux somptueux aux dirigeants occidentaux (les fameux « diamants de Bokassa » offerts à Giscard d’Estaing).

On oublie que, de 1965 à 1979, c’est avec le soutien de la France qu’il a imposé la terreur, installé un régime de corruption, dilapidé les ressources naturelles pour les offrir aux entreprises occidentales et les gâcher en projets inutiles.

On oublie que si la France l’a déposé en 1979, c’est parce qu’il s’était trop rapproché de la Libye de Kaddafi, menaçant les intérêts français au Tchad.

Son successeur, son cousin David Dacko, que Bokassa avait renversé en 1965 avec l’appui français (Dacko avait eu le malheur de s’ouvrir à la Chine communiste), était lui aussi un ami de la France, lié aux services de secrets. Affaire de familles, affaire d’intérêts (français), affaires mafieuses.

François Bozizé, homme fort (doux euphémisme) de 2003 ? 2013 du pays est une vieille connaissance. Formé par l’armée française, comme Bokasssa, il était son général et bras droit en 1979, lors de la répression sanglante des manifestations étudiantes.

Putschiste ambitieux sous le général brutal Kolingba dans les années 1980 puis chef de la répression sous le corrompu Ange-Félix Patassé dans les années 1990, il continuait pourtant à intriguer, poussant Patassé à le contraindre à l’exil, au Tchad.

C’est là-bas, avec le soutien de l’autocrate tchadien Idriss Déby, de la puissance coloniale française qu’il dépose l’ancien président Patassé et instaure un régime aussi autoritaire et favorable à la France que celui de ses prédécesseurs.

Pendant ses dix ans de règne, Bozizé a pu compter sur la soutien actif de la France, comme en 2007, quand les parachutistes sont intervenus au nord-est du pays pour mater la rébellion.

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De la Libye à la Centrafrique : un continent mis à feu et à sang par la France

Laurent Fabius aime à présenter l’engagement de la France comme une aide au peuple centrafricain « menacé de génocide », une nécessité face à la « menace terroriste ». Une hypocrisie qui ne tient pas l’analyse de ce qui se passe en Centrafrique.

Comme toujours en Centrafrique, c’est la France qui a les cartes en main. Pourquoi a-t-elle laissé son ami Bozizé se faire déposer par les troupes aussi brutales que désordonnées, et mal équipées, de la rébellion dite de la « Séléka » ?

La « Séléka » n’a rien d’une rébellion populaire, c’est une alliance (ce que veut dire « Séléka » en sango) de seigneurs de guerre régionaux, menée par le criminel de guerre ougandais Joseph Kony.

Un ramassis de voyous recrutés dans le lumpen du nord, et surtout une bande bigarrée de mercenaires ougandais, tchandiens, ainsi que d’islamistes du Soudan (les « Jajanwids » responsables des massacres au Darfour), du Nigeria (les fondamentalistes de « Boko Haram ») et du Mali.

Ces bandes armées instrumentalisent la question religieuse – tournant les minorités musulmanes contre la majorité chrétienne – et la question régionale – le Nord riche en ressources contre le Sud – pour briser l’unité du pays et faire main basse sur les zones riches en matières premières, au Nord.

Derrière la « Séléka », on retrouve la main du tchadien Idriss Déby, lui qui participe à toutes les manœuvres de déstabilisation dans la région, dans ses intérêts et ceux de la France. Le grand « démocrate » réélu en 2011 … à 88,7% des voix.

Déby intervient au Mali aux côtés de la France, soutient les rebelles au Soudan qui ont divisé le pays, joue un rôle de médiateur biaisé en Côte d’ivoire, tout en mettant à disposition la base tchadienne pour l’intervention française en Libye.

C’est Déby et le Tchad qui vont mener la mission MISCA dépêchée par l’Union africaine (UA), avec les forces du Gabon d’Ali Bongo, du Cameroun de Paul Biya, du Congo de Denis Sassou N’Guesso : quatre alliés de la France, dirigés par des dictateurs patentés.

Que des éléments islamistes maliens opèrent désormais à Bangui, à 4 000 km du nord du Mali posent plusieurs questions, pointent la duplicité de la position française.

Cela pose la question d’abord de l’intervention de l’OTAN en Libye, avec le renforcement de milices islamistes, armées et financées par les pays occidentaux et les pétro-monarchies du Golfe.

Certains de ces groupes se sont ensuite déplacés au Mali, créant une instabilité qui a donné un prétexte à l’intervention française. Le transfert de ces groupes vers la Centrafrique offre désormais un nouvel alibi à la France qui, en deux ans, aura déstabilisé la moitié du continent.

Le « schéma malien » transposé en Centrafrique

On peut retrouver exactement le schéma de déstabilisation puis d’intervention développé par la France au Mali.

  • la pré-existence d’un gouvernement corrompu, lié directement à la France, que ce soient le gouvernement d’ATT au Mali, ou de Bozizé en Centrafrique, ne se distinguant que par le niveau de violence politique et d’autoritarisme. les deux ont appliqué pendant plus d’une décennie les recettes libérales du FMI, ont multiplié les accords de coopération gagnant-perdant avec la France, dans les domaines économiques et militaires.
  • la découverte de nouvelles sources de matières premières : au Mali comme en Centrafrique, ces dernières années, ont été découvertes de nouvelles réserves pétrolières, dans des pays déjà riches en minéraux (diamants, or, bauxite). Comme le Mali d’ATT, la Centrafrique de Bozizé venait de signer des contrats de prospection avec les firmes pétrolières chinoises tel CNPC, dévoilant des réserves pétrolières se chiffrant en millions de barils, menaçant les intérêts de TOTAL et des firmes occidentales, en général.
  • le « laissez-faire » et soutien indirect aux groupes séditieux terroristes : au Mali, c’étaient les groupes islamistes (AQMI, Ansar al Dine, Muqa) financés par nos amis qataris, en Centrafrique, ce sont les milices alimentées par le Tchad, premier allié dans la région. Dans les deux cas, on laisse se créer des zones de non-droit, au nord, et pourrir une situation sciemment créée.
  • un coup d’État de palais pour mettre fin à l’État souverain : c’était le coup d’État du capitaine Sanogo au Mali, celui de Michel Djotodia en Centrafrique, qui aboutissent rapidement à la faillite de l’État, à la déliquescence des formes armées, à la division du territoire, rendant la situation chaotique et incontrôlable, et une intervention armée extérieure nécessaire.
  • l’intervention militaire française : présentée comme le salut du Mali ou du Centrafrique, avec l’aval de l’ONU, avec le soutien d’une force africaine piochée dans les dictatures de la région (Tchad, Congo, Gabon), elle permet à la France de sécuriser sa position dans la région, et de faire main basse sur les ressources pétrolières.

La Françafrique change … pour ne rien changer : un impérialisme sur la défensive

Lors de son discours à Dakar, en octobre 2012, François Hollande prétendait que « le temps de la Françafrique est révolu », dans la foulée il intervenait au Mali. En janvier 2013, sur la Centrafrique, il réaffirmait que « ce temps-là est terminé ».

Si en janvier, l’armée française a laissé les milices déposer Bozizé, mettre le pays à feu et sang, désormais elle prend prétexte de la protection des ressortissants… qui sont 1 200 en Centrafrique, pour renforcer le contingent. Actuellement, il y a 400 soldats français, soit 1 soldat pour 3 civils.

François Hollande et Laurent Fabius ont appelé ce 20 novembre la communauté internationale à « agir », ils viennent d’annoncer l’envoi de troupes supplémentaires, un bâtiment de guerre vient de partir de Toulon avec 300 hommes à bord, ainsi que plusieurs véhicules blindés et hélicoptères.

Le temps de la Françafrique n’est pas révolu, moins que jamais. La France opère toujours en Afrique pour défendre ses intérêts, celui de ses multi-nationales.

Si la France n’est plus le seul partenaire commercial en Centrafrique, elle reste le premier investisseur. Air France, Bolloré, Castel, France Télécom sont encore parmi les principaux investisseurs dans le pays.

Total est toujours présent en Centrafrique lorgnant sur les champs pétroliers potentiels du Nord, Areva avait signé en 2008 un contrat prometteur pour l’exploitation de la mine d’uranium de Bakouma, espérant diversifier ses sources.

Au-delà des intérêts économiques, la Centrafrique revêt un intérêt stratégique vital pour la France. Il suffit de regarder une carte du continent pour voir la place centrale du pays entouré par le Congo au sud, le Cameroun et le Nigeria à l’ouest, le Soudan à l’est et le Tchad au nord.

Quel lien entre l’intervention française et les intérêts américains ?

Globalement, les États-Unis ont suivi la même position que la France, dans le soutien à la rébellion puis à l’intervention, non sans arrières-pensées potentielles – en profiter pour ouvrir un pays stratégique, chasse-gardée de la France, à l’influence américaine.

Confrontés à leurs limites, désireux de concentrer leurs troupes sur des terrains d’opération prioritaires (en Asie), les États-Unis délèguent – dans la répartition des missions au sein de l’OTAN – désormais leurs opérations en Afrique à des puissances secondaires, la France et la Grande-Bretagne, pour endiguer la puissance chinoise.

Ne nous laissons pas duper par la « rhétorique humanitaire », les arguments éculés et fallacieux sur la « lutte contre le terrorisme », depuis un siècle, c’est la France la force terroriste en Centrafrique. Laissons les peuples africains décider de leur propre sort.

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25.11.13

Repris de Article AC pour http://solidarite-internationale-pc...