Grève des travailleurs du complexe de véhicules industriels de Rouiba : soutenir de toutes ses forces leurs revendications pour déjouer les plans antinationaux des liquidateurs

lundi 7 novembre 2016
par  Alger republicain

En grève depuis plus de 6 jours, les travailleurs du CVI ne limitent pas leurs revendications à la défense de leurs intérêts matériels immédiats comme le droit au départ à la retraite proportionnelle ou sans condition d’âge, la transformation des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée.

Se trouvant au cœur d’un secteur productif stratégique au plan des intérêts et du devenir du pays, ils lient fortement leurs revendications sociales à la préservation de leur outil de travail. En cela ils sont en train de s’affirmer comme la force sociale la plus responsable et la plus consciente parmi les catégories de salariés, celle dont les intérêts de classe convergent avec les intérêts généraux du pays. Cela ressort avec netteté de leurs revendications et des objectifs de leur action.

Le complexe industriel de Rouiba représente une des plus grandes conquêtes de l’industrialisation réalisées par le pays dix ans à peine après son indépendance. Ce fut un des plus grands défis que l’Algérie sut relever dans son aspiration à rompre avec le pacte colonial. Le colonialisme français interdisait la création d’une véritable base industrielle. L’industrie de la métropole ne devait pas être concurrencée en Algérie. Les gros colons s’y opposaient eux aussi. Ils avaient peur que la création d’emplois industriels leur assèche un réservoir de main d’œuvre à très bon marché, taillable et corvéable à merci.
Jusqu’aux années 1950, les colonialistes n’avaient toléré pour de simples raisons de coûts de transport et de profits que les fabriques de transformation des produits agricoles (minoteries, biscuiteries) ou de certains matériaux de construction.

L’industrie métallurgique, mécanique et électrique était inexistante. De petites fonderies sans grande envergure avaient été créées sur le tard pour pourvoir aux besoins de la voirie. Le plan de Constantine lancé en 1959 n’envisageait absolument pas la mise en place d’une industrie de production intégrée de machines et de biens d’équipements à grande échelle, à la hauteur des besoins d’un pays moderne. Il avait été fondamentalement conçu pour tenter de couper le FLN de sa base populaire en faisant miroiter la perspective de la résorption du chômage. Une illusion aussi vaine que ridicule.

La production de camions ou d’autobus devait se limiter au simple montage de pièces fabriquées en France de manière à « optimiser », comme on dit aujourd’hui, la possibilité pour le Capital de réaliser de hauts taux de profit grâce à l’exploitation d’une main d’œuvre abondante et à bon marché. La production du fer devait tout juste procurer à moindres coûts de transport les tubes et la charpente dont l’extraction du pétrole allait avoir besoin.

Le gouvernement algérien a combattu cette humiliante division du travail. Il a rejeté les prétentions des capitalistes français à empêcher l’Algérie de maîtriser les processus industriels, de substituer la production nationale aux importations de biens finis, de passer du stade de l’exportation des produits agricoles bruts et des matières premières tels que le minerai de fer et le phosphate à celui des biens industriels. Il avait mis en place un système étatique de contrôle économique dans le cadre d’une vision globale de développement.
Grâce à ces décisions il avait réussi dans les années 1970 à obliger les multinationales, sous peine de boycottage de leurs produits à l’importation, à passer des accords de création d’installations industrielles dignes de ce nom et comparables à celles des pays industrialisés.
Face à une telle détermination, les plans de Berliet furent revus. Le constructeur français dut accepter de collaborer avec l’Etat algérien pour créer une industrie de véhicules utilitaires fortement intégrée.
Renault a été chassé du pays en 1973 parce qu’il refusait de transformer les ateliers de montage de la célèbre 4L en véritable usine de fabrication intégrée. L’impérialisme français n’avait jamais digéré la volonté du peuple algérien de se libérer de sa tutelle. Mais il a dû changer de tactique en attendant que se réalise son espoir de voir s’installer au pouvoir des dirigeants plus dociles. Même s’il dut attendre longtemps, ses espoirs ont commencé à se réaliser dès les années 1980, pour le plus grand malheur du pays.

Lors de l’inauguration du CVI, Boumediene a laissé un écrit rédigé de sa propre main pour exposer en quelques mots les objectifs à atteindre. Il annonçait que ce complexe traduisait l’ambition de l’Algérie de poser les premiers jalons de l’après-pétrole, de satisfaire sa demande interne en biens industriels modernes et de se préparer à se transformer en pays exportateur de biens industriels finis, camions, tracteurs, téléviseurs, tubes d’acier, etc. La vision néo-colonialiste française de perpétuation du pacte colonial venait d’être brisée pour la première fois dans un pays anciennement colonisé par la France.

C’était cependant sans compter avec les mesquins calculs et la mentalité de colonisés aliénés de toute une catégorie sociale dont les rêves ne franchissent pas le stade de la possession d’appartements de hauts standing à Paris et qui de ce fait ont peur plus que tout de mécontenter les maîtres de l’autre rive de la Méditerranée.

En plus de la casse savante du CVI, ces responsables sans honneur ont traîné le peuple algérien dans la honte en célébrant il y a deux ans, dans un concert de tbal et de zorna, en compagnie de l’infâme Fabius, la création de l’atelier de montage de tramway de Annaba. Une manifestation de liesse pour fêter un bond en arrière de plus de 40 ans et le retour dans le giron des anciens colonisateurs. Les responsables n’ont pas craint de présenter cet atelier symbole d’aplatissement devant les volontés de l’impérialisme français comme une grande percée de l’industrialisation et un exemple modèle de coopération avec la France ! Modèle exemplaire en effet pour une caste d’individus à genoux devant les multinationales, fêtant comme une victoire l’ouverture d’ateliers de montage de camions ou de voitures de tourisme aux quatre coins du pays. Victoire de qui sur qui ? Victoire des puissances impérialistes sur l’Algérie servies par des valets méprisables.

La classe ouvrière, les ingénieurs, les techniciens, les cadres, étaient remplis de fierté aux pieds des fonderies, des marteaux-pilons, des machines dernier cri en ces années 1970. Ils ont symbolisé la capacité du peuple algérien à traduire en actes son rêve de s’extraire de la domination économique, de se transformer en peuple de producteurs, d’innovateurs, apportant sa contribution au savoir et au travail moderne universel.

Comment ne pas comprendre l’immense sentiment de dégoût et de désolation qui saisit ces ouvriers, ces ingénieurs, ces cadres quand ils entendent parler Tahkout ? Un atelier de montage réalisé à Tiaret en partenariat avec Hyndaï, telle est la « prouesse » de cet individu que des marionnettistes opérant en coulisses ont propulsé à la tête d’un immense empire de bus d’importation ! Et que nous explique-t-il avec l’infantilisme du béat dont la vue de dépasse pas le cadre d’un pare-brise ? Que le taux d’intégration de cet atelier n’atteindra les 50% que dans 5 ans et que cette intégration consistera au bout de ces 5 ans à peindre la tôlerie, poser des vitres, à produire des plaquettes de freins, des jantes, des câbles électriques, et d’autres petits accessoires que notre nouveau « capitaine d’industrie » assimile avec fierté à une entrée dans le monde industriel !

Produire des plaquettes de freins, la fabrique privée Alfreix savait le faire à Oued Smar dès la fin des années 1960 avant de disparaître sous les coups des importateurs à qui l’Etat a transféré en 1990 le monopole qu’il avait institué dans les années 1970 pour encourager et stimuler la production nationale.

La conception des ateliers de Tahkout et de ses semblables est aux antipodes de la réalisation des ambitions industrielles nationales confiées au CVI de Rouiba et à Cimotra de Constantine. Ces deux grands ensembles fabriquent dans le vrai sens du terme moteurs, châssis, pièces forgées, etc. Ils ont joué le rôle de creuset dans lequel s’est accumulé un savoir-faire industriel et s’est forgée une main d’œuvre hautement qualifiée, malheureusement dilapidée en raison de la politique de sabotage menée de l’intérieur de l’Etat par les forces liées au capital étranger.

Des ministres et responsables prétendent qu’il font tout pour sauver le CVI. En réalité, comme le décrivent les syndicalistes, tout est fait pour asphyxier et asséner au CVI le coup de grâce avec un art aussi raffiné que machiavélique. Il est en effet impossible de poursuivre en même temps deux politiques antagonistes dans leur principe. On ne peut d’un côté favoriser une politique d’assemblage de pièces importées à l’aide de crédits publics massifs et à bon marché, d’exonérations fiscales et de diverses subventions déguisées, de coups de pouce au niveau des douanes, des agences foncières. Et, de l’autre, discourir sur la préservation des acquis industriels du CVI sans prendre les décisions les plus simples pour le délivrer de tous les boulets qu’on lui fait sciemment traîner depuis 30 ans. Et parmi ces boulets auxquels le CVI est enchaîné, il y a une dette héritée des sujétions imposées par l’Etat pour impulser le développement mais qu’on a laissé grossir sciemment. Pour couler le complexe, on lui a appliqué le remède de l’autonomie financière sans le débarrasser de ses dettes.

Le CVI comme Cimotra ont vendu des dizaines de milliers de camions ou de tracteurs à un prix fixé par l’Etat, en dessous de leur coût de revient. L’Etat devait leur verser des compensations pour équilibrer leurs finances. On fit semblant depuis les années 1980 de s’intéresser à ce problème mais sans qu’aucune décision sérieuse ne fût prise dans ce sens. Les prétendues opérations d’assainissement financiers ne s’attaquaient pas à la racine du problème. Les choses ont toujours été faites de manière à entretenir l’étranglement financier du secteur public par l’accroissement en spirale de la dette.

La dette du CVI s’élevait à 2 milliards de DA en 1991. Elle a atteint 65 milliards de DA en 2002. Multipliée par 32 ! Sous l’effet de la dévaluation du dinar et de la hausse des taux d’intérêt en application de la vison monétariste des réformateurs des années 1990. Depuis 2002 plus aucune chiffre n’a filtré.
La dette a enflé depuis 40 ans sous les coups des agios et des intérêts sur découverts bancaires, charges aggravées par le prélèvement de 50 % du chiffre d’affaire qu’effectuent les banques sur les entreprises publiques endettées. Pompage vampirisant les entreprises publiques sur décision du gouvernement depuis les années 1990. Un prélèvement qui interdit tout redressement véritable, tout projet sérieux. Il rive les responsables des unités industrielles à une gestion au jour le jour, malgré toute la bonne volonté dont ils pourraient faire preuve.
En 2002 les responsables du CVI ont eu beau réclamer du gouvernement qu’il transforme cette dette en capital du moment que l’entreprise comme la banque créancière appartiennent à un même propriétaire, l’Etat, ils n’ont pas été entendus. La raison de cette surdité ? Les gouvernants ne veulent pas s’engager dans un processus sérieux de redressement du secteur public. Liés aux milieux d’affaires, ils n’ont nulle envie de montrer que contrairement à ce qu’affirment les défenseurs du secteur privé, il est possible et indispensable de faire réussir le secteur public. Ils excluent catégoriquement une telle option. Elle serait contraire à leurs buts d’enrichir les plus riches, à leur volonté de tourner définitivement la page d’une politique qui réanimerait le spectre de la perspective socialiste. Par intérêt de classe, pour accumuler leurs fortunes illicites et celles de leurs amis, pour renforcer leurs liens avec le Capital étranger, par alliance contre leur peuple avec les Etats impérialistes et les multinationales, ils ne veulent pas de ce choix, quitte à ruiner le pays.

Le CVI n’a produit depuis le début de l’année que 560 camions et mini-bus. A comparer aux 6672 camions et aux 730 bus produits en 1986 !
C’est tout dire sur l’immense potentiel industriel, humain et technique existant qu’il faut absolument sauver.

Honneur aux travailleurs du CVI qui en posant leurs problèmes de survie sonnent en même temps l’alerte :


- pour que tous s’unissent autour de la sauvegarde de ce grand acquis du développement national,

- pour que soient démasqués les commanditaires de sa liquidation,


- pour obliger le pouvoir à mettre en route toutes les mesures nécessaires à l’assainissement de la situation,

- pour la relance de l’édification d’une véritable industrie mécanique, la consolidation, l’extension et la fructification du savoir-faire industriel accumulé depuis l’indépendance.

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R.E
07.11.16