Impressions « à chaud » sur les mémoires de William Sportisse

dimanche 18 novembre 2012

Le 1er novembre 2012, la librairie Envie de Lire, à Ivry-sur-Seine dans le Val de Marne, a vêtu les couleurs de l’Algérie pour commémorer le 58e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale. Douze heures de rencontres ont donné l’opportunité aux participants et aux invités d’apprendre, d’échanger et de confronter leurs points de vue sur ce pan de l’histoire de l’Algérie qui reste un des évènements majeurs qui ont marqué le 20e siècle.

A cette occasion, William Sportisse a présenté son livre « Le camp des oliviers : parcours d’un communiste algérien », paru aux éditions Presses Universitaires de Rennes (2012), qu’il a coécrit avec un jeune historien, Pierre-Jean Le Foll-Luciani.

Pour le communiste que je suis et qui n’a cessé de réclamer des anciens camarades qu’ils livrent leurs témoignages, cette parution est une première victoire contre le révisionnisme, le reniement et contre les falsificateurs de tous acabits.

Aussi, je ne voudrais pas que William « censure » mon intervention par excès de modestie. J’ai besoin de livrer mon sentiment sur cet évènement non comme un éloge institutionnel à un camarade exemplaire après la sortie de son livre mais comme la remise d’un devoir dont le sujet porte sur la fidélité d’un communiste à ses convictions et dont l’action militante peut à tout moment lui ôter la vie. L’exemple de Maurice Audin, autre militant communiste algérien lâchement assassiné par l’armée coloniale française, soutient cette thèse que son épouse Josette résume ainsi dans une réponse livrée à des historiens qui cherchent à éluder les conditions dans lesquelles sont mari a été assassiné :
« Ce sont ses convictions communistes que je partage autant que son goût pour les sciences. Nous étions tous deux conscients des risques que nous faisaient courir nos engagements politiques ».

Son témoignage m’inspire cette anecdote : en juin 1994, j’ai accompagné Boualem Khalfa à son rendez-vous avec William Sportisse dans un café parisien. William a quitté l’Algérie sous la menace des tueurs intégristes. Le but de cette rencontre est de le convaincre de rejoindre les rangs du PADS (Parti Algérien pour la Démocratie et le Socialisme, héritier du PCA, officiellement créé un an auparavant par des camarades restés fidèles au marxisme-léninisme, après des mois de débats et de rencontres clandestines).

La discussion est âpre. Elle a longuement porté sur les erreurs commises par les communistes facilitant de fait la liquidation du Parti de l’Avant-Garde Socialiste, le PAGS, en janvier 1993. Elle a également porté sur la trahison de nombreux dirigeants, sur leur statut social et leurs parcours personnels qui les ont naturellement conduit au révisionnisme et au reniement. L’exigence d’une autocritique publique du PAGS a « miné » cette rencontre. Mais l’évidence est là : comment faire l’autocritique d’un parti qui n’existe plus, qui vient d’être dissout par ceux-là même qui, profitant de l’air du temps, ont célébré à leur manière la chute du mur de Berlin en créant une nouvelle organisation sociale-démocrate acquise au « capitalisme moderne » ?

Les deux anciens se sont compris. Leur conviction communiste a tranché le débat : la reconstruction du parti communiste algérien, marxiste-léniniste, dont la classe ouvrière, la paysannerie et leurs alliés ont tant besoin, est une tâche prioritaire. Il faut s’y atteler sans délai.

L’échange mémorable que se sont livrés les deux anciens ne m’a pas permis d’intervenir dans le débat. Cependant, j’ai écouté avec attention William que je vois pour la première fois. Son parcours, son engagement et sa personnalité l’ont précédé depuis longtemps déjà. Je le connais sans l’avoir jamais rencontré auparavant. Il est égal à sa réputation : homme de conviction, intègre, modeste, exigeant, discipliné. Je suis heureux d’apprendre qu’il n’a pas fuit ses responsabilités politiques ; qu’il ne s’est pas exilé pour prendre sa retraite politique mais pour protéger sa vie et celle de sa compagne Gilberte.

Malgré son âge avancé, William continue de militer avec la force d’un jeune. Il est impressionnant ! De plus, tout intellectuel et dirigeant qu’il est, il a toujours les mains dans le cambouis. Il ne dénie aucune tâche, de la plus « ingrate » à la plus « noble ». C’est exemplaire. J’en témoigne !

Pour autant, malgré la campagne calomnieuse orchestrée contre les militants communistes et le déni de leur apport historique à la lutte contre le colonialisme et à l’édification de l’Algérie indépendante, les anciens tardent à restituer leurs mémoires pour rétablir la vérité. A force, on s’est presque résigné à l’idée que nos ainés qui, dans leur quotidien, continuent de baliser le sillon qui conduira inexorablement les générations futures vers la création du Parti communiste algérien, marxiste-léniniste, malgré le contexte international et national délétère, ne le feront jamais. A force, j’ai pensé qu’ils ont fait le choix, conscient ou non, de laisser à d’autres ce travail de mémoire avec le risque de travestir leurs engagements et de dévoyer leurs combats.

Mais voilà, « enfin William Sportisse se livre ! Les combats d’une vie vouée à la justice et à la fraternité. » La librairie « Envie de Lire », nous a fait l’agréable surprise de présenter son témoignage avant sa parution officielle. Le camp des oliviers a été écrit à partir de nombreux entretiens oraux de plusieurs heures chacun, effectués entre février 2007 et mai 2011, et d’un travail de réécriture commune hebdomadaire. Ce livre est une restitution mémorielle dont les faits et les évènements ont été soigneusement confrontés aux archives (« jusqu’ici inexplorés ») par Pierre-Jean Le Foll-Luciani.

Ce document valorise la parole d’un témoin comme source orale et mémorielle même si les cassandres de la politique dénigrerons cette mémoire, celle d’un communiste algérien fidèle défenseur de l’action de son parti politique et de ses camarades, comme manquant d’objectivité. Mais la force du livre est que la subjectivité assumée du témoin est confrontée à la vérité des archives personnelles (conservées par William), à celles du Centre des archives d’outre-mer d’Aix -en-Provence, des Archives départementales du Rhône et du Centre d’archives militaires du Blanc, mais également à des rapports de police, parfois vieux de 70 ans comme précisé par les auteurs.

Ce livre n’est pas un survol abstrait, parce que dépassé, de l’histoire contemporaine de la lutte du peuple algérien contre le colonialisme, mais une contribution militante active et vivante d’un authentique patriote, d’un communiste algérien, à la lutte des travailleurs du monde entier contre l’exploitation capitaliste et contre les velléités expansionnistes des puissances impérialistes,

Le livre paraîtra bientôt en Algérie. Il sera traduit en arabe dans les prochaines semaines. Je vous invite à le lire et à le faire lire.

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A. Bendris

17.11.2012