Insurrection et intervention militaire : Tentative de coup d’État des États-Unis et de l’OTAN en Libye ?

vendredi 25 mars 2011

( Libye - <span class="caps">DR</span> (in Mondialisation.ca)

Partie I

Les États-Unis et l’OTAN appuient une insurrection armée dans l’est de la Libye dans le but de justifier une « intervention humanitaire ».

Il ne s’agit pas d’un mouvement de protestation non violent comme ceux de l’Égypte et de la Tunisie. Les conditions en Libye sont fondamentalement différentes. L’insurrection armée dans l’est de la Libye est directement soutenue par des puissances étrangères. Les insurgés ? Benghazi ont immédiatement hissé la bannière rouge, noire et verte avec le croissant et l’étoile : le drapeau de la monarchie du roi Idris, symbolisant le règne des anciennes puissances coloniales. (Voir Manlio Dinucci, La Libye dans le grand jeu du nouveau partage de l’Afrique, le 25 février 2011)

Les conseillers militaires et les Forces spéciales des États-Unis et de l’OTAN sont déj ? sur le terrain. L’opération a été planifiée pour coïncider avec les manifestations dans les pays arabes voisins. On a fait croire ? l’opinion publique que le mouvement de protestation s’est étendu spontanément de la Tunisie ? l’Égypte et ensuite ? la Libye.

L’administration Obama en consultation avec ses alliés assiste une rébellion armée, ? savoir, une tentative de coup d’État :

« L’administration Obama reste prête ? offrir « tout type d’assistance » au Libyens cherchant ? déloger Mouammar Kadhafi, a affirmé la secrétaire d’État Hillary Clinton [le 27 février]. « Nous avons contacté de nombreux Libyens de différents horizons qui tentent de s’organiser ? l’est et ? l’ouest, ? mesure que la révolution avance également dans cette direction. Je crois qu’il est trop tôt pour dire comment cela va se dérouler, mais les États-Unis seront prêts et préparés ? offrir tout type d’assistance souhaitée. » Dans la partie est du pays, l ? où la rébellion a débuté au milieu du mois, les efforts visant ? former un gouvernement provisoire sont en branle. »

Clinton a affirmé que les États-Unis menacent de prendre d’autres mesures contre le gouvernement de Kadhafi, mais n’a pas mentionné leur nature ou quand elles seraient annoncées.

Les États-Unis devraient « reconnaître le gouvernement provisoire que l’on est en train de mettre sur pied [...] » [McCain]

Lieberman s’est exprimé en des termes similaires, préconisant « un appui tangible, [une] zone d’exclusion aérienne, la reconnaissance d’un gouvernement révolutionnaire, le gouvernement des citoyens, ainsi qu’un appui sous forme d’aide humanitaire et d’armes » (Clinton : US ready to aid to Libyan opposition - Associated, Press, 27 février 2011, c’est l’auteur qui souligne)

L’invasion planifiée

Une intervention militaire est maintenant envisagée par les forces des États-Unis et de l’OTAN en vertu d’un « mandat humanitaire ».

« « Les États-Unis sont en train de repositionner leurs forces navales et aériennes dans la région » pour préparer « leur gamme complète d’options » ? l’égard de la Libye : c’est ce qu’annonce hier (mardi 1er mars) le porte-parole du Pentagone, colonel de marines Dave Lapan. Il a ainsi dit que « c’est le président Obama qui a demandé aux militaires de préparer ces options », car la situation en Libye empire. ». ( Manlio Dinucci, Opération Libye en préparation, Le Pentagone « repositionne » les forces navales et terrestres, Mondialisation.ca, le 2 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne)

Le véritable objectif de l’« Opération Libye » n’est pas d’instaurer la démocratie mais de prendre possession des réserves de pétrole du pays, de déstabiliser la Compagnie pétrolière nationale de Libye (CPN ou NOC en anglais) et de privatiser tôt ou tard l’industrie pétrolière du pays, c’est- ? -dire transférer le contrôle et la propriété de la richesse pétrolière libyenne dans des mains étrangères. La CPN est au 25e rang des 100 compagnies pétrolières les plus importantes. (The Energy Intelligence ranks NOC 25 among the world’s Top 100 companies. - Libyaonline.com)

La Libye est l’une des plus importantes économies pétrolières au monde, avec approximativement 3,5 % des réserves mondiales de pétrole, plus du double de celles des États-Unis. (Pour plus de détails voir la 2e partie de cet article « Opération Libye » et la bataille du pétrole.)

L’invasion planifiée de la Libye, laquelle est déj ? en cours, fait partie de la plus vaste « bataille du pétrole ». Près de 80 % des réserves pétrolières de la Libye se situent dans le bassin du golfe de Syrte dans l’est du pays. (Voir la carte ci-dessous)

Les hypothèses stratégiques derrière l’« Opération Libye » évoquent les engagements militaires des États-Unis et de l’OTAN en Yougoslavie et en Irak.

En Yougoslavie, les forces des États-Unis et de l’OTAN ont déclenché une guerre civile. Le but était de créer des divisions ethniques et politiques, lesquelles ont finalement mené ? l’éclatement d’un pays entier. Cet objectif a été atteint par la formation et le financement clandestin d’organisations paramilitaires armées, d’abord en Bosnie (Armée bosniaque, 1991-95) puis au Kosovo (Armée de Libération du Kosovo (ALK), 1998-1999). La désinformation médiatique (incluant des mensonges purs et simples et des fabrications) a été utilisée ? la fois au Kosovo et en Bosnie pour appuyer les affirmations des États-Unis et de l’Union européenne voulant que le gouvernement de Belgrade ait commis des atrocités, justifiant ainsi une intervention militaire pour des raisons humanitaires.

Ironiquement, l’« Opération Yougoslavie » est maintenant sur les lèvres des responsables de la politique étrangère des États-Unis : le sénateur Lieberman a « comparé la situation en Libye aux événements dans les Balkans dans les années 1990 lorsqu’il a dit : les États-Unis « sont intervenus pour arrêter un génocide ? l’endroit des bosniaques. Et ce que nous avons fait en premier lieu a été de leur fournir des armes pour qu’ils se défendent. Je crois que c’est ce que nous devrions faire en Libye ». » (Clinton : US ready to aid to Libyan opposition - Associated, Press, 27 février 2011, c’est l’auteur qui souligne)

Le scénario stratégique consisterait ? faire des pressions en faveur de la formation et de la reconnaissance d’un gouvernement intérimaire dans la province sécessionniste dans le but de faire éclater le pays tôt ou tard.

Cette option est déj ? en cours. L’invasion de la Libye a déj ? débuté.

« Des centaines de conseillers militaires étasuniens, britanniques et français sont arrivés en Cyrénaïque, la province séparatiste de l’est de la Libye [...] Les conseillers, incluant des agents du renseignement, sont débarqués des navires de guerre et des bateaux lance-missiles dans les villes côtières de Benghazi et Tobrouk.  » (DEBKAfile, US military advisers in Cyrenaica, 25 février 2011)

Les États-Unis et les Forces spéciales alliées sont sur le terrain dans l’est de la Libye et fournissent un appui clandestin aux rebelles. Cela a été admis lorsque des commandos des Forces spéciales SAS britanniques ont été arrêtés dans la région de Benghazi. Ils agissaient ? titre de conseillers militaires pour les forces de l’opposition :

« Le Sunday Times révèle aujourd’hui qu’alors qu’ils étaient en mission secrète pour mettre des diplomates britanniques en contact avec des opposants majeurs du colonel Mouammar Kadhafi en Libye, huit commandos des Forces spéciales britanniques ont été humiliés après avoir été détenus par des forces rebelles dans l’est de la Libye.

Les hommes, armés, mais en tenue civile, ont affirmé qu’ils étaient l ? pour vérifier les besoins de l’opposition et offrir de l’aide.  » (Top UK commandos captured by rebel forces in Libya : Report, Indian Express, 6 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne)

Les forces SAS ont été arrêtées alors qu’elles escortaient une « mission diplomatique » britannique entrée au pays illégalement (sans aucun doute ? bord d’un navire de guerre britannique) pour discuter avec les chefs de la rébellion. Le Foreign Office britannique a admis qu’« une petite équipe diplomatique britannique [avait été] envoyée dans l’est de la Libye pour prendre contact avec l’opposition soutenue par des rebelles ». (U.K. diplomatic team leaves Libya - World - CBC News, 6 mars 2011).

Ironiquement, les reportages confirment non seulement une intervention militaire occidentale (comprenant des centaines de forces spéciales), ils reconnaissent également que la rébellion était fermement opposée ? la présence illégale de troupes étrangères en sol libyen :

« L’intervention des SAS a irrité les opposants libyens qui ont ordonné que les soldats soient enfermés sur une base militaire. Les opposants de Kadhafi craignent qu’il utilise toute preuve d’interférence militaire occidentale pour former un appui patriotique en faveur de son régime.  » (Reuters, 6 mars 2011)

Le « diplomate » britannique capturé avec sept soldats des Forces spéciales était un membre du service de renseignement britannique, un agent du MI6, en « mission secrète ». (The Sun, 7 mars 2011)

Des armes sont fournies aux forces de l’opposition et cela est confirmé par des déclarations des États-Unis et de l’OTAN. Malgré l’absence de preuves établies ? ce jour, des signes indiquent que des armes ont été livrées aux insurgés avant l’attaque contre la rébellion. Selon toute probabilité, des conseillers militaires et du renseignement des États-Unis et de l’OTAN étaient également sur le terrain avant l’insurrection. C’est le modèle appliqué autrefois au Kosovo : des forces spéciales ont entraîné et soutenu l’Armée de libération du Kosovo (ALK) dans les mois précédant la campagne de bombardement et l’invasion de la Yougoslavie en 1999.

Toutefois, alors que les événements se déroulent, les forces du gouvernement libyen ont repris le contrôle des lieux détenus par les rebelles :

« L’importante offensive lancée par les forces pro-Kadhafi [le 4 mars] pour arracher des mains des rebelles le contrôle des villes et des centres pétroliers les plus importants de la Libye leur a permis de reprendre la ville clé de Zawiya [le 5 mars] et la plupart des villes pétrolières autour du golfe de Syrte. À Londres et Washington, des pourparlers d’intervention militaire aux côtés de l’opposition libyenne ont été mis en sourdine lorsque l’on a réalisé que le renseignement sur le terrain, des deux côtés du conflit, était trop sommaire pour servir de base ? la prise de décision. » (Debkafile,Qaddafi pushes rebels back. Obama names Libya intel panel, 5 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne)

Le mouvement d’opposition est fortement divisé sur la question d’une intervention étrangère.

Il y a division entre le mouvement populaire et les « chefs » de l’insurrection armée appuyée par les États-Unis et favorisant une intervention militaire étrangère « pour des raisons humanitaires ».

La majorité des Libyens, ? la fois les opposants et les partisans du régime, sont fermement opposés ? toute forme d’intervention extérieure.

Désinformation médiatique

Les objectifs stratégiques plus vastes sous-jacents ? l’invasion proposée de la Lybie ne sont pas mentionnés par les médias. À la suite d’une campagne médiatique trompeuse, où les nouvelles ont littéralement été fabriquées sans que l’on rapporte ce qui se passait sur le terrain, un large secteur de l’opinion publique internationale a accordé son appui inflexible ? une intervention pour des raisons humanitaires.

L’invasion est sur la planche ? dessin du Pentagone. On prévoit la mettre en œuvre sans tenir compte des demandes de la population libyenne, y compris les opposants du régime qui ont exprimé leur aversion pour une intervention militaire étrangère dérogeant ? la souveraineté de la nation.

Déploiement de forces navales et aériennes

Si l’intervention militaire était mise ? exécution, elle entraînerait une guerre totale, une blitzkrieg, impliquant le bombardement de cibles militaires et civiles.

À cet égard, le commandant du Commandement central étasunien (USCENTCOM), le général James Mattis, a suggéré que l’implantation d’une « zone d’exclusion aérienne » impliquerait de facto une campagne de bombardement extrême ciblant entre autres le système de défense antiaérienne libyen :

« Il s’agirait d’une opération militaire. Il ne suffirait pas de dire aux gens de ne pas piloter d’avion. Il faudrait éliminer la capacité de défense antiaérienne afin d’établir une zone d’exclusion aérienne, donc il ne faut se faire d’illusions. » (U.S. general warns no-fly zone could lead to all-out war in Libya, Mail Online, 5 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne).

Une puissance navale massive des États-Unis et des alliés a été déployée le long de la ligne de côte libyenne.

Le Pentagone envoie ses navires de guerre vers la Méditerranée. Le porte-avions USS Enterprise avait pour sa part transité par le canal de Suez dans les jours qui ont suivi l’insurrection. (http://www.enterprise.navy.mil )

Les navires d’assaut amphibies des États-Unis, l’USS Ponce et l’USS Kearsarge, ont également été déployés en Méditerranée.

Quatre cents Marines étasuniens ont été envoyés sur l’île de Crète en Grèce « avant d’être déployés sur des navires de guerre partant pour la Libye. ( « Operation Libya » : US Marines on Crete for Libyan deployment, Times of Malta, 3 mars 2011).

Pendant ce temps, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Italie sont en train de déployer des navires de guerre le long de la côte libyenne.

L’Allemagne a déployé trois navires de combat en prétextant aider ? l’évacuation de réfugiés ? la frontière entre la Libye et la Tunisie. « La France a décidé d’envoyer le Mistral, son porte-hélicoptères, lequel, selon le ministère de la Défense, contribuera ? évacuer des milliers d’Égyptiens. »(Towards the Coasts of Libya : US, French and British Warships Enter the Mediterranean, Agenzia Giornalistica Italia, 3 mars 2011) Le Canada a envoyé la frégate de la Marine NCSM Charlottetown.

Entre-temps, la 17e Force aérienne étasunienne dénommée US Air Force Africa, située sur la base aérienne de Ramstein en Allemagne, aide ? l’évacuation de réfugiés. Les forces aériennes des États-Unis et de l’OTAN en Grande-Bretagne, en Italie, en France et au Moyen-Orient sont en attente.

Article original en anglais : Insurrection and Military Intervention : The US-NATO Attempted Coup d’Etat in Libya ?, publié le 7 mars2011.

Traduit par Julie Lévesque pour Mondialisation.ca

Lire la suite (Article II ) : L’« Opération Libye » et la bataille du pétrole : Redessiner la carte de l’Afrique

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Partie II

L’intervention militaire menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Libye comporte des implications géopolitiques et économiques d’une portée considérable.

La Libye est l’une des plus grandes économies pétrolières du monde : elle détient 3,5 % des réserves mondiales de pétrole, soit plus du double de celles des États-Unis.

 Opération Libye » fait partie du programme militaire élargi au Moyen-Orient et en Asie centrale et qui consiste ? prendre le contrôle et ? s’approprier plus de 60 % des réserves mondiales de pétrole et de gaz naturel, y compris les tracés de pipelines et de gazoducs.

Les pays musulmans, incluant l’Arabie Saoudite, l’Irak, l’Iran, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Yémen, la Libye, le Nigéria, l’Algérie, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, la Malaisie, l’Indonésie et le Brunéi possèdent entre 66,2 et 75,9 % de toutes les réserves pétrolières, selon la source et la méthodologie d’évaluation. (Michel Chossudovsky, La « diabolisation » des musulmans et la bataille pour le pétrole, Mondialisation.ca, 7 janvier 2007).

Avec ses 46,5 milliards de barils de réserves prouvées (10 fois plus que l’Égypte) la Libye constitue la plus grande économie pétrolière du continent africain, suivie par le Nigeria et l’Algérie (Oil and Gas Journal). À titre de comparaison, les réserves de pétrole prouvées des États-Unis sont de l’ordre de 20,6 milliards de barils (décembre 2008) selon l’Energy Information Administration (U.S. Crude Oil, Natural Gas, and Natural Gas Liquids Reserves)

Les évaluations les plus récentes estiment les réserves pétrolières de la Libye ? 60 milliards de barils et ses réserves de gaz ? 1500 milliards de mètres cube (m3). Sa production de pétrole se chiffre entre 1,3 et 1,7 millions de barils par jour, bien en-deç ? de sa capacité de production. Son objectif ? plus long terme est de produire 3 millions de barils de pétrole et 2600 millions de m3 de gaz par jour, selon les données de la Compagnie pétrolière nationale (CPN).

Le BP Statistical Energy Survey (alternatif, 2008) estimait pour sa part les réserves pétrolières prouvées de la Libye ? 41,464 milliards de barils ? la fin de 2007, ce qui représente 3,34 % des réserves mondiales prouvées. (Mbendi Oil and Gas in Libya - Overview).


Le pétrole est le « trophée » des guerres menées par les États-Unis et l’OTAN

Une invasion de la Libye sous mandat humanitaire servirait les mêmes intérêts privés que l’invasion et l’occupation de l’Irak en 2003. L’objectif sous-jacent est de prendre possession des réserves de pétrole de la Libye, de déstabiliser la CPN et, en dernier lieu, de privatiser l’industrie pétrolière du pays, soit transférer le contrôle et la propriété de la richesse pétrolière libyenne dans des mains étrangères.

La CPN est au 25e rang des 100 compagnies pétrolières les plus importantes du monde. (The Energy Intelligence ranks NOC 25 among the world’s Top 100 companies. - Libyaonline.com)

L’invasion planifiée de la Libye, déj ? en cours, fait partie d’une bataille plus vaste, la « bataille du pétrole ». Près de 80 % des réserves pétrolières de la Libye se trouvent dans le bassin du golfe de Syrte ? l’est de la Libye. (Voir la carte ci-dessous)

La Libye a une économie remarquable (Prize Economy). « La guerre est bonne pour les affaires ». Le pétrole est le trophée des guerres menées par les États-Unis et l’OTAN.

Wall Street, les géants anglo-américains du pétrole et les producteurs d’armes étasuniens et européens seraient les bénéficiaires cachés d’une campagne militaire contre la Libye menée par les États-Unis et l’OTAN.

Le pétrole libyen constitue une aubaine pour les géants du pétrole anglo-américains. Alors que la valeur marchande du pétrole brut est actuellement bien au-del ? des 100 dollars le baril, le coût du pétrole libyen est extrêmement bas, aussi bas que 1 dollar le baril (selon une estimation). Un expert du marché pétrolier l’a fait remarquer de manière plutôt cryptique :

« À 110 dollars [le baril] sur le marché mondial, un simple calcul mathématique donne ? la Libye une marge de profit de 109 $ [le baril]. » (Libya Oil, Libya Oil One Country’s $109 Profit on $110 Oil, EnergyandCapital.com, 12 mars 2008)

Intérêts pétroliers étrangers en Libye

Les compagnies pétrolières étrangères en activité en Libye avant l’insurrection comprenaient Total de France, ENI d’Italie, China National Petroleum Corp (CNPC), British Petroleum (BP), le consortium espagnol REPSOL, ExxonMobil, Chevron, Occidental Petroleum, Hess et Conoco Phillips.

Le fait que la Chine joue un rôle central dans l’industrie libyenne est significatif. La CNPC avait un effectif de quelque 400 employés. Les effectifs chinois totaux en Libye étaient de l’ordre de 30 000.

Onze pour cent (11 %) des exportations de pétrole de la Libye sont acheminées par la Chine. Alors qu’il n’existe pas de chiffres sur la taille et l’importance de la production et des activités d’exploration de la CNPC, certaines indications laissent croire qu’elles sont importantes.

De manière plus générale, Washington considère la présence de la Chine en Afrique du Nord comme une intrusion. D’un point de vue géopolitique, la Chine est un empiètement. La campagne militaire dirigée contre la Libye est destinée ? exclure la Chine de l’Afrique du Nord.

Le rôle de l’Italie est également important. ENI, le consortium pétrolier italien, produit 244 000 barils de gaz et de pétrole, ce qui représente presque 25 % des exportations totales de la Libye. ( Sky News : Foreign oil firms halt Libyan operations, 23 février 2011).

Parmi les compagnies étasuniennes en Libye, Chevron et Occidental Petroleum (Oxy) ont décidé il y a ? peine six mois (octobre 2010) de ne pas renouveler leurs permis d’exploration de pétrole et de gaz en Libye. (Why are Chevron and Oxy leaving Libya ? : Voice of Russia, 6 octobre 2010). En revanche, en novembre 2010, la compagnie pétrolière allemande R.W. DIA E a signé un accord de grande envergure avec la CPN libyenne, comprenant l’exploration et le partage de la production. (AfricaNews - Libya : German oil firm signs prospecting deal - The Africa News)

Les enjeux financiers et les « butins » sont extrêmement importants. L’opération militaire a pour but de démanteler les institutions financières de la Libye ainsi que de confisquer des milliards de dollars d’actifs financiers déposés dans des banques occidentales.

Il faut par ailleurs souligner que les capacités militaires de la Libye, y compris son système de défense antiaérienne, sont faibles.

Redessiner la carte de l’Afrique

La Libye détient les plus grandes réserves pétrolières de l’Afrique. Le but de l’interférence des États-Unis et de l’OTAN est stratégique : il consiste ? voler purement et simplement la richesse pétrolière du pays sous le couvert d’une intervention humanitaire.

Cette opération militaire vise ? établir l’hégémonie étasunienne en Afrique du Nord, une région dominée historiquement par la France et, dans une moindre mesure, par l’Italie et l’Espagne.

En ce qui concerne la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, le plan de Washington consiste ? affaiblir les liens politiques de ces pays avec la France et ? faire pression pour l’installation de nouveaux régimes politiques ayant des rapports étroits avec les États-Unis. Affaiblir la France fait partie des ambitions impériales étasuniennes. Il s’agit d’un processus historique remontant aux guerres d’Indochine.

L’intervention des États-Unis et de l’OTAN, qui mènera tôt ou tard ? la formation d’un régime fantoche étasunien, a également pour but d’exclure la Chine de la région et d’évincer la CNPC. Les géants du pétrole anglo-américains ayant signé un contrat d’exploration en 2007 avec le gouvernement Kadhafi, dont BP, font partie des potentiels « bénéficiaires » de la proposition d’opération militaire des États-Unis et de l’OTAN.

De manière plus générale, c’est le dessin d’une nouvelle carte de l’Afrique qui est en jeu : un autre processus de division néocoloniale, la réforme des démarcations de la Conférence de Berlin de 1884 et la conquête de l’Afrique par les États-Unis, alliés ? la Grande-Bretagne, dans une opération menée par les États-Unis et l’OTAN.

Libye : une porte d’entrée stratégique du Sahara vers l’Afrique centrale

La Libye a des frontières avec plusieurs pays dans la sphère d’influence de la France, dont le Tchad, le Niger, l’Algérie et la Tunisie.

Le Tchad représente potentiellement une riche économie pétrolière. ExxonMobil et Chevron ont des intérêts au sud du Tchad, y compris un projet de pipeline. Le sud du Tchad est une porte ouverte sur la région du Darfour au Soudan, lui aussi stratégique, vu sa richesse pétrolière.

La Chine a pour sa part des intérêts pétroliers ? la fois au Tchad et au Soudan. La CNPC a signé un accord d’envergure avec le gouvernement tchadien en 2007.

En raison de ses vastes réserves d’uranium, le Niger est également stratégique pour les États-Unis. En ce moment, la France domine l’industrie de l’uranium par le biais de son conglomérat nucléaire Areva, autrefois connu sous le nom de Cogema. La Chine a également un intérêt dans l’industrie de l’uranium nigérien.

De façon plus générale, la frontière sud de la Libye est stratégique pour les États-Unis dans leur quête d’une plus grande sphère d’influence en Afrique francophone, un vaste territoire couvrant le nord, le centre et l’ouest du continent. Historiquement, cette région appartenait aux empires coloniaux de la France et de la Belgique et ses frontières ont été dessinées ? la Conférence de Berlin en 1884.

Les États-Unis ont joué un rôle passif ? la Conférence de Berlin en 1884. Cette nouvelle division du continent africain au 21e siècle, fondée sur le contrôle du pétrole, du gaz naturel et de minéraux stratégiques (cobalt, uranium, chrome, manganèse, platine et uranium), favorise principalement les intérêts privés anglo-américains dominants.

L’interférence des États-Unis en Afrique du Nord redéfinit la géopolitique d’une région entière. Elle ébranle la Chine et fait ombrage ? l’influence de l’Union européenne.

Ce nouveau découpage du continent réduit non seulement le rôle des anciens pouvoirs coloniaux en Afrique du Nord (incluant la France et l’Italie), il fait aussi partie d’un processus élargi visant ? supplanter et affaiblir la France (et la Belgique) sur une vaste étendue du continent africain.

Les régimes fantoches étasuniens ont été installés dans plusieurs pays africains autrefois dans la sphère d’influence de la France (et de la Belgique), dont la République démocratique du Congo et le Rwanda. Il est planifié que plusieurs pays d’Afrique occidentale (incluant la Côte d’Ivoire) deviennent des États mandataires des États-Unis.

Par ailleurs, l’Union européenne dépend grandement du flux de pétrole libyen : 85 % de celui-ci est vendu ? des pays européens. En cas de guerre avec la Libye, l’approvisionnement de pétrole en Europe de l’Ouest pourrait être perturbé davantage et affecter sérieusement l’Italie, la France et l’Allemagne. Trente pour cent du pétrole italien et 10 % de son gaz sont importés de la Libye. L’alimentation en gaz libyen se fait par le gazoduc Greenstream en Méditerranée.

Conclusions

Par une désinformation intensive, les médias dominants sont complices dans la justification d’un programme militaire, lequel, s’il est mis en œuvre, n’aurait pas seulement des conséquences dévastatrices pour les Libyens : le monde entier en ressentirait les effets sociaux et économiques.

À l’heure actuelle, il existe trois théâtres de guerre distincts dans le grand Moyen-Orient et en Asie centrale : la Palestine, l’Afghanistan et l’Irak. En cas d’attaque contre la Libye, un quatrième théâtre de guerre prendrait naissance en Afrique du Nord, comportant le risque d’une escalade militaire.

L’opinion publique doit prendre connaissance des intentions cachées derrière cette présumée entreprise humanitaire que les chefs d’États et de gouvernements des pays de l’OTAN proclament comme une « guerre juste ». La théorie de la guerre juste, autant dans sa version classique que contemporaine, soutient que la guerre est une « opération humanitaire ». Elle appelle ? l’intervention militaire sur des bases éthiques et morales contre des « États voyous » et des « terroristes islamiques ». Cette théorie de la guerre juste diabolise le régime de Kadhafi tout en fournissant un mandat humanitaire ? l’intervention militaire des États-Unis et de l’OTAN.

Les chefs d’États et de gouvernements des pays de l’OTAN sont les artisans de la guerre et de la destruction en Irak et en Afghanistan. Dans une logique complètement tordue, ils sont présentés comme les voix de la raison, comme les représentants de la « communauté internationale ».

La réalité est sens dessus dessous. Une intervention humanitaire est lancée par des criminels de guerre en haut lieu, lesquels sont les gardiens incontestés de la théorie de la guerre juste.

Abou Ghraib, Guantanamo, les pertes civiles dans des villes et des villages pakistanais dues aux attaques de drones ordonnées par le président Obama ne font pas la une des journaux, pas plus que les 2 millions de civils morts en Irak.

Il n’existe rien de tel qu’une « guerre juste ». Il faut comprendre l’histoire de l’impérialisme étasunien. Le rapport de 2000 Project for the New American Century intitulé (PNAC) « Rebuilding Americas’ Defenses » réclame la mise en œuvre d’une longue guerre, d’une guerre de conquête. L’une des composantes importantes de ce programme militaire consiste ? « [s]e battre et gagner de manière décisive de multiples guerres de théâtre simultanées ».

L’« Opération Libye » fait partie de ce processus. Il s’agit d’un autre théâtre dans la logique de « guerres de théâtre simultanées » du Pentagone.

Le document PNAC reflète fidèlement l’évolution de la doctrine militaire des États-Unis depuis 2001. Les États-Unis prévoient être impliqués simultanément dans plusieurs théâtres de guerre dans différentes régions du monde.

Tout en confirmant que l’objectif est la protection du pays, la « sécurité nationale » des États-Unis, le rapport PNAC explique clairement pourquoi ces multiples guerres de théâtre sont nécessaires. La justification humanitaire n’est pas mentionnée.

Quel est le but de la feuille de route militaire des États-Unis ?

La Libye est ciblée parce qu’elle est l’un des quelques pays ? se maintenir en dehors de la sphère d’influence des États-Unis et qu’elle ne s’est pas conformée aux demandes étasuniennes. La Libye est un pays sélectionné dans le cadre d’une « feuille de route » militaire, laquelle comporte « de multiples guerres de théâtre simultanées ». Pour reprendre l’ancien commandant en chef de l’OTAN Wesley Clark :

[A]u Pentagone en novembre 2001, un officier d’état-major de haut rang avait du temps pour discuter. Oui, nous nous dirigions toujours vers une confrontation avec l’Irak, a-t-il affirmé. Mais il y avait plus. Cela faisait l’objet de discussions dans la planification d’une campagne de cinq ans, disait-il, où l’on trouvait en tout sept pays, en commençant par l’Irak, ensuite la Syrie, le Liban, le Lybie l’Iran, la Somalie et le Soudan. (Wesley Clark, Winning Modern Wars, p.130).


Michel Chossudovsky

Le 10 mars 2011

Article original en anglais : « Operation Libya" and the Battle for Oil : Redrawing the Map of Africa », publié le 9 mars 2011.

Traduction Julie Lévesque pour Mondialisation.ca

Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur émérite de sciences économiques ? l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre et de la Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller international publié en 12 langues).


Michel Chossudovsky est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca.

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