L’immolation par le feu d’un chômeur et son procès

lundi 12 novembre 2012
par  Alger républicain

Compte rendu d’une séance de tribunal imaginaire quelque part dans notre pays.

Le président d’un tribunal :

Tentative d'immolation - Accusé levez-vous et répondez à mes questions. Votre identité est bien A. B. et vous êtes né en 1980 à Mascara. C’est bien cela ?

  • Oui.
  • Quelle horreur ! Vous avez grand besoin de vous éduquer. Quand vous répondez à mes questions, ajoutez monsieur le président, je vous prie.
  • Oui, monsieur le président.
  • Bien. Vous avez tenté de mettre fin à vos jours en vous immolant par le feu. Grâce à la diligence des ambulanciers et des services hospitaliers, vous avez eu la vie sauve. Mais savez-vous que par votre geste vous avez contrevenu à la loi qui condamne ce genre d’actes. De plus, de manière inconsidérée, vous avez occasionné le dérangement des pompiers dont le rôle essentiel est d’éteindre les incendies de commerces, des entreprises, et accessoirement , des habitations et des forets.
  • Je le sais, monsieur le président.
  • Vous avez également entrainé de grands frais d’hospitalisation, de médicaments pour vous soigner et malgré les efforts du corps médical vous voilà maintenant handicapé à vie, c’est-à -dire devenu inutile à la société. Vous avez ainsi porté atteinte à l’économie et à l’unité nationale. Le savez-vous ? Qu’avez-vous à déclarer pour votre défense ?
  • Monsieur le président, j’ai tenté de mourir en me brulant parce que je ne pouvais plus assurer les besoins de mes enfants, de mon épouse, de ma mère et mon père qui sont très âgés et sont sans ressource après toute une vie de labeur pénible et de ma jeune belle-sœur qui est orpheline. Je n’avais pas même les moyens de payer nos aliments et encore moins mon loyer. Je sais que c’est comme un abandon des miens. Mais, j’étais démoralisé et sans espoir de m’en sortir, je n’avais aucune solution et même l’immolation n’en est pas une, je le sais, monsieur le président. Mais qu’auriez-vous fait à ma place ?

Le juge d’une voix sourde marquée de colère :

  • Il n’est pas question que je me mette à votre place ! Comment osez-vous ? Le problème est que vous avez pu, malgré tout, vous débrouiller de l’argent pour acheter de l’essence et des allumettes, n’est-ce pas ?
  • Non, monsieur le président, j’ai siphonné l’essence dans le réservoir d’une voiture et emprunté les allumettes à un ami.
  • Que vous ayez des problèmes sur le plan financier, j’en suis convaincu, mais vous n’êtes pas le seul. Moi-même je connais parfois ce problème et en souffre, modérément bien sûr. De toute façon, ce n’est pas une raison valable pour justifier votre geste.
  • Ignorez-vous que des millions de personnes connaissent les mêmes difficultés dans notre pays. Excepté, bien évidemment, ceux qui sont assez intelligents et savent faire d’importantes économies. Si tous les gens qui sont dans votre cas suivaient votre exemple, la population de l’Algérie se réduirait rapidement à la portion congrue et notre beau pays deviendrait vite un vaste désert inhabité, sauf bien sûr, je le répète, pour ceux qui, avec grande intelligence, sauraient réaliser de grosses économies. Si votre exemple se généralisait, qui travaillerait pour redresser notre belle Algérie et qui, par le travail, aiderait nos élites qui savent si bien gérer leur fortune ? Veuillez répondre à cette question, s’il vous plait !
  • Monsieur le président, sans travail comment aurai-je pu faire des économies ? Et lorsque, par chance, je trouve un petit travail pour quelques jours mon salaire est si petit que je ne peux rien mettre de côté. Pour le reste, je ne sais que répondre à votre question, monsieur le président. Je ne suis pas assez instruit pour cela.
  • A la vérité, je n’éprouve aucune compassion pour vous, vous n’en êtes pas digne. Et comme vous êtes incapable d’apporter une réponse sérieuse pour justifier votre geste inconsidéré, vous êtes condamné à dix ans de prison et à une amende de dix millions de dinars pour abandon de famille, tentative de désertification de notre pays et atteinte à l’unité nationale de notre chère patrie. Vous devrez aussi payer les frais entrainés par votre stupidité.
  • Gendarmes, emmenez-le !

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Malik Antar

Article publié dans le numéro Alger républicain juillet août 2012