La baisse du prix du pétrole et des recettes d’exportation des hydrocarbures inquiète les travailleurs*

jeudi 1er octobre 2015
par  Alger republicain

Depuis la fin de l’été de l’an dernier, le prix moyen du baril du pétrole exporté par l’Algérie a chuté de moitié : 54,3 dollars au cours du 1er trimestre 2015 contre 113 dollars en juin 2015. Les recettes pétrolières et gazières ont donc diminué de moitié. La baisse n’a probablement pas terminé sa course vers l’abîme, étant donné la décrue de la demande de pétrole de la Chine confrontée à un ralentissement du rythme de sa croissance économique. Les ventes de pétrole et de gaz n’ont ramené que 8,7 milliards de dollars au cours du 1er trimestre 2015 contre 15,6 milliards de dollars durant la période correspondante de 2014. La balance commerciale a subi un déficit de plus de 4 milliards de dollars pour ce seul 1er trimestre. A ce déficit il faut ajouter, pour ne citer que les postes les plus importants, le solde des entrées et des sorties de devises au titre des recettes et des dépenses de services, de la rémunération des salariés étrangers, du rapatriement des profits des sociétés étrangères installées en Algérie : compagnies pétrolières (plus de 6 milliards de dollars en 2012 à elles seules), banques et sociétés d’assurances, Ooredoo, Lafarge, etc., sans compter ceux des innombrables entreprises de commerce.

Au total, le solde global de la balance des paiements a été négatif durant ce trimestre de près de 11 milliards de dollars. Plus simplement dit, les caisses en devises de l’Etat se videront de 44 milliards de dollars d’ici la fin de l’année si cette tendance se poursuit !
Le déficit est épongé par des prélèvements sur les réserves de change. Au total, sur les 15 derniers mois, de décembre 2013 à fin mars 2015, l’Algérie a perdu 34 milliards de dollars. Les réserves officielles de change hors or sont tombées en trois mois, entre décembre 2014 et mars 2015, de 179 à 160 milliards de dollars. Elles s’étaient établies à 194 milliards de dollar fin 2013. C’est dire que leur tendance à l’amenuisement n’a pas commencé avec la chute du prix du pétrole.

La pression des couches sociales exploiteuses et parasitaires a poussé à la gabegie

En vérité dès le début des années 2000, l’appétit insatiable des nouveaux riches s’est enflammé à mesure que le prix du baril de pétrole s’envolait.

L’argent coulant à flots, les dirigeants de l’ère Bouteflika n’ont observé et ne pouvait observer aucune prudence, tout aux petits soins des nouveaux riches qu’ils étaient. L’argent du pétrole recyclé dans les dépenses publiques s’accroissait à un rythme effréné, sans répondre à aucune priorité liée la relance de l’investissement productif. Il s’est retrouvé dans les coffres blindés des importateurs, des pseudo industriels, champions du conditionnement et du façonnage de biens importés, des patrons d’entreprises de bâtiment et de travaux publics dont la spécialité est le travail bâclé, condamné à être sans cesse refait sur le dos du trésor public.

La valeur des importations a démesurément explosé, augmentant presque deux fois plus vite que celle des exportations. Entre 2001 et 2013, les importations sont passées de 9,5 à 65,8 milliards de dollars. Le volume des exportations, évoluant à un rythme inférieur, est passé de 19,1 à 68,5 milliards de dollars.

Rien que pour les véhicules de tourisme, les importations ont totalisé entre 2005 et 2014 la somme faramineuse de 20 milliards de dollars. Curieusement les statistiques douanières les classent dans les biens d’équipement ! Si l’on y ajoute les véhicules de transport de marchandises et de voyageurs, les tracteurs pour semi-remorques, la somme dépensée s’est élevée à près de 41 milliards de dollars, sans compter les pièces détachées et les pneumatiques importées. Le gouvernement n’a pas jugé nécessaire de consacrer, ne serait-ce que 5% de cette somme au développement des capacités de production du Complexe de véhicules industriels de Rouiba et de la carrosserie industrielle de Tiaret. Il « attendait » l’arrivée des « Investissements Directs Etrangers » pour que l’Algérie se mette à produire ce que des Entreprises publiques auraient pu faire si le régime n’avait décidé de se « retirer » de la production matérielle en application des dogmes d’un libéralisme antinational primaire. Les « IDE » ont préféré les champs pétroliers où des taux de profit supérieurs à 500% sont garantis, ou encore le secteur des banques et des sociétés d’assurances.

Combien de temps l’économie algérienne pourra-t-elle encore tenir avant d’avoir dilapidé complètement son épais matelas en devises, si le prix du baril de pétrole ne remonte pas, si la politique économique du régime orientée vers des importations massives au détriment de l’investissement productif interne n’est pas radicalement modifiée ? Deux ans ? Moins ? Pourra-t-elle, en cas de nécessité, convertir en liquidités mobilisables les bons qu’elle détient sur le Trésor américain et sur d’autres banques et institutions internationales sans devoir les monnayer à vil prix ?

La baisse des recettes d’exportation des hydrocarbures a pour effet de réduire la fiscalité pétrolière qui alimente les recettes budgétaires de l’Etat, jusqu’à proportion des deux-tiers de leur montant en 2012. Il faut s’attendre en l’absence de changements de régime politique et économique radicaux à une forte inflation provoquées par les manipulations auxquelles se livreront ou se livrent déjà les gros détenteurs de la masse monétaire. Les importateurs et les gros propriétaires privés de tous secteurs augmentent les prix des biens qu’ils importent afin de compenser la baisse du volume physique des importations consécutive à la diminution des sommes que leur allouent les banques pour payer leurs achats à l’étranger. Le commerce extérieur s’est retrouvé depuis les réformes de 1987-1990 sous la coupe d’une poignée de brigands bénéficiant de l’accès sans condition, ni garantie préalable, à l’argent des banques publiques. Argent public, par contre, chichement accordé à des entreprises publiques stratégiques à l’image du Complexe de véhicules industriels de Rouiba, du Complexe de vannes de Berrouaghia, de Sider d’El Hadjar, de la tuberie sans soudure de cette même ville, de la chaudronnerie de Simas de Hassi Ameur (Arzew), purement et simplement liquidée en 2008, du complexe de tracteurs CIMOTRA de Constantine, etc. Toutes ces entreprises viables et porteuses d’un potentiel de redressement incontestable ont été condamnées à végéter. Ne parlons pas de celles qui ont été fermées, comme les dizaines d’usines de chaussures, de confection et de textile, publiques ou privées, dont la production a été remplacée par les importations.

La détérioration des comptes financiers externes était prévisible pour toute personne sensée qui a tiré des leçons du passé sans être experte en la matière. Les enseignements des conséquences de la chute brutale du prix du pétrole de 1985 n’ont été « oubliés » que par les tenants d’un régime transformé en appareil dévoué à la satisfaction des aspirations d’une bourgeoisie et de couches parasitaires avides de richesses faciles. Les travailleurs ont payé la note de la crise de 1985 par les flots de larmes et de sang provoqués par le terrorisme, les licenciements massifs, la fermeture des usines. Les responsables du système mis en place en 1980, les architectes de la politique de dilapidation des ressources de la nation n’ont pas souffert des affres du terrorisme. Ils n’ont pas connu le chômage, ni la faim et les maladies mal ou non soignées faute de moyens. Ils n’ont rendu compte à personne des fruits pourris de leur politique. Au contraire, il ont été les premiers grands bénéficiaires de la libéralisation qu’ils avaient décidée et de la constitution de sociétés d’importations gavées avec l’argent des banques publiques.

Si la facture des importations s’est envolée ces quinze dernières année, les causes ne résident pas dans certaines dépenses d’équipement indispensables, mais avant tout dans le refus du régime de relancer l’industrialisation en réhabilitant le secteur public et la planification, dans la corruption généralisée qui se traduit pas la surfacturation des biens et services importés et des devis gonflés des travaux publics, comme l’ont montré certains procès, dont celui de l’autoroute.

La cause fondamentale réside dans le contrôle du commerce extérieur par des groupes oligarchiques puissants liés à des fonctionnaires « ripous » à tous les niveaux de l’Etat. Cette cause réside aussi dans la concentration de la majeure partie du revenu national dans les mains d’une minorité qui s’est enrichie sans contrepartie aucune dans la production. La demande sans cesse plus forte de biens de luxe d’importation, de biens destinés à équiper les demeures somptueuses des riches, a explosé parce que la redistribution des revenus pétroliers par le canal des budgets publics a donné naissance à un immense secteur commercial et a généré une corruption et des activités parasitaires dans des proportions monstrueuses.

Les profits exorbitants du secteur privé, commerce ou « industriel », ont été gonflés par :

  • la baisse des impôts sur les bénéfices des sociétés, leur taux ayant été réduit par les gouvernements successifs de 54% à 19% entre 1988 et 2015, la baisse n’ayant servi qu’à élever le standing de vie de ses bénéficiaires,
  • la fraude fiscale et l’emploi de travailleurs au « noir », la diminution des taxes douanières sur les produits importés, les subventions étatiques destinées soi-disant à « promouvoir » le secteur privé, qui n’ont rien promus hormis l’étalage insolent de luxe.

A cela il faut ajouter les prix de monopole imposés par les fournisseurs et les constructeurs d’équipements, énergétiques en particulier. Par exemple, le pouvoir a été complaisant en sauvant Alstom pour gagner les faveurs du gouvernement français, en la laissant dicter des prix prohibitifs sur le renouvellement, l’équipement et l’électrification, non justifiée, du réseau ferroviaire. Même scénario avec General Electric pour ses fournitures de turbines électriques. Fuite en avant aussi dans le recours systématique à des techniciens étrangers pour la maintenance des installations industrielles, dans le secteur privé notamment mais aussi dans le public. Multiplication de cliniques privées faisant appel à des chirurgiens étrangers officiant à prix d’or pour soigner des « clients » fortunés ; trafics de MittalArcelor qui a exporté de la ferraille et des produits sidérurgiques à des prix sous-facturés pour alimenter les profits du groupe ; rapatriement des profits faramineux des sociétés pétrolières et d’une multitude d’entreprises étrangères activant dans des activités de commerce et de service sans utilité pour le pays, tels Desjardins pour la publicité dans les aéroports, Desjoyaux pour la pose de piscines, Carrefour, magasins d’habillement de luxe, téléphonie mobile, sociétés d’assurances et succursales de grandes banques internationales, dont le pays n’a absolument nul besoin, etc.

L’orgie de dépense des devises aurait été évitée sous un régime politique et économique différent, soucieux d’abord de mettre à profit l’explosion des recettes pétrolières pour construire une base économique solide. Le régime a donné satisfaction aux exigences les plus folles du Capital. Mais plus il donne, plus celui-ci en redemande.

Les travailleurs, les masses laborieuses sont-ils condamnés à vivre une deuxième fois le même scénario, encore plus douloureux que celui de la décennie noire ?

La banqueroute est-elle inéluctable ? Le pays n’a-t-il vraiment pas d’autre choix que d’assister avec impuissance à la volatilisation de ses réserves de change et à ne plus pouvoir importer les aliments de base et les médicaments, les biens essentiels au fonctionnement de son économie et de ses services hospitaliers, sans de nouveau se laisser happer par la spirale écrasante de l’endettement extérieur ? Faut-il laisser faire ceux qui nous murmurent déjà que le recours aux marchés financiers internationaux n’est pas un mal à prohiber mais le signe d’une mentalité « ouverte et moderne » se matérialisant dans l’insertion dans un monde économique internationalisé ? Le danger est sérieux pour les travailleurs et les masses populaires car le chef du gouvernement a laissé entendre qu’il n’excluait pas le recours à la finance internationale si besoin est. Une position scandaleuse dont l’aboutissement prévisible sera l’appauvrissement des travailleurs et l’enrichissement des plus riches comme le montre l’expérience algérienne et les souffrances endurées par les Grecs, les Portugais, les Espagnols, tous impitoyablement écrasés sous le talon de fer de l’oligarchie financière internationale
Non, cette perspective n’est absolument pas fatale. Ce sont les classes possédantes et leurs plumitifs qui cherchent à nous persuader du contraire.

La vérité est que les ressources financières procurées par l’exportation du pétrole, même avec un baril à un prix en baisse, et les réserves de change existantes constituent encore une chance historique pour le pays s’il est dirigé par un régime démocratique populaire mettant en application une politique de classe au service des travailleurs et du peuple, au service du développement des forces productives.

La vérité est que même avec un niveau de recettes très bas, le pays peut assurer à ses travailleurs et aux masses populaires des conditions de vie décente et la sécurité du lendemain. Il peut consacrer ses revenus pétroliers aux besoins du développement des secteurs qui substituent la production nationale à l’importation des produits les plus essentiels et non à celle des produits superflus, encore moins pour alimenter la fuite des capitaux à travers la surfacturation des biens importés par les magnats qui contrôlent le commerce extérieur.

La dépréciation du dinar opérée pour soi-disant réduire les importations, suivant on ne sait quel « taux de change effectif réel » d’équilibre, n’est pas la solution. Cette « solution » reflète au fond un mépris de classe pour les travailleurs. Tous les régimes capitalistes l’appliquent pour réduire le pouvoir d’achat des travailleurs et augmenter les taux de profit de la bourgeoisie. Les commerçants, les gros agrariens, les industriels ont la possibilité de répercuter la hausse du prix des biens, des équipements et des matières premières importés. Ce qu’ils perdent, ils le récupèrent au double. Mais les travailleurs ne peuvent protéger leur pouvoir d’achat que s’ils arrachent des augmentations de salaires au prix de luttes collectives difficiles.

Encore plus scandaleuse est l’amnistie fiscale déguisée consistant à imposer à 7% seulement l’argent que les tenants de l’informel voudront bien déposer dans les banques.
Face à la catastrophe qui s’annonce contre les intérêts des masses populaires, les travailleurs doivent s’organiser et se battre pour une alternative qui préserve les intérêts du pays et les leurs.

Les solutions sont économiques et politiques :

  • S’attaquer aux sources de la spéculation par des mesures radicales, tel que le changement de monnaie pour assécher la masse monétaire détenue par les affairistes, les spéculateurs et les exploiteurs ;
  • enlever le commerce extérieur, au moins dans un premier temps dans les secteurs les plus importants, des mains des sociétés privées et le confier à des offices publiques ;
  • prohiber l’importation des biens superflus, en tenant compte des seules possibilités de paiement du pays, mettre fin aux activités parasitaires, en particulier des sociétés étrangères établies dans le commerce et les services, dont le pays n’a nul besoin et qui n’engendrent que l’hémorragie des devises ;
  • consacrer les recettes pétrolières à la relance de l’investissement industriel des entreprises publiques, promouvoir les capacités nationales de production de machines, d’équipements, de maintenance, de réparation et de reproduction de la base économique existante, en liaison avec une réorientation des universités des sciences et des techniques, des sciences économiques, vers les besoins de la production ;
  • aider la petite paysannerie de manière à réduire la facture des importations alimentaires de base.
  • faire face aux conséquences sociales de la réduction des recettes d’exportation sur l’emploi et les revenus des catégories de travailleurs employés dans les secteurs dépendant de la dépense publique et de la distribution des produits importés, tels que le BTP ;
  • constituer des organes d’une planification démocratique, scientifique et impérative, afin d’assurer la coordination d’ensemble de l’économie.

Toutes ces mesures et d’autres supposent la mobilisation consciente des travailleurs, leur organisation et leur union car les couches sociales enrichies par les ressources pétrolières, les classes exploiteuses, les multinationales, leurs Etats impérialistes n’accepteront pas de se voir retirer le gâteau de la bouche. Cela suppose des transformations politiques radicales, l’instauration d’un Etat au service exclusif des masses populaires, soutenu par elles pour mettre en application un programme de redressement et de relance du développement, résister aux manœuvres et pressions agressives des puissances impérialistes hostiles à la transformation de l’Algérie en pays industriel indépendant, échappant à leur mainmise.

Zoheir BESSA

Août 2015

*Article publié dans le numéro de juillet-août 2015 d’Alger républicain