Société Nationale des Transports Ferroviaires : la grève des conducteurs de trains a pris fin mais les problèmes indirectement posés ne sont pas réglés

jeudi 19 mai 2016
par  Alger republicain

Les conducteurs de trains ont mis fin mardi dernier à la grève qu’ils avaient déclenchée le 8 mai. L’arrêt de travail a été suivi par l’ensemble des « tractionnaires »

Ils ont dû recourir à cette action pour appuyer les 5 revendications auxquelles la direction de la SNTF a fait la sourde oreille ou n’a répondu que par des promesses sans cesse repoussées pour gagner du temps afin d’user les cheminots dans des palabres interminables.

Ils ont revendiqué :

  • leur repositionnement dans la nomenclature des postes de travail par la classification du mécanicien en C3 au lieu de B3 ;
  • la majoration des vendredis et jours fériés à 100% ;
  • l’application de la prime de nuit pour les trains circulant la nuit de 21h à 5h du matin conformément à la convention de branche ;
  • la majoration de la prime de rendement kilométrique à raison de 25% la matinée, 50% la soirée et 100% la nuit.
  • la prime de surveillance pour la rubrique 155.

Comme d’habitude la direction de la société a réagi en traitant les conducteurs de trains d’irresponsables, en les accusant de prendre en otages les usagers, de plonger l’entreprise dans un abîme de déficit, etc. Toutes sortes de qualificatifs destinés à les discréditer. Les journaux ont relayé cette campagne de dénigrement au nom du « devoir d’informer » adoptant la posture facile de celui qui prétend se tenir « au-dessus des parties » mais qui se place objectivement du côté du patronat, fût-il public.

La direction de la SNTF a immédiatement saisi la justice pour « violation de la loi » ( la loi du « réformateur » Hamrouche qui met des bâtons dans les roues des actions ouvrières). La justice a évidemment déclaré illégale la grève. Rien d’étonnant car l’action des conducteurs de trains ne pouvait se conformer aux conditions absurdes de la « loi » dont la seule logique est de tuer dans l’œuf les protestations en les soumettant à une série de préalables impossibles à satisfaire. D’ailleurs pratiquement toutes les grèves que le pays a connues depuis l’adoption de cette loi en 1990 par une assemblée héritée du temps du parti unique ont été « illégales » et nombre de dirigeants syndicaux ont été traînés devant les tribunaux, interpelés ou incarcérés.

La grève a donc été initiée par le comité de coordination des conducteurs de trains sans l’accord de la Fédération des transports ferroviaires de l’UGTA. On pourrait dire en dépit de l’opposition de cette structure maison dont la seule fonction en tant que fédération de l’UGTA est d’empêcher toute grève. Au nom du respect sacré du pacte social conclu entre le patronat, le gouvernement et l’UGTA, Sidi Saïd a juré qu’il n’y aurait plus de grèves, le régime de Bouteflika étant à ses yeux le garant suprême des intérêts des travailleurs ! La Fédération s’est donc mise du côté de la direction de la SNTF. Elle a ensuite « pris le train en marche » pour pouvoir contrôler la grève en engageant des discussions avec la direction.

On comprend bien que soutenir la grève c’est non seulement remettre en cause ce pacte de collaboration avec les patrons mais donner le feu vert à une avalanche d’actions revendicatives à un moment où le pouvoir s’attaque aux acquis des travailleurs sous prétexte de faire face à la crise des recettes pétrolières.

Les « mécaniciens » avaient donc raison de ne rien attendre de la fédération hormis des croche-pieds et des obstructions. D’autant plus que comme la plupart des Fédérations UGTA elle n’a pas de représentativité, son mandat ayant expiré depuis longtemps. Mais la fédération a trouvé le moyen de négocier avec la direction de la SNTF pour limiter l’action des grévistes et éteindre le feu qui pourrait se propager dans le secteur.

En conséquence, promesse est faite de donner suite à la plate-forme revendicative en 5 points. On ignore dans quelles proportions les primes seront revalorisées. Mais la direction de la SNTF a usé de l’arme classique de la division en s’opposant au repositonnement sous prétexte que tous les travailleurs de la société et pas seulement les conducteurs de trains sont concernés par cette révision et que satisfaire cette demande pousserait l’ensemble des 12 000 travailleurs de l’entreprise à se lancer à leur tour dans cette revendication. Outre le chantage, l’astuce a consisté à faire appel à un bureau d’études spécialisé en « ressources humaines » pour présenter un projet de reclassification d’ensemble.
Grossière manœuvre de diversion quand on sait q’une opération aussi complexe demande des mois d’études.

Les conducteurs de trains ont donc repris le travail sans être certains que leurs revendications seront sérieusement entendues. Il est vrai que leur action est tombée au « plus mauvais moment ». L’opinion téléguidée par les grands médias - eux-mêmes aux mains des divers clans d’oligarques mafieux - est braquée sur l’OPA de Rebrab sur le journal El Khabar. On ne peut mieux saisir concrètement la diversion savamment orchestrée qu’à travers cette grève. Voilà une action de protestation indirecte contre une politique d’austérité ne frappant que les travailleurs qui se trouve étouffée par le vacarme médiatique autour du « droit » du multimilliardaire mafieux Rebrab à se doter d’un journal arabophone.
Et au lieu que la solidarité se manifeste en faveur des cheminots, il se crée artificiellement des comités « Je suis Rebrab », des comités de soutien à celui qui ne doit son émergence qu’à la mamelle généreuse du système. Déjà que Rebrab ne tolère aucune grève dans ses entreprises et coupe impitoyablement ses placards publicitaires à tout journal qui s’en fait l’écho, on voit bien dans quel malheur se retrouveraient les cheminots si - par une hypothèse plausible - un jour une OPA rebrabienne, ou haddadienne - appuyée par l’artillerie lourde médiatique des nouveaux magnats venait à cibler la SNTF pour la forcer à ouvrir son capital aux détenteurs de l’argent sale.

En fait les cheminots sont les premiers à avoir posé à leur manière, directement ou indirectement, la question de la riposte à la politique d’austérité du pouvoir. Mais cette manière inévitable n’a pas été perçue comme telle par la masse des travailleurs. La direction de la SNTF, avec l’appui de la plupart des journaux, a présenté leur action comme une action mue par des intérêts corporatistes voire égoïstes. Il est vrai que l’emprise générale de l’idéologie bourgeoise sur la presse est défavorable à l’expression de la légitimité des revendications des travailleurs quand certains caricaturistes ne cessent de les traiter de « paresseux » [1].

D’un autre côté, les conducteurs de trains ne semblent pas avoir fait le nécessaire pour expliquer le bien-fondé et la légitimité de leurs revendications face à la dégringolade du pouvoir d’achat des travailleurs alors que les profits des patrons augmentent, grâce notamment aux incidences de la dépréciation du dinar. Persuadés de disposer d’un grand moyen de pression en paralysant les trains, ils ne semblent pas non plus avoir déployé des efforts pour rallier à leur action les autres catégories de travailleurs de la société.

On peut également noter que face aux difficultés de toutes sortes et pour se démarquer des entreprises démagogiques de l’UGTA qui se pose comme le porte-parole des intérêts généraux du pays, nombreuses sont les sections syndicales du secteur public qui limitent leurs actions aux revendications matérielles et paraissent se désintéresser des grands problèmes de leurs entreprises. En privé tous bouillonnent d’indignation devant la destruction méthodique du patrimoine public pour faciliter son bradage. Mais la recherche de l’unité d’action autour de mots d’ordre revendicatifs consensuels, ou le plus petit dénominateur commun, conduit souvent à hésiter à inscrire problèmes dans leurs luttes.

Le mouvement ouvrier souffre des effets des tiraillements provoqués en son sein par l’influence de divers courants idéologiques bourgeois ou réactionnaires sur des catégories de travailleurs peu conscients ou manipulés par les forces qui travaillent à l’accaparement du patrimoine public. D’où la tendance fréquente à se limiter aux revendications salariales sans les rattacher à une lutte globale pour la préservation du secteur public et la dénonciation des opérations liquidatrices.

La SNTF croule sous l’impact des frais de l’électrification du réseau. Cette opération a été décidée dans la précipitation sans études préalables, pour un pays où en plus du coût prohibitif de l’électricité, les problèmes sécuritaires non maîtrisés auraient commandé de continuer à privilégier la traction diesel. On sait que des actes de vandalisme paralysent fréquemment le trafic sur les lignes électrifiées. Il est vrai que le désir du régime de s’attacher le soutien de l’impérialisme français pour régler ses conflits internes de clans l’a conduit à sauver Alstom de la faillite en passant avec elle des marchés dont le caractère excessivement onéreux ne se justifie pas. On n’hésite pas à acheter chère des équipements auprès des multinationales mais on se refuse à augmenter les salaires de quelques pour-cent.

Il eut été bon que ce qui se dit tout bas eût été clamé tout haut. Les syndicalistes connaissent bien les questions qui plombent les finances de la SNTF et de l’Etat et par contre-coup sont utilisées pour refuser les augmentations de salaires réclamées.

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Kader BADREDDINE
18.05.16


[1Voir l’article sur le Hic que l’ambassadeur de France vient d’ailleurs de récompenser en le décorant de l’Ordre des Chevaliers des Arts et des Lettres.