Le Livre blanc de la défense français planifie une escalade des guerres et des conflits entre les grandes puissances

dimanche 12 mai 2013

Le gouvernement français du Parti socialiste (PS) a publié le 29 avril son Livre blanc sur la stratégie militaire. Après son élection, il y a un an, le président François Hollande avait mis en place une commission pour l’élaboration d’un nouveau Livre blanc tenant compte des changements intervenus dans la situation mondiale depuis la publication en 2008 du précédent Livre blanc sur la défense français.

En examinant le Livre blanc de 2008 (Voir : « Livre blanc sur la Défense : La bourgeoisie française se prépare à la guerre »), le WSWS avait noté que la classe dirigeante française était en train de préparer un tournant vers la guerre afin de résoudre les contradictions qui accablent l’impérialisme mondial. Cette analyse a été confirmée dans les cinq années qui ont suivi et qui ont connu une explosion de l’agression impérialiste française après le déclenchement de la crise économique de 2008 et les luttes de classe révolutionnaires de la classe ouvrière en Egypte en 2011. En l’espace de deux ans, la France a mené des guerres en Libye, en Côte d’Ivoire et actuellement au Mali et en Syrie.

L’actuel Livre blanc présente des projets non seulement pour continuer mais pour intensifier massivement l’agression de l’armée française outre-mer. Il précise : « L’évolution du contexte stratégique pourrait amener notre pays à devoir prendre l’initiative d’opérations, ou à assumer, plus souvent que par le passé, une part substantielle des responsabilité impliquées par la conduite de l’action militaire. »

Le Livre blanc contient une liste incroyablement longue de cibles ou de cibles potentielles pour une agression militaire française. Il traite de la possibilité de nouvelles guerres en Afrique, de déploiements au Moyen-Orient et en Asie en vue de possibles conflits avec l’Iran et la Chine et de déploiements plus vastes des forces nucléaires françaises.

L’adoption du Livre blanc par le gouvernement PS et la réaction suscitée dans les médias sont les symptômes d’une classe dirigeante qui a totalement perdu la tête. Des articles parus dans les médias français ont critiqué le Livre blanc non pas parce qu’il présente un programme militariste mégalomane mais parce qu’il n’arme pas suffisamment la France pour une poursuite efficace de ces conflits.

Le Livre blanc planifie un gel des dépenses militaires à 31,4 milliards d’euros par an. Ceci entraînerait la suppression de 24.000 emplois dans l’armée entre 2014 et 2019 et une réduction du nombre de soldats pouvant être déployés outre-mer, des 30.000 actuels à 15.000.

Mais plusieurs analystes militaires ont minimisé les réductions proposées, en insistant pour dire qu’elles seraient invalidées et que d’autres réductions des dépenses seraient nécessaires pour payer la guerre. Jean-Dominique Merchet, a dit, «  tous les fondamentaux seront maintenus... Il ne faut pas oublier que si le contexte géopolitique change radicalement au cours des trois ou quatre prochaines années, on ferait autrement. On sacrifierait autre chose pour avoir la capacité d’intervenir plus massivement. »

En fait, les conflits envisagés dans le Livre blanc ne pourraient être financés que par des attaques dévastatrices contre le niveau de vie de la classe ouvrière, dans une situation où l’économie européenne est déjà en train de se désagréger sous l’impact de mesures d’austérité brutales. On est en train de créer les conditions d’une opposition profonde et politiquement explosive, au sein de la classe ouvrière, contre la politique belliqueuse et d’austérité unanimement soutenue par l’establishment politique.

Le Livre blanc énumère la Méditerranée, l’Afrique du Nord, le Sahel, le Golfe persique et l’Océan indien comme les arènes d’une intervention française. La France projette de maintenir quatre bases en Afrique. Le Livre blanc souligne aussi le caractère crucial de la Mer de Chine du Sud, où les Etats-Unis ont attisé des confrontations entre la Chine et d’autres pays de la région, et des intérêts français plus larges en Asie de l’Est.

Christophe Guilloteau, député conservateur qui a contribué à la rédaction du Livre blanc a dit que la guerre de la France au Mali garantissait que l’Afrique resterait une priorité en matière de défense pour la France. Au micro de Radio-France International, il a dit que depuis la guerre au Mali « certains qui considéraient qu’on devait désengager encore plus au-delà l’Afrique, se sont aperçus que ce n’était pas une bonne idée. Si nous n’avions pas eu des forces pré-positionnées et au Tchad, et surtout en Côte d’Ivoire avec l’opération Licorne, on n’aurait pas pu répondre à l’appel des Maliens avec autant de rapidité. »

Paul Melly, membre associé du programme Afrique du groupe de pression Chatham House a expliqué : « Si ce modèle [d’une intervention au Mali] marche, c’est un modèle qui pourrait être étendu plus largement. Et donc le Mali est en quelque sorte un banc d’essai. »

Le Livre blanc confirme l’alignement de la France sur Washington conformément au prédécesseur conservateur de Hollande, Nicolas Sarkozy. Sous Sarkozy, la France avait réintégré en 2009 les structures militaires de l’OTAN avant de discuter en 2010 d’une éventuelle alliance militaire avec la Grande-Bretagne, proche allié des Etats-Unis, et de mener à partir de 2011 une série de guerres menées par les Etats-Unis.

Le Livre blanc soutient la poussée de la guerre contre l’Iran, en accusant sans preuve l’Iran de développer des armes nucléaires : «  le Golfe Arabo-Persique revêt une importance stratégique particulière. Cette zone, où la course de l’Iran ? des capacités nucléaires militaires engendre un risque de prolifération. »

Le Livre blanc plaide pour que la France augmente son influence dans la région en travaillant étroitement avec les Etats-Unis et leurs intermédiaires dans la région. Il fait remarquer que « la France y a renforcé sa présence et sa coopération de défense » avec les Emirats arabes unis (EAU), le Koweït et le Qatar, dont la construction d’une base militaire à Abou Dhabi, capitale des EAU.

En Asie, le Livre blanc fait l’éloge du « pivot vers l’Asie » des Etats-Unis qui vise à contenir la Chine et qui a accru les tensions entre Washington et Beijing. Tout comme Washington, Paris considère l’influence grandissante de la Chine comme une menace à ses intérêts géostratégiques, notamment en Afrique.

Il dit que « l’équilibre de l’Asie orientale a été modifié en profondeur par la montée en puissance de la Chine... Le renforcement de la présence militaire américaine dans la région peut contribuer à la maîtrise des tensions en Asie.  »

En fait, le « pivot vers l’Asie » a énormément accru les tensions en Asie, faisant planer le mois dernier une importante menace de guerre sur la Corée du Nord. Le Livre blanc montre clairement que la France chercherait à se joindre à un conflit régional majeur en promettant que la France « en cas de crise ouverte, apporterait, aux côtés de ses alliés, une contribution politique et militaire. »

Le document recommande de maintenir l’armement nucléaire français, tel les programmes SN3G de sous-marin et de missile M51 qui coûtent près de 3,5 milliards d’euros (4,6 milliards de dollars) par an. Alors que le Livre blanc affirme que le programme d’armement nucléaire de la France est « strictement défensif, » il ajoute, « Certains des moyens des forces nucléaires peuvent être utilisés pour les opérations conventionnelles sur décision du Président de la République. »

L’élimination des barrières entre forces nucléaires et forces conventionnelles est une nouvelle étape vers l’utilisation de l’arme nucléaire, une menace qui a déjà été soulevée par des responsables français. En 2006, le président de l’époque Jacques Chirac avait annoncé que la France pourrait lancer des frappes nucléaires contre des terroristes, en cas de menaces à l’égard de « nos approvisionnements stratégiques et la défense de pays alliés. » (Voir :« France : Le président Chirac brandit la menace de représailles nucléaires en cas d’attaques terroristes »)

Jean-Luc Mélenchon, dirigeant du Front de Gauche petit-bourgeois a dénoncé les coupes dans les dépenses de la défense énoncées dans le Livre blanc. Il a dénoncé l’« austérité » et l’alliance américaine (l’atlantisme) comme étant « deux dangers mortels pour la souveraineté et l’indépendance de la France » – en lançant un appel réactionnaire et anti-américain, alors même qu’il a soutenu avec enthousiasme toutes les guerres menées par Paris en collaboration avec Washington, que ce soit la guerre de la Libye ou les guerres actuelles au Mali et en Syrie.

Les commentaires pro-guerre de Mélenchon reflètent le gouffre qui sépare la bourgeoisie et les couches aisées de pseudo-gauche représentées par le Front de Gauche, de la classe ouvrière. Terrifiées par les luttes qui couvent entre la classe ouvrière et le programme social et militaire réactionnaire de Hollande, elles exigent que de plus en plus de ressources soient injectées dans la machine de guerre.

Par Kumaran Ira et Alex Lantier

6 mai 2013

(Article original paru le 3 mai 2013)