Le gouvernement exhume un article des lois sociales de 1990 sur la représentativité syndicale pour faire disparaître les syndicats « autonomes »

lundi 19 mars 2018
par  Alger republicain

Le gouvernement passe à un degré supérieur dans son offensive pour enrayer la montée du mouvement social de protestation contre sa politique d’austérité.

Prenant pour prétexte la grève illimitée du Cnapeste à Blida et à Bejaïa, la récente grève nationale de l’intersyndicale autonome et celle annoncée pour le 4 avril prochain, il sort la grosse artillerie. Subitement il exhume des textes de loi de 1990 « oubliés » sur l’obligation pour les syndicats de prouver leur représentativité. La loi de 1990 stipule qu’un syndicat ne peut être représentatif que s’il rassemble 20% des travailleurs. Une exigence en apparence exorbitante jusqu’à l’absurde. Mais, dans le climat du pluralisme instauré en 1989, après le séisme politique du 5 octobre 1988, le but réel des « réformateurs » était de créer des obstacles juridiques à la formation d’un mouvement ouvrier de classe échappant au contrôle d’un régime qui venait d’opter ouvertement pour le capitalisme baptisé « économie de marché » pour duper les naïfs.

Le motif à peine caché du rappel à l’ordre inattendu du gouvernement est évident : déclarer illégale sans autre forme de procès toute grève décidée par les syndicats rangés dans la catégorie des syndicats non représentatifs et refuser d’avance tout dialogue avec eux. Plus besoin de les traîner devant les tribunaux et de perdre du temps dans les procédures. Le problème sera traité à la source. Une simple décision de police devra suffire à remettre de l’ordre. Voilà la solution géniale de nos gouvernants ! Le ministère du Travail vient donc de sommer les syndicats de lui fournir un état détaillé de leurs adhérents avant le 31 mars : noms, prénoms, poste de travail occupé, lieu de travail, date de naissance, date et numéro de carte d’adhésion (au jour près !), montant de la cotisation syndicale en 2017, numéro d’immatriculation à la sécurité sociale. Bref il exige des renseignements que même une administration étatique rodée et dotée des moyens de l’informatique ne peut fournir en si peu de temps. Dans la masse des omissions et des erreurs inévitables que commettront les syndicats s’ils se plient à cet ultimatum, le gouvernement trouvera suffisamment de failles pour rayer les syndicats autonomes de la liste des organisations fréquentables. Reste à savoir s’il traitera de la même manière l’UGTA, son syndicat maison auquel il est lié par le « pacte social » de collaboration. Qui vérifiera que le bras social du pouvoir aura fourni les informations demandées et aura rempli les conditions de représentativité ? Pas d’illusion à se faire quand on sait que l’opération est truquée, « el laabab H’mida oua er recham H’mida » comme le résume l’adage populaire. Ne subsisteront dans la liste des syndicats acceptés comme « partenaires sociaux » que ceux qui ont des liens solides - non avec la base des travailleurs, ne soyons pas dupes ! - mais avec tel ou tel clan important du régime. Gageons que le gouvernement jettera son dévolu sur le Cnapeste, prolongement de courants islamistes et « barbéfèlène »du pouvoir, quoi que puissent en penser les enseignants de Béjaïa dont on se demande pourquoi ils se sont embarqués dans cette galère. Agissant comme une structure de fait liée au pouvoir, le Cnapeste n’a-t-il pas prouvé qu’il se soumettait à l’arbitrage du chef de l’Etat dans son conflit contre la ministre de l’Education ? A moins que le désir de purger la scène syndicale en vue de tuer dans l’œuf tout soulèvement social soit la stratégie adoptée. Le pouvoir cherche à créer les meilleures conditions de bradage des richesses du pays et attend le moment le plus propice pour relancer la « guerre éclair » que Bouteflika avait provisoirement écartée, à travers ses mises au point publiquement signifiés à Ouyahia, en raison de risques imprévisibles pour l’ordre nouveau des grands possédants.

Notons que pour faire semblant de traiter à égalité employés et employeurs, la même injonction de « mise en conformité » est adressée aux organisations patronales. Une astuce de pure forme pour faire croire que le gouvernement est au-dessus des classes. Ce qui ne l’empêchera pas de jeter à la trappe celles qui n’ont plus d’existence effective pour appuyer sa mise en scène.

RN