Le livre égyptien interdit au prochain Salon international du livre d’Alger (SILA)

dimanche 12 septembre 2010

Ainsi en ont décidé des hommes qui veulent flatter les sentiments provoqués par le match de qualification au Mondial 2010 Algérie-Égypte. Les responsables officiels du secteur de la culture entérinent par leur « non-intervention » cette honteuse décision.

Les Algériens assoiffés de culture humaniste, démocratique, rationaliste et progressiste n’auront pas le plaisir cette année d’acheter les grandes œuvres de Taha Hussein ou de Naguib Mahfoudh, pour ne citer que les plus connus parmi les penseurs et hommes de lettres égyptiens. Le Commissaire du salon aura également voué à une deuxième mort le célèbre critique rationaliste des textes religieux, Abou Zeyd, récemment disparu des suites d’une maladie foudroyante contractée de façon suspecte en Indonésie. Abou Zeyd avait dû se réfugier en 1995 aux Pays-Bas après que des intégristes appuyés par des imams d’Al Azhar avaient décidé que ses analyses faisaient de lui un « apostat », accusation suffisante pour justifier sa mise à mort par « un fou de Dieu » en n’importe quel lieu du monde.

La décision insensée et dangereusement démagogique n’empêchera malheureusement pas la « littérature » obscurantiste et réactionnaire égyptienne de parvenir par de multiples canaux en Algérie.
De nombreux intellectuels algériens ont condamné à travers une pétition la décision du commissaire du salon, une décision qui dénote l’absence de toute ouverture d’esprit, de toute culture élémentaire, chez ceux qui président aux destinées de la culture dans notre pays. Celui qui l’a publiquement endossée est aussi le patron d’une grande maison d’édition privée. Il est affligeant de constater que 75% de ceux qui ont accepté de répondre au sondage mené sur le site web du Soir d’Algérie ont approuvé l’interdiction du livre égyptien.
Yassin Temlali est un des initiateurs de cette pétition qui sauve l’honneur des hommes de culture de l’Algérie. Il a publié dans El Watan du 22 août dernier une opinion qu’il est indispensable de faire connaître.

Certes nous n’approuvons pas l’assimilation sarcastique qu’il fait entre commissaire politique et censeur obscurantiste. Il y a commissaire politique et commissaire politique. Le commissaire politique réactionnaire du parti unique institué après l’indépendance n’a rien à voir avec celui qui, pendant la guerre de libération, exhortait à la lutte ceux des Algériens hésitant devant la propagande colonialiste. Il n’a rien à voir avec les officiers de la révolution agraire envoyés par Boumediène dans les campagnes en 1972 pour ouvrir les yeux aux khammas, aux travailleurs agricoles exploités par les grands propriétaires terriens et contribuer à les affranchir des vestiges politiques, idéologiques et économiques de la féodalité. Il n’a rien à voir non plus avec un géant de la littérature soviétique et mondiale, Maxime Gorki, désigné par le pouvoir révolutionnaire dans les années 1920-1930 à la tête d’un grand organisme pour faire connaître et faire aimer auprès des citoyens de l’URSS la littérature progressiste universelle.

Cette remarque indispensable ne diminue en rien l’intérêt du texte de Yassin Temlali que nous reprenons ci-dessous.

Alger Républicain

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Curieuse conception du SILA

Opinion de Yassin Temlali

Publiée dans El Watan du 22 août 2010

"Le 8 août, Smaïn Ameziane, commissaire du Salon du livre d’Alger (SILA), a déclaré à la presse que les éditeurs égyptiens ne sont pas les bienvenus cette année.

Sa « conscience », a-t-il expliqué, ne lui permet pas « de [les] inviter […], par respect pour le peuple algérien et pour les gens qui ont été maltraités au Caire lors de la rencontre entre l’équipe nationale de football et son homologue égyptienne. » (L’Expression du 9 août 2010).
De quoi les éditeurs égyptiens sont-ils coupables ? La réponse de M. Ameziane est aussi sidérante : « Ils auraient pu réagir plus tôt, voire pendant les évènements. Ce qu’on a vu dans tous les médias, ce sont des gens et des intellectuels qui nous ont traités de tous les noms […]
Pour ma part, je respecte mon peuple, je n’ai pas à le provoquer. » Cette décision appelle trois remarques. La première porte sur l’autorité dont se prévaut le patron de Casbah éditions pour parler au nom de tout le « peuple » et présumer que pour lui une participation égyptienne au SILA serait une insoutenable provocation. A notre connaissance, personne ne l’a délégué pour représenter 35 millions d’Algériens. La deuxième remarque concerne sa curieuse conception du SILA. Est-il pour lui une grande exposition censée nous faire découvrir les livres édités en Algérie et ailleurs, ou une manifestation patriotique, avec force inaugurations officielles, chants à la gloire de l’Algérie éternelle et pourquoi pas des portraits géants de footballeurs, puisqu’ils sont désormais nos « porte-drapeaux » comme il l’a affirmé devant la presse le 8 août ?

Si le commissaire du SILA croit qu’il incarne la conscience patriotique du pays, si par le boycott des maisons d’édition égyptiennes, il entend défendre notre « honneur national », alors, en toute logique, il ne devrait pas inviter à cette manifestation les éditeurs des États suivants :

- La France, où le Parlement a voté, en février 2005, une loi célébrant l’« œuvre coloniale » (à laquelle les maisons d’édition françaises, à ma connaissance, n’ont jamais « réagi » pour parler comme M. Ameziane) et où les Algériens sont souvent maltraités (et parfois tués dans de répétitives « bavures policières »).

- La Tunisie, où, en février 2004 (la « mémoire patriotique » ne doit être ni courte ni sélective), 2500 supporters algériens ont été blessés par les CRS de Ben Ali lors des « événements de Sfax » (ce chiffre a été donné par le ministre de la Jeunesse et des Sports de l’époque, Boudjemaâ Haïchour).

- La Libye qui détient dans les pires conditions carcérales des dizaines de nos concitoyens.

- Et d’autres pays encore pour des raisons de dignité nationale.

La troisième remarque, enfin, porte sur le pervertissement de la notion de boycott culturel par M. Ameziane. Ce type d’action est une arme pour défendre des causes nobles comme la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud ou en Palestine. Il n’est pas un moyen de règlement de comptes avec les intellectuels et les médias étrangers (Égyptiens ou autres).

Lorsque le boycott ne joue pas cette fonction politique, il ne peut relever que du strict domaine individuel. Personnellement, je boycotte les pseudo-artistes qui ont insulté le peuple algérien pendant les sinistres évènements de novembre 2009 et dont certains ont poussé l’inélégance jusqu’à restituer des prix qu’ils avaient reçus en Algérie. Ce boycott est une protestation individuelle (et forcément dérisoire) contre une décevante Yousra ou un pitoyable Ahmed El Saqa. Il n’est pas dirigé contre ce « ils » par lequel M. Ameziane désigne tous les intellectuels d’Égypte, même ceux qui se sont courageusement opposés au chauvinisme qui déferlait sur leur pays.

Ne pas inviter les éditeurs égyptiens au SILA parce qu’« ils sont Égyptiens » est un boycott d’un autre genre. Il révèle la confusion qui règne dans l’esprit de M. Ameziane entre les sentiments (ou ressentiments) personnels et les obligations professionnelles dictées par la loi et l’intérêt collectif.

Selon le règlement du SILA, celui-ci vise à « promouvoir les échanges culturels » et à faire découvrir « les nouveautés de la production intellectuelle, littéraire, scientifique et artistique, en Algérie et dans le monde ». Si M. Ameziane s’en tenait à ces objectifs, il offrirait une chance à la culture de réparer les fractures que les gouvernements, les médias et les mafias du football ont provoquées entre les peuples algérien et égyptien. Il correspondrait mieux au profil de sa mission, qui est celle d’un commissaire du SILA, non d’un commissaire politique."

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Appel pour la levée de l’interdiction de Sila infligée à la littérature égyptienne
(Pétition)

Le commissaire du Salon international du livre d’Alger (Sila) a délibérément décidé d’interdire d’exposition les livres égyptiens lors de la prochaine édition de cet évènement.

Il a invoqué, en guise de justification, la campagne haineuse menée contre l’Algérie par certains médias égyptiens ainsi que le mauvais traitement subi par des citoyens algériens lors de la rencontre, au Caire, entre l’équipe nationale de football et son homologue égyptienne. La ministre de tutelle s’est publiquement déchargée de la chose sur ce responsable qui affirme, fièrement, la souveraineté de sa décision. Il dit défendre la dignité du pays et de son Histoire. Comme si cette dignité pouvait être mise en parallèle avec une exposition de livres. Comme si nos valeureux martyrs pouvaient être satisfaits d’une telle dérive, qui se traduit par un mépris arrogant vis-à -vis de la culture de nos peuples. Comme si on pouvait unilatéralement punir la littérature égyptienne et le lectorat algérien alors qu’on continue à jouer au football, source initiale de tout ce scandale, avec des équipes égyptiennes. À notre avis, il s’agit bien d’un chauvinisme délirant qui révèle, en fait, le peu d’égard que le livre en particulier et la culture en général ont toujours eu dans notre pays et une propension de certains de nos responsables à dénoncer au lieu d’éduquer. Pour cela, nous, signataires du présent appel, nous nous démarquons de cette honteuse décision et appelons tous ceux qui sont soucieux de ne pas laisser passer un acte aussi irréfléchi :

• à dénoncer le chauvinisme dont font preuve certains responsables du secteur de la culture, tant ce sentiment exprime des dérives politiques en complète contradiction avec les intérêts supérieurs de notre peuple dont le seul ennemi doit être le sous-développement sous toutes ses formes ;

• à demander aux autorités concernées par ce scandale à y mettre un terme en levant l’interdiction faite aux livres égyptiens afin de leur permettre d’être découverts, lus et appréciés par les lecteurs algériens.