Lucien Sportisse : un pionnier de la lutte communiste en Algérie contre le colonialisme, assassiné il y a soixante-dix ans

mercredi 2 avril 2014
par  Alger républicain

« Fils du peuple, fidèle à son origine, le Parti perd en Sportisse le militant dévoué, désintéressé autant que valeureux. Tous les camarades du Parti qui l’ont connu jurent de le venger en s’inspirant de son sublime exemple »

Lucien Sebah.

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Lucien Sportisse est un pionnier de la lutte communiste en Algérie !
Dès son plus jeune âge, il prend avec courage et lucidité le chemin du dévouement et de la lutte en faveur des paysans pauvres et des ouvriers. Bravant le système colonial ainsi que le fascisme du début de 20e siècle, il ne cessera jusqu’à sa mort d’insuffler le vent et la voie de la résistance, de la lutte et de l’internationalisme communiste.

Lucien Sportisse un pionnier de la lutte communiste en Algérie - Lucien Sportisse meurt le 22 Mars 1944 à Lyon. Son assassin était Marc Giroud alias « Dagostini » {JPEG}

Lucien Sportisse est né le 2 octobre 1905. Il obtient son Baccalauréat avec mention « Très Bien » et entreprend alors des études d’histoire à la faculté d’Alger. Elles seront néanmoins rapidement interrompues à cause de ses ressources financières très modestes. Il devait certains soirs se « coucher sur les bancs dans les squares d’Alger parce qu’il n’avait pas de quoi payer une chambre d’hôtel » nous rapporte William Sportisse dans son livre « Le Camp des Oliviers ».

Le jeune Lucien rentre rapidement à Constantine, sa ville natale, où il devient instituteur à l’âge de vingt ans. Le futur militant fait déjà face à un conflit avec l’administration coloniale française. En effet, il refusait de faire souscrire financièrement ses élèves modestes dans le cadre d’une ’’contribution volontaire’’ du gouvernement.

Ces deux événements marquent le jeune instituteur de façon significative dans son futur engagement communiste en faveur des couches et des masses laborieuses.

Lucien Sportisse : un militant communiste

Lucien Sportisse dès son plus jeune âge entame un travail de militant politique, tout d’abord à la SFIO dans les années 20 (section française de l’internationale ouvrière). Puis Il quitte cette organisation politique empreinte de social-démocratie et de réformisme politique pour rejoindre la régions algérienne du parti communiste , parti révolutionnaire inspirée par la théorie marxiste-léniniste.

Son départ de la SFIO est provoqué par des divergences tant sur des références idéologiques que sur des choix politiques. Il était en effet profondément marxiste et donc empreint d’une volonté d’organisation des travailleurs dans un parti de classe, seul capable de faire basculer l’ordre établi.

Sur le plan politique, Lucien était contre une motion adoptée lors d’un congrès fédéral tenu fin décembre 1926 à Bône (Annaba). Elle portait sur la confiance de la SFIO à l’égard de la Société des Nations (SDN). Le jeune militant critique et stigmatise « la neutralité criminelle de cette institution devant toutes les tentatives d’expansion impérialistes des grandes nations capitalistes » en déclarant ’’encourager la SDN, c’est encourager l’illusion pacifiste que la bourgeoisie entretient dans les masses prolétariennes en vue de temporiser le mouvement pacifiste prolétarien, seul efficace’’. D’autre part, les dissensions portaient aussi sur les perspectives anticolonialistes de Lucien. Les sociaux-démocrates reprochaient aux communistes de pousser les ’’indigènes" à la révolte et à des mouvement de xénophobie, de fanatisme et de nationalisme musulman.

Lucien avec détermination et lucidité s’engage en faveur de la lutte et du combat contre le système colonial français à l’égard des « Algériens musulmans » mais aussi et surtout contre le système capitaliste qui est la source du problème. Il déclare lors d’une réunion le 17 Novembre 1935 : « On doit être, dans une certaine mesure, reconnaissant au capitalisme d’avoir spolié, brimé, saisi, étranglé les musulmans. Ceux-ci commencent à ouvrir les yeux, et à connaitre leurs amis et leurs ennemis ».

L’analyse et l’engagement politique du militant ne sont pas tolérés par les riches propriétaires terriens et le système colonial. En 1934, le conseil départemental de Constantine décide de la révocation de Lucien Sportisse. On lui reproche sa prise de parole le 1er Mai 1934 lors d’un meeting à Bougie (Bejaia) où il accuse les colons d’avoir dépossédé les fellahs de leurs terres.

Ainsi, à partir de 1934, Lucien Sportisse part en Oranie pour travailler en tant que coffreur-ferrailleur dans le bâtiment. Son frère, William Sportisse met en évidence l’attitude modeste de Lucien.« C’était un exemple [...] Dans le milieu bourgeois environnant, il était inacceptable qu’un enseignant devienne manœuvre ».

Pendant des années, Lucien poursuit son activité militante et syndicale notamment à la CGT pour l’amélioration des conditions de travail des ouvriers et la mise en œuvre des grands chantiers pour offrir du travail à « l’armée de réserve » que constituent les chômeurs. Mais la répression des grands colons avec l’aide du système colonial est de plus en plus dure. Il est condamné à quatre mois de prison et à 500 francs d’amendes en 1935 à cause de ses idées anticolonialistes, anti-impérialistes et surtout ses idées marxistes-léninistes. Il est libéré après trois mois de détention grâce à la campagne menée par des communistes comme Pierre.

Des luttes antifasciste et anticolonialistes

Dans l’histoire, les années 1930 se distinguent par la montée dans toute l’Europe du fascisme, du nazisme et des idées d’extrême-droite. Hitler avec le parti national-socialiste en Allemagne, Mussolini avec le parti national-fasciste en Italie, le franquisme en Espagne ainsi que le régime de Vichy incarné par le maréchal Pétain en France.

Dans ce contexte politique international nauséabond, le militant communiste Lucien Sportisse déploie toute sa lucidité et sa force pour la lutte et le combat contre les hordes du fascisme, agent du capitalisme dans l’Algérie coloniale.

En octobre 1936 se tient le congrès constitutif du PCA (Parti communiste algérien) qui n’est plus une région dépendant organiquement du PCF. Lucien se fait élire au comité central. Dans un contexte historique imprégné de haine et de racisme, le débat à l’intérieur du parti se posait sur la priorité des luttes, fascisme ou colonisation. La lutte contre le fascisme surgit comme étant la plus importante dans les débats de l’époque. Car l’analyse dominante au sein du PCA à l’époque était le refus de tomber dans l’erreur que certains nationalistes algériens faisaient à cette époque de « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Les communistes cherchaient à les convaincre que si l’Allemagne nazie était opposée à la colonisation française, ce n’était pas pour des considérations progressistes mais seulement pour assouvir ses propres intérêts. D’ailleurs, les gros colons et propriétaires terriens étaient séparatistes et voulaient à tout prix mettre en place en Algérie un État d’Apartheid qui se serait mis sous l’aile protectrice des Etats fascistes pour aggraver l’exploitation et l’oppression des travailleurs en général et des Algériens « indigènes » en particulier.

Aujourd’hui avec le recul, des communistes tels que William Sportisse pensent que le PCA et le PCF n’ont pas mené une analyse suffisante de la complexité de la situation. La mise en retrait du combat anticolonialiste et du mot d’ordre d’indépendance a été faite pour ne pas effaroucher les sociaux-démocrates français avec qui ils devaient se rassembler dans un front contre le fascisme pour le combattre. Néanmoins, il ne faut pas oublier que la lutte anticolonialiste était essentielle dans les 21 conditions d’adhésion à un parti communiste définies lors de la 3e Internationale par Lénine.

L’exil en France et l’assassinat de Lucien Sportisse

D’année en année le travail du militant ne cesse de s’intensifier pour la conscientisation des masses sous le regard hargneux de la police politique au service des colons. La menace était d’autant plus dangereuse que Lucien Sportisse s’exprimait parfaitement en arabe et pouvait dans ce cas s’adresser dans un langage familier aux prolétaires musulmans.

En 1936, L’administration coloniale conseille de réintégrer Lucien dans le cadre de l’enseignement primaire mais seulement en métropole sur demande du gouverneur d’Algérie. Cette opération visait à éloigner l’instituteur des masses et des couches exploitées en Algérie.

Il est nommé dans un petit village des Hautes-Alpes à Puy-Saint-Vincent.
Toutefois, Lucien, internationaliste, poursuit sa lutte contre les mouvements réactionnaires, les colonialistes et les fascistes. C’est pourquoi il est chargé en décembre 1943 de la direction technique du journal clandestin du Front National Le Patriote. [1]

Très rapidement, il se fait connaître dans la région par son travail de militant communiste. Il entre notamment en contact avec Marie Gallifet, ignorant que c’est un agent double qui héberge des juifs et des militants antifascistes tout en fournissant des informations sur ces militants à la Gestapo française.

Elle remet à la Gestapo une photo de Lucien Sportisse. Cela lui permet d’organiser un guet-apens pour le capturer. Lucien tente de s’enfuir mais l’un des agents ouvre le feu avec son revolver .

Lucien Sportisse meurt le 22 Mars 1944 à Lyon !

Son assassin était Marc Giroud alias « Dagostini ».

70 ans après son assassinat, nous rendons hommage à un grand militant pour la lutte contre le colonialisme et contre le fascisme. Par sa modestie, son engagement politique et son internationalisme, il apparaît aujourd’hui comme un exemple de combat et de lutte pour la jeunesse qui saura un jour ou l’autre trouver le chemin de l’émancipation des masses exploités.

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Hassaïne Djedid

Alger républicain

02.04.14


[1Le Front national était un rassemblement de communistes et de non-communistes contre le fascisme et le régime de Vichy. Aucun lien avec le Front National raciste et xénophobe de Jean-Marie le Pen et de Marine le Pen en France,