Luttes dans tous les secteurs en Tunisie et montée de l’appel à la grève générale, deux ans après une révolution confisquée

mercredi 12 décembre 2012

Deux ans après une « révolution » confisquée, le pouvoir tunisien est plus fragile comme jamais. Sa politique, dans les intérêts des capitalistes locaux comme internationaux, est contestée autant par un mouvement de protestation porté par de puissantes luttes sociales.

Tunisie : Puissantes luttes sociales

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Puissantes luttes sociales

Les émeutes de Silina, bourg à 120 km au sud-ouest de Tunis au cœur d’une vaste région céréalière, ont été l’étincelle.

Une semaine de manifestations et de grèves, de véritables « émeutes de la misère » violemment réprimées par le régime : 300 blessés, victimes des gaz lacrymogènes, du matraquage mais aussi de tirs à la chevrotine de la part des forces de police.

Au-delà de l’exigence du départ du gouverneur corrompu issu de l’Ancien régime, c’est le désarroi social et la désillusion politique par rapport à une révolution confisquée qui ont poussé les Sillianais à la révolte.

Cette révolte s’inscrit dans un contexte social explosif, pas une semaine depuis le début du mois de novembre sans un mouvement de grève dans un secteur :

Journalistes (octobre), personnel des aéroports (le 8 novembre), ouvriers agricoles (le 12), personnel de la santé publique et médecins (la semaine du 13), enseignants du secondaire (le 22), douaniers (le 27), sans oublier les grèves avortées dans les transports urbains de Tunis et les ports.

Tous ont porté l’exigence de meilleures conditions de travail et salariales. Ces puissants mouvements sectoriels ont révélé un potentiel de lutte inédit nécessitant la convergence des luttes pour faire plier le gouvernement.

Si les émeutes de Siliana ont remis cette exigence au centre, la grève générale d’une semaine a été rapidement étouffée, non par la répression du gouvernement mais par le « dialogue social » ouvert entre le gouvernement central et la centrale syndicale UGTT qui a abouti à une suspension de la grève.

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Montée de la colère sociale, canalisation des luttes et contradictions de l’UGTT

Y-a-t-il vraiment bras-de-fer entre les islamistes d’Ennahda et la direction syndicale de l’UGTT ? Quel rôle joue l’UGTT ?

La tentative pour désamorcer le mouvement à Siliana, en accord avec le gouvernement, illustre aussi le rôle qu’a joué historiquement l’’UGTT, relais et soupape de sécurité des divers régimes autoritaires qu’a connus la Tunisie.

Centrale syndicale de référence pour une grande partie de la classe ouvrière tunisienne, héritière vivace du syndicat officiel de la dictature, l’UGTT canalise la montée des luttes leur donnant une issue ne menaçant pas l’ordre établi, hier du régime de Ben Ali, aujourd’hui du nouveau pouvoir.

Ce rôle n’est pas sans contradictions. Pour canaliser la montée des luttes, l’UGTT doit s’en faire les relais et peut obtenir certaines concessions, maigres comme à Siliana.

D’autre part, les tensions entre les bases syndicales et les directions se manifestent par des appels locaux à la « grève générale ». Les unions régionales de Sidi Bouzid, Kasserne, Gafsa et Sfax ont déjà appelé à une journée de grève générale ce jeudi 6 décembre. La direction syndicale de l’UGTT devrait suivre ces bases, en lançant un appel ultérieur, pour le 13 décembre.

Des contradictions aiguisées par les provocations anti-syndicales des milices islamistes couvertes par le régime, en premier lieu la milice islamiste de la « Ligue de la protection de la révolution », multipliant les agressions contre les syndicaux locaux et les intimidations visant les syndicalistes.

Ce mardi 4 décembre, les milices islamistes s’en sont pris au siège central de l’UGTT, place Mohammed Ali à Tunis, lors de la commémoration du martyre du militant syndical et anti-colonialiste Farhat Hached.

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La formule d’Ennahda : islamisation, libéralisme économique et politique étrangère pro-impérialiste

Un an après son triomphe électoral, Ennahda révèle un visage qu’elle n’a jamais caché, suivant la formule déjà expérimentée par AKP en Turquie : islamisation rampante de la société, libéralisme économique et alignement sur les puissances impérialistes.

Comme l’AKP en Turquie, Ennahda soutient une islamisation progressive de la société, par le quadrillage embryonnaire de son organisation partisane et par la caution apportée aux groupes les plus radicaux, et en premier lieu les salafistes.

Les valeurs de laïcité et les droits des femmes reculent méthodiquement, en dépit des prétentions contraires du parti islamiste.

Le clivage « religieux-laics » a néanmoins servi à évacuer la question sociale, aujourd’hui remise à l’ordre du jour. L’alliance au pouvoir de forces islamistes et laïques (Ettakatol, CPR) révèle bien les convergences entre forces bourgeoises pour mener une politique économique libérale.

Car Ennahda n’a pas caché son intention d’attirer les investisseurs étrangers en offrant un cadre favorable à l’entreprise privée. Parmi les premières mesures du gouvernement, des mesures de libéralisation, d’introduction en bourse de plusieurs entreprises, et la création d’un dinar convertible.

Si les investisseurs, français en particulier, se disent satisfaits de la politique « modérée » d’Ennahda, l’instabilité sociale en Tunisie a conduit à une contraction de l’investissement, ce qui explique le raidissement du gouvernement – et son soutien à des milices para-fascistes – pour mater les protestations.

Le gouvernement tunisien multiplie les appels du pied vers les organisations impérialistes mondiales pour obtenir leur « aide » financière conditionnée à l’adoption de réformes structurelles.

Si le FMI a déjà annoncé sa volonté de voir la Tunisie adopter dans l’immédiat ces réformes, la Banque mondiale a d’ores et déjà adopté un plan de financement de 500 millions de $, l’Union européenne a promis un plan à hauteur de 700 millions de $.

Cet appel aux organisations économiques impérialistes s’articule à une position clairement pro-impérialiste sur la scène internationale de la Tunisie nouvelle.

Le nouveau pouvoir a soutenu l’intervention dans le pays voisin, la Libye, proposant même depuis l’instauration d’un marché commun tuniso-libyen. Il a également appuyé récemment une intervention en Syrie, tout en ayant accueilli en début d’année la « Conférence des amis de la Syrie ».

En échange de sa servilité vis-à-vis des puissances impérialistes, la Tunisie a bénéficié de plans d’aide dans les secteurs militaires et policiers, aidant le nouveau pouvoir à mater les contestations sociales.

Les États-Unis ont ainsi conclu un accord militaire de 32 millions de $ depuis la « révolution » pour ré-organiser l’armée tunisienne. La France fournit toujours l’essentiel de l’équipement policier tunisien tandis que le Qatar a gracieusement offert 76 voitures de police à la police tunisienne avant les émeutes de Siliana.

Le Qatar, comme en Libye ou en Syrie, joue un rôle de premier ordre en soutenant les forces islamistes les plus radicales et en pratiquant une politique d’investissement lui permettant de faire main basse sur les matières premières (mines de phosphate) et les installations industrielles (raffineries) du pays.

Deux ans après une révolution avortée, la lutte continue pour la classe ouvrière tunisienne, une lutte pour conquérir une véritable démocratie sociale qui passera par la satisfaction des besoins de base du peuple : paix (anti-impérialiste), pain et liberté.