Maître Nicole Dreyfus, une immense dame si petite par la taille mais qui fit trembler tant de procureurs et de juges vient de nous quitter.

vendredi 12 mars 2010
par  Alger républicain

La maladie l’a vaincue.

Pour les plus jeunes, ce nom ne parlera pas spontanément.
D’autres que moi diront mieux ce que fut la vie de cette avocate communiste qui décida de son métier toute enfant et qui y parviendra en 1946 ? moins de vingt trois ans.

Imaginez ! Un an après la suppression de ce Vichy qui la conduisit ? se cacher, une jeune femme, portant ce nom emblématique de Dreyfus (parente éloignée du capitaine) prête serment et s’engage dans le combat anticolonialiste.

Une femme qui fut parmi ceux qui prirent les risques les plus grands pour défendre les patriotes algériens. Et dire qu’elle culpabilisait parce que trop jeune et hors des circuits qui lui aurait permis de l’être, elle n’avait pas été résistante. La suite de son parcours témoigne de cette frustration et de quelle manière elle l’a par ses actes dépassée.
A ceux qui disent que les communistes des années 50, internationalistes d’alors, n’ont pas été aux côtés du peuple algérien, elle en est le démenti personnifié. Image de cet engagement qui conduira Ch. Lerderman, alors coordonnateur de l’activité des avocats communistes ? la faire rapatrier de façon énergique et discrète pour éviter qu’elle ne soit exécutée par les factieux colonialistes qui n’étaient pas que de l’OAS.

Cette femme qui ne s’en laissait pas compter était respectée en cette Algérie indépendante pour qui elle a tant donné. Sans jamais concéder de
terrain aux idées contraires ? son engagement d’avocate, de militante, de femme libre, elle y retournait pour dire. A de nombreuses reprises, elle participera ? partir de ses compétences juridiques et son expérience de terrain, rencontre après rencontre, colloque après colloque, elle participera jusqu’ ? la fin de ses forces ? nourrir la connaissance historique et sa popularisation de ce qui de Sétif, Guelma ? Kherrata, cette ignoble répression du 8 mai 1945 jusqu’ ? ? mars 1962 conduiront un peuple ? imposer son indépendance.

Je garde le souvenir de cette joie qu’elle avait de se retrouver ? Alger jusqu’ ? son dernier voyage où sa lucidité et son autorité lui permettait de montrer leurs contradictions ? ses interlocuteurs, elle, une femme, avocate, en 2009, ? Alger.

Plus tard, dans d’autres espaces juridiques de sa carrière, pour défendre l’honneur du Professeur Jacques Roux ce grand médecin résistant impliqué malgré ses actes et dénonciations dans l’affaire du « sang contaminé », sa plaidoirie bousculera jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat et innocentera le professeur J. Roux.

La presse relatera sa prise en otage et comment elle sauvera celui qui la détient des balles du GIGN qui venait la délivrer. Il y a quelques semaines, ? l’évoquer, elle en souriait encore.
Cette femme qui faisait autorité dans les différentes salles d’audiences, droit du travail, aides aux municipalités, droits des locataires mettait tout son honneur ? être du bon côté de la barricade, contre les réactionnaires de quelque nature et d’engagement qu’ils affichent au point que les avocats des parties adverses venaient la saluer, je peux en témoigner.

J’ai eu la chance de la côtoyer ces dernières années. Militante inlassable pour faire la clarté sur l’assassinat du jeune mathématicien communiste Maurice Audin, prenant sa canne, de sa démarche voutée par les ans et la vue meurtrie par le travail sur ses dossiers pour la méticulosité se ses plaidoiries, elle témoignait de la Sorbonne ? Alger.

Sa voix devenait parfois un peu rauque lorsqu’elle se laissait aller ? dire combien elle souffrait de voir que parmi certains de ses camarades, devenus ancien par leurs choix, l’oubliait dans des initiatives où elle aurait pourtant aimé témoigner de leurs engagement communs.

Un grand acteur de ces juristes démocrates, ces progressistes, parce que communistes internationalistes vient de nous quitter.

Canaille le rouge

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Post Script de la rédaction d’Alger républicain

L’anticommunisme est devenu un sport de compétition chez les historiographes du FLN, et notamment dans sa version « mielleuse ». Mechaal Ech Chadid a rendu hommage ? Nicole Dreyfus. L’historien El Corso d’habitude si rigoureux dans ses interventions a fait un commentaire tendancieux devant la caméra de l’ENTV. Rendant hommage ? la militante disparue il a conclu en affirmant « qu’elle avait placé les idéaux de liberté au-dessus de son parti ». Ce qui signifie que son action en tant qu’avocate défendant les patriotes algériens était en contradiction avec les orientations de son parti, le PCF. Sur quoi se fonde l’historien pour avancer de tels propos ?

Rappelons seulement que Maître Kaldor qui avait pris lui aussi la défense des patriotes a relaté dans ses témoignages que les fonds qui avaient permis au collectif des avocats de mener leur action de solidarité provenaient de la mobilisation des communistes français sous la direction du PCF. « Cette escouade de défenseurs ne recevait et ne réclamait aucun honoraire, leurs frais de transport et de séjour en Algérie leur étaient remboursés par les collectes organisées essentiellement par le Parti communiste Français, la CGT, le Secours Populaire Français, le Mouvement de la Paix. »
(voir « Souvenirs d’avocat pendant la guerre d’Algérie » publié dans la revue « Aujourd’hui l’Afrique « de juin 2004). Nicole Dreyfus faisait partie de ce collectif.