Manifestations du 11 décembre 1960 : des journées à jamais mémorables pour notre peuple

vendredi 11 décembre 2020
par  Alger republicain

Les puissantes manifestations populaires du 11 décembre 1960, ont été la réponse de notre peuple à tous ceux qui s’accrochaient à l’Algérie française, une gifle cinglante à la clique archi-réactionnaire qui voulait maintenir la domination coloniale par le fer et le feu.

Les événements sont toujours imprévisibles dans le détail de leur déroulement. Alors que personne ne s’y attendait, un véritable tsunami a déferlé sur tout le pays et changé radicalement le cours de la situation le 10 et le 11 décembre 1960.

Deux jours auparavant, à Aïn Témouchent, la tournée entamée dans cette ville par De Gaulle pour faire passer sa solution de la 3e force sous le slogan trompeur de l’ « Algérie Algérienne » ne s’est pas déroulée comme l’avaient espéré les services de l’action psychologique acquis à son plan. Mais tout a véritablement commencé dans Alger avec des mots d’ordre autres que ceux préparés dans les bidonvilles par les officiers gaullistes.

C’est une foule immense compacte qui avance les mains nues dans les quartiers peuplés par les Algériens devant les rafales de mitraillette de la soldatesque colonialiste.

Des femmes, des adolescents et des vieillards sont en première ligne. Les morts se comptent par dizaines et sont ramassés par des équipes qui se forment rapidement et emmenés au cimetière. Au-dessus de cette foule des centaines de drapeaux. L’emblème national, vert et blanc frappé en son centre par une étoile et un croissant rouges, flotte au grand jour. Des slogans sont inscrits sur des pancartes ou chantés :
« Tahia El Djezaïr ! Tahia El Djezaïr ! Yahia Abbas ! Yahia El Istiqlal !  »

Dans toutes les villes du pays gagnés peu peu par la révolte, se sont les mêmes images. A la lisière de Bab-el-Oued, au-dessus du boulevard de Champagne, les manifestants se heurtent à un service d’ordre impressionnant et aux groupes d’ultras Européens armés de fusils qui tirent sur la foule faisant des nombreux morts. Ils veulent empêcher les manifestants de se diriger vers le centre de la ville et la place du Gouvernement. 25 000 hommes, C.R.S., soldats cernent bientôt les quartiers algériens. La Casbah est encerclée par l’armée qui barre toutes les issues, le doigt sur la gâchette. La vieille ville est complètement fermée par les réseaux de fil de fer barbelé et des chevaux de frise disposés à l’entrée des ruelles. On ne peut ni y entrer, ni en sortir. A l’intérieur de la Casbah c’est une effervescence indescriptible. Sur les terrasses, les chants fusent, les drapeaux flottent. Les youyous des femmes montent en intensité. Repris en chœur dans toute la ville et même de la prison de Serkadji ( Barberousse) ils s’entendent à des kilomètres à la ronde et sèment le désarroi dans l’armée et les milieux ultras. A Bab El Oued les youyous ont provoqué une véritable panique chez les ultras arrogants qui manifestaient tous les jours en tambourinant sur des casseroles au rythme de leur sinistre refrain ‘’Al-gé-rie fran-çaise’’. Quand ils ont vu la levée des manifestants dans tous les quartiers algériens, ils se sont calfeutrés dans leur logement la peur au ventre.

Les murs sont recouverts de slogans F.L.N. fraîchement peints en rouge. Plus une place sur les fenêtres et les terrasses où des multitudes de femmes en costumes colorés poussent les traditionnels youyous tandis que les ruelles en escaliers sont parcourues par d’innombrables groupes de jeunes qui agitent des drapeaux algériens et reprennent à tue-tête les mêmes mots d’ordre : Tahia el Djezaïr ! Yahia Abbas ! Yahia el Istiqlal !

Malgré une répression qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer dans l’ignominie, la manifestation avançait inexorablement face à la soldatesque coloniale tirant sans hésitation à la mitraillette sur la foule en mouvement et non armée, une foule enjambant les corps des proches, femmes enfants et vieillards sans distinction, fauchés par les mitraillettes. Situation inédite, malgré les morts, des jeunes sans arme montaient sur les chars et les automitrailleuses en position de tir, la soldatesque complètement affolée et abandonnant la rue pour se protéger, laissant les manifestants se déployer dans toute les villes du pays et surtout dans la capitale Alger. Pendant plus d’une semaine, au prix de plusieurs centaines de morts, notre peuple uni comme les doigts de la main, était maître du pays. Ce fut une victoire éclatante sur la barbarie coloniale. Ce furent des journées mémorables gravées à jamais dans l’histoire de la libération de notre pays.

Les manifestations ont démontré devant le monde entier, la maturité politique de tout un peuple plus uni que jamais et surtout d’un peuple qui a pris conscience de sa force invincible devant l’ennemi. Il faut signaler l’organisation extraordinaire et la solidarité entre citoyens. Elle a provoqué un gigantesque bond en avant dans les comportements en général et même bouleversé les coutumes ancestrales. Chacun est comme élevé au-dessus de lui-même. Les réticences anciennes, les replis sur soi-même et les méfiances, souvent justifiés par le danger des délations, paraissaient disparaître d’un coup dans l’immense élan patriotique d’un peuple tout entier :

« Je n’avais jamais vu ça, j’étais hors de moi, je ne m’appartenais plus, personne ne s’appartenait, c’était une exaltation collective […]. Pendant ces deux ou trois jours de manifestations dans les quartiers populaires de Constantine, il y eut un élan communautaire extraordinaire : n’importe qui pouvait entrer dans quelle maison pour manger et dormir, tout le monde était chez tout le monde. Les jeunes femmes et les jeunes filles étaient dehors en train de manifester dans la rue, tandis que les vielles femmes étaient à la maison en train de faire le couscous pour les manifestants, pour celui qui entrerait. Les gens étaient dans un même fleuve ; il n’y avait plus de ces anciens tabous, de ces pudeurs anciennes : les gens entraient dans les maisons, toutes les barrières sociales qui existaient de par les traditions et les mœurs étaient complétement dépassées. Il n’y avait pas de suspicion, de rejet sous couvert d’une tradition. Auparavant, avant d’entrer dans une maison, il fallait frapper qu’on ouvre le passage, qu’aucune femme ne soit dans le couloir. Là on entrait et les femmes apportaient le café, c’était un mouvement général. » (Lire « La guerre d’Algérie » sous la direction de Henri Alleg, Tome 3, Messidor).

Les manifestations du 10 et 11 décembre 1960 ont eu un retentissement politique majeur dans le monde entier

Notre peuple venait d’infliger un véritable Diên Biên Phu politique à l’une des plus grandes puissantes coloniales du monde. Ce fut un événement historique qui allait bouleverser toutes les relations avec l’occupant. Le GPRA, pouvait clamer haut et fort, sans risque d’être démenti, qu’il était le seul représentant du peuple algérien.

La suite on l’a connaît, De Gaulle se résigne à négocier avec le GPRA non sans se livrer à des manœuvres de dernière minute pour tenter de discuter en position de force. Après avoir vainement tergiversé, le gouvernement français signe les accords d’Évian le 18 mars 1962. Le cessez-le-feu entrera en vigueur le lendemain 19 mars à midi. Décidé par les deux parties il met fin à 8 années de guerre terrible. De décembre 1960 à juillet 1962, la guerre aura duré encore un an et demi. Le référendum d’autodétermination du 1 er juillet consacre la volonté du peuple algérien de vivre dans une nation libérée de la domination coloniale.

Après 132 ans d’occupation par le colonialisme français, l’Algérie arrachait sa liberté et son indépendance.

Il est temps pour nos autorités de reconnaître enfin à leur juste valeur historique les manifestations des 10 et 11 décembre 1960 au même titre que le 1er novembre 1954 et de décréter un jour férié de commémoration nationale.

Si le premier novembre 1954 a été le moment où les armes ont parlé, lors des manifestations de décembre 1960, c’est tout un peuple qui a parlé collectivement. Son action a entraîné un changement capital dans le cours de la guerre. Elle a contribué à accélérer et à rendre irréversible l’heure de la victoire finale pour l’indépendance de notre pays.

Gloire à nos martyrs fauchés par les mitraillettes de l’ennemi dans les rues de nos villes. Notre peuple n’oubliera jamais le sacrifice suprême de tous ceux qui avant et après le 1er novembre 1954 ont permis à nos enfants de vivre dans un pays libre.

LIÈS SAHOURA