Mort de l’écrivain et prix Nobel allemand Günter Grass

mercredi 15 avril 2015

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L’écrivain et prix Nobel Günter Grass

L’écrivain et prix Nobel de littérature allemand Günter Grass est mort lundi, a annoncé son éditeur sur son compte Twitter.
« Le prix Nobel de littérature Günter Grass est mort ce matin à l’âge de 87 ans dans une clinique de Lübeck » (nord), a annoncé la maison d’édition Steidl.

Günter Wilhelm Grass est un écrivain et artiste allemand né le 16 octobre 1927 à Danzig-Langfuhr, et mort le 13 avril 2015.
Lauréat du prix Nobel de littérature en 1999, Grass est principalement connu pour son roman Le Tambour.

Marquée par l’expérience traumatique du nazisme, son œuvre, baroque et ironique, puise son inspiration dans son origine germano-polonaise et condense réalisme et mythe afin d’explorer les méandres de l’Histoire, la mémoire et la culpabilité.

Considéré comme l’un des plus grands écrivains contemporains de langue allemande, l’auteur est aussi remarqué pour ses prises de positions politiques à l’origine de nombreuses controverses en Allemagne et à l’international. En 2014, Grass annonce mettre fin à son activité littéraire.

Les prises de position de Grass, dans ses ouvrages ou dans les médias, ont souvent déclenché de vives controverses outre-Rhin, lui valant la réputation de polémiste.
Se positionnant politiquement à gauche, Grass, farouchement antilibéral, a toujours voulu se forger une figure de moraliste. La presse le classe parmi les intellectuels européens appartenant à un courant radical du socialisme : altermondialiste, pacifiste, antimilitariste et d’obédience trotskiste.

Il s’est longtemps battu pour le droit des femmes et la légalisation, en Allemagne, de l’interruption volontaire de grossesse.

L’auteur a régulièrement critiqué le passé nazi de l’Allemagne et est devenu un ténor de l’antiaméricanisme, fustigeant par exemple Helmut Kohl et Ronald Reagan, venus ensemble visiter le cimetière de Bitburg, au motif que des SS y étaient enterrés avec des soldats alliés et allemands durant la Seconde Guerre mondiale.

Lors d’un voyage en Israël, il déclare : « L’homme qui vous parle n’est donc ni un antifasciste éprouvé ni un ancien national-socialiste : plutôt le produit hasardeux d’une génération née à moitié trop tôt et infectée à moitié trop tard. ».

Après la chute du mur de Berlin, il s’oppose à la Réunification allemande pour « préserver l’héritage socialiste » de la République démocratique allemande.
En 1992, il quitte le SPD dont il était devenu une figure éminente en raison de la signature, par le parti, de la nouvelle Constitution qui comprend une clause de restriction du droit d’asile. Il milite un temps pour les Verts allemands avant de soutenir Gerhard Schröder.

En 1993, il apporte son soutien à Christa Wolf, dont les liens passés et occasionnels avec la Stasi sont rendus publics.

En 1997, il s’oppose une nouvelle fois à Helmut Kohl pour dénoncer la politique des marchands d’armes entre l’Allemagne et la Turquie.

L’auteur a souvent critiqué les « dérives libérales et petites bourgeoises » du SPD. Il a néanmoins toujours affiché un indéfectible soutien à l’ex-chancelier Gerhard Schröder qu’il n’apprécie guère personnellement.

Dans un échange télévisé avec Pierre Bourdieu pour la chaîne Arte en novembre 1999, l’auteur déplore les méfaits du néolibéralisme et affirme que « seul l’État peut garantir la justice sociale et économique entre les citoyens. ». Il exprime également son souhait d’ouvrir à nouveau « l’universalisme et le dialogue culturel hérité des Lumières ».

Grass a toujours voulu défendre la « voix des opprimés »  : il a notamment soutenu Salman Rushdie, victime d’une fatwa islamique en 1989, les écrivains arabophones contestataires et expatriés puis le peuple palestinien. Il a souvent dénoncé la politique du gouvernement israélien qu’il juge « agressive » et « belliqueuse ».

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, il déclare que la « réaction » américaine orchestre beaucoup de tapage « pour trois mille Blancs tués ». La même année, il s’oppose à l’intervention américaine en Afghanistan puis à la guerre en Irak deux ans plus tard.

En compagnie de Gabriel García Márquez, José Saramago, Umberto Eco, John Updike, Mario Vargas Llosa, Carlos Fuentes et Juan Goytisolo, Grass condamne l’attitude des autorités turques et réclame, en décembre 2005, l’abandon des charges judiciaires contre l’écrivain Orhan Pamuk, accusé d’« atteinte à l’identité turque » à la suite de la publication d’un article dans lequel ce dernier reconnaît la responsabilité de son pays dans les massacres kurdes et le génocide arménien.

En 2006, lors de l’affaire des caricatures de Mahomet, Grass fustige « l’arrogance de l’Occident » et son « mépris de la culture musulmane ».

En 2008, il publie avec cinq autres lauréats du prix Nobel (Mikhail Gorbatchev, Desmond Tutu, Dario Fo, Orhan Pamuk et Rita Levi Montalcini) une tribune pour dénoncer le sort de Roberto Saviano, dont la tête est mise à prix par la mafia et en appeler à la responsabilité de l’État italien dans sa lutte contre le crime organisé.
En 2010, il s’engage, au côté d’Orhan Pamuk, pour la libération de l’auteur Dogan Akhanli, emprisonné en Turquie.

En 2013, il fait partie des signataires, en compagnie de plusieurs écrivains dont quatre autres prix Nobel (Orhan Pamuk, Elfriede Jelinek, J.M. Coetzee et Tomas Tranströmer), d’un manifeste contre la société de surveillance et l’espionnage des citoyens orchestré par les États.

« Ce qui doit être dit »

Le 4 avril 2012, il publie dans le journal munichois le Süddeutsche Zeitung un poème en prose intitulé « Ce qui doit être dit » dans lequel il accuse Israël de menacer la paix mondiale tout en réclamant le contrôle strict du nucléaire iranien, ce qui déclenche un énorme scandale et vaut à l’auteur d’être accusé d’antisémitisme. Il s’en défend pourtant à l’intérieur même du poème, expliquant qu’il s’est longtemps tu à cause du verdict courant d’antisémitisme lorsqu’on critique Israël. Dans le poème, l’écrivain dénonce également le soutien de la République fédérale allemande à l’État hébreu à qui elle livre des sous-marins pouvant être dotés de missiles nucléaires. En Allemagne, lors des « marches pascales pour la paix », Grass obtient plusieurs soutiens. Entre-temps, le romancier regrette avoir parlé d’Israël de manière globale et affirme n’avoir voulu critiquer que le gouvernement israélien. En France, Bernard-Henri Levy, taxe l’auteur de régression intellectuelle et le qualifie de chantre d’un néo-antisémitisme inavoué. Si cette affaire divise la presse internationale, certaines personnalités comme Daniel Salvatore Schiffer, qui regrettent néanmoins les propos énoncés, déplorent qu’une confusion systématique et néfaste soit opérée entre « antisionisme » et « antisémitisme ».

Une nouvelle fois, une partie de la presse somme la Fondation Nobel de retirer à l’auteur son prix Nobel et l’argent qu’il lui a rapporté mais Peter Englund, secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise, exclut toute sanction vis-à-vis de Grass, rappelant que le prix lui a été attribué pour son mérite littéraire uniquement. L’association israélienne des écrivains de langue hébraïque réclame néanmoins que le Comité exprime clairement sa position sur l’affaire qu’elle juge plus morale que politique car, selon elle, « Grass est complice d’une opération de blanchiment des déclarations génocidaires des dirigeants iraniens. ».

Le 30 septembre 2012, alors qu’il est déclaré persona non grata en Israël, Grass publie un recueil de 87 poèmes, Éphémères, où il fait notamment l’éloge de Mordechai Vanunu, dénonciateur du programme nucléaire israélien. Ce plaidoyer, considéré comme une nouvelle provocation par une partie des médias, est moqué par les autorités israéliennes.

En juin 2013, en pleine période de campagne électorale, Grass provoque un nouveau scandale médiatique avec une virulente critique d’Angela Merkel dont il évoque la formation de fonctionnaire aux Jeunesses communistes d’ex-RDA et le parcours politique auprès de Helmut Kohl pour expliquer sa culture du pouvoir et sa capacité à « écarter violemment ses adversaires ».

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Ses romans publiés :

  • Le Tambour (Die Blechtrommel). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1961. Rééd. Paris, Seuil, 2009, nouvelle trad. de Claude Porcell.
  • Le Chat et la Souris (Katz und Maus). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1962.
  • Les Années de chien (Hundejahre). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1965.
  • Anesthésie locale (Örtlich betäubt). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1971.
  • Journal d’un escargot (Aus dem Tagebuch einer Schnecke). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1974.
  • Le Turbot (Der Butt). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1979.
  • Une rencontre en Westphalie (Das Treffen in Telgte). Roman. Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1981.
  • Les Enfants par la tête ou les Allemands se meurent Kopfgeburten oder die Deutschen sterben aus »). Trad. Jean Amsler. Paris, Seuil, 1983.
  • La Ratte (Die Rättin). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1987.
  • L’Appel du crapaud (Unkenrufe). Trad. par Jean Amsler. Paris, Seuil, 1992.
  • Toute une histoire (Ein weites Feld). Trad. par Claude Porcell et Bernard Lortholary. Paris, Seuil, 1997.
  • Mon siècle (Mein Jahrhundert). Trad. par Claude Porcell. Paris, Seuil, 1999.
  • En crabe (Im Krebsgang). Trad. par Claude Porcell. Paris, Seuil, 2002, roman traitant de la catastrophe du Wilhelm Gustloff.
  • Agfa box Histoires de chambre noire (Die Box) Trad. par Jean-Pierre Lefebvre. Paris, Seuil, 2010.
  • D’une Allemagne à l’autre (Unterwegs von Deutschland nach Deutschland). Paris, Seuil, 2010.

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Assawra - Avec les agences de presse

13-04-2015