Notre ami et camarade Ali Mehibel nous a quittés

lundi 27 avril 2020
par  Alger republicain

Il a été enterré hier après-midi à Jijel, la ville où il résidait. Il était âgé de 75 ans.

Sa disparition plonge dans une immense tristesse tous ceux qui l’ont connu et estimé pour ses convictions politiques, son honnêteté, son dévouement pour la cause de l’émancipation des exploités et des opprimés de l’Algérie et de tous les pays.

Il avait animé les pages en arabe d’Alger républicain jusqu’à ce que ses forces aient commencé à le lâcher.

Toute sa vie a été celle d’un combattant ferme et intransigeant pour éclairer, guider, organiser la classe ouvrière et les couches sociales laborieuses du pays dans la lutte longue et difficile pour l’abolition du régime d’exploitation et de l’esclavage salarié, source des inégalités, des frustrations, des guerres et des haines entre les peuples. Ali ne faisait aucune concession idéologique aux adeptes honteux du révisionnisme et des reniements, à ceux qui rompaient avec leurs idéaux de jeunesse pour courir derrière les postes.

Dès sa prime jeunesse il s’était engagé dans la lutte. Arrêté durant les manifestations du 11 décembre 1960 à Alger où il faisait ses études, il séjourna plusieurs mois dans les geôles du colonialisme. En prison sa conscience politique s’était aiguisée au contact des militants de la cause nationale. Mais, déjà en tant que fils du peuple, il était très sensible aux perspectives sociales qui devaient être imprimées aux fruits de la guerre de libération. Instinctivement il avait décelé en prison chez des responsables du FLN les germes de pratiques autoritaires que ne justifiaient pas les exigences de la lutte armée. Son esprit critique l’avait poussé à rejeter ces méthodes et les conceptions qu’elles reflétaient. Avec ses capacité intellectuelles précoces il aurait pu se préparer à faire son ascension dans les appareils de l’Etat algérien en gestation. Mais une telle option était étrangère aux idéaux révolutionnaires qu’il portait déjà en lui. Bien qu’il eût pu se prévaloir de sa qualité d’ancien détenu, Ali, en qui la fréquentation en prison de certains militants du FLN avait laissé un désagréable souvenir, ne caressa pas l’idée d’adhérer à ce parti.

Après l’indépendance il poursuivit ses études avec le désir irrépressible d’aller au fond des choses pour comprendre de façon scientifique les bases sur lesquelles repose la société, loin des préjugés retardataires sécrétés par les rapports sociaux existants. Doté d’une propension à s’ouvrir sur le monde moderne, il fit ses premiers pas dans la découverte du marxisme. Fils d’un campagnard de la région de Jijel, l’Algérie indépendante lui offrit la possibilité de faire des études supérieures de littérature au Caire, en Egypte. Il fut subjugué par le niveau intellectuel de professeurs progressistes qui jouissaient encore, à l’époque de Nasser, de la possibilité de faire rayonner des conceptions radicalement opposées à l’irrationalisme et à l’obscurantisme ancré dans les sociétés traditionnelles du monde arabe.

Pour des raison familiales il dut revenir à Alger pour achever brillamment ses études supérieures et décrocher dans les années 1960 sa licence en littérature arabe. La Faculté de littérature arabe était à l’époque un lieu d’ouverture intellectuelle sur le monde. Mais, sous l’impulsion coordonnée de Taleb, ministre de l’Enseignement supérieur et de la clique de Kaïd Ahmed qui allait prendre en main le FLN pour en faire un instrument de domestication et de caporalisation des organisations de masse, les éléments réactionnaires et les plus autoritaires et anti-démocratiques du pouvoir, avaient commencé à dresser les étudiants arabophones contre les étudiants francophones. A l’Université, cette tâche de diversion et de division destinée à brouiller les clivages de classe fut confiée à celui qui exerce aujourd’hui la fonction de porte-parole de la Présidence. Les fractions droitières du pouvoir mettaient en application une stratégie élaborée de répression de l’Union Nationale des Etudiants Algériens. Elles redoutaient un rapprochement de la fraction progressiste du pouvoir, dont Boumedienne allait prendre la tête, avec les étudiants autour de l’application des objectifs émancipateurs tracés dans le Programme de Tripoli et de la Charte d’Alger de 1964. Elles fomentaient des provocations pour saper le retour à ces textes que le coup d’Etat du 19 juin 1965 avait un temps mis sous le boisseau.

Armé de la connaissance des principes du socialisme scientifique, Ali ne tomba pas dans le piège grossier de l’opposition entre arabophones et francophones. C’est dans cette période dure et périlleuse qu’il fit connaissance du Parti de l’Avant Garde socialiste, continuateur du PCA qui agissait dans la clandestinité. Il adhéra à ce parti à un moment où la répression anti-communiste faisait rage.

C’est avec un enthousiasme débordant qu’il rejoignit son premier poste de professeur de littérature arabe dans un lycée de Constantine. Il entendait participer ainsi à l’édification d’une Algérie indépendante et moderne, à la formation de générations de jeunes lycéens libérés des préjugés rétrogrades et des sectarismes régionalistes, fiers de leur culture nationale dans ce qu’elle a de meilleur et ouverts sur l’humanisme universel, attentifs en même temps aux préoccupations et aux espoirs des humbles et des classes sociales exploitées.

Ali brillait pas une immense culture arabo-islamique. Il en connaissant l’histoire, les évolutions et les contradictions en tant que reflet et produit des luttes séculaires entre les tendances progressistes portés par les meilleurs esprits du monde arabo-islamique et les tendances réactionnaires véhiculées par les classes exploiteuses.

Pour des raisons familiales et matérielles à la fois, Ali qui venait d’épouser une femme qui partageait ses convictions de lutte pour une société meilleure revint dans sa région d’origine. Il se fixa à Jijel où il mena de front ses activités professionnelles et militantes.

En particulier il contribua à éclairer les militants sur la nature de classe des conceptions réactionnaires de l’islamisme propagé dès les années 1980. L’Islam est exploité à grande échelle par les défenseurs de la grosse propriété foncière et les intellectuels de la bourgeoisie rétrograde que le pouvoir de Chadli encourageait en sous-main ou ouvertement sous les hospices de son « muphti cathodique » Al-Ghazali. Les monarchies théocratiques du Golfe n’avaient pas pardonné à Boumediène les propos à travers lesquels il avait soutenu sa conception de l’Islam lors de la Conférence Islamique de Lahore de 1974. « Mon Islam à moi ne peut accepter que le musulman aille au paradis le ventre creux » avait-il lancé à la face de ceux qui étaient l’incarnation du Moyen Age. A la demande du pouvoir de Chadli, Al-Ghazali avait été dépêché en Algérie par Al-Azhar pour entreprendre de « rééduquer » le peuple algérien à travers ses causeries hebdomadaires à la télé. C’est le même qui osa proposer de retirer la qualité d’Algérien au grand écrivain Kateb Yacine.

En décembre 1990, Ali est élu membre du comité central lors du congrès du PAGS devenu parti légal suite à l’explosion populaire d’octobre 1988.

Le congrès se tint dans un contexte difficile. Les militants étaient confrontés à l’émergence du FIS parti ultra-réactionnaire financé sous le paravent de l’Islam par les couches petites-bourgeoises et bourgeoises les plus rétrogrades. Ce parti avait réussi à tromper de larges catégories populaires. Le FIS que le pouvoir a légalisé en violation de la Constitution de 1989 avait remporté la majorité des communes lors des élections de juin 1990. Face à ce péril, et dans le contexte de la plate-forme idéologique mondiale de la prétendue « nouvelle mentalité » lancée par les contre-révolutionnaires en URSS sous la direction de Gorbatchev, de nombreux dirigeants et cadres du PAGS avaient entrepris un processus de rupture avec les fondements idéologiques de ce parti. Pour eux la contradiction principale de l’Algérie opposait le « capitalisme moderne » au « capitalisme archaïque ». Sur la base de cette nouvelle conception ils prônaient l’alliance avec les « réformateurs » du pouvoir et acceptaient la restitution des terres nationalisées et la privatisation des entreprises publiques afin, prétendaient-ils, de constituer un large front contre les « forces de l’archaïsme ».

Ali fut de ceux qui repoussèrent ce reniement malgré les énormes pressions que des cadres du PAGS exerçaient sur lui.
Il dénonça les propos révisionnistes répandus au sein du PAGS, que défendait en particulier son nouveau coordinateur. Avec d’autres camarades, il réaffirma la nécessité de maintenir le cap sur le marxisme-léninisme. Il ne pouvait être question de mener la lutte contre les mouvements ultra-réactionnaires qui utilisaient la religion pour camoufler la défense des intérêts des classes possédantes sans relier cette lutte à la défense des intérêts des travailleurs et de la classe ouvrière.

Il participa à la lutte pour la reconstitution d’un parti révolutionnaire marxiste-léniniste.
Durant les années où sévissaient les tueurs du FIS, en 1995, il échappa de justesse à une tentative d’assassinat.
Peu avant, un autre camarade, Rabah BouchaIr, qu’une profonde amitié liait à Ali, n’avait malheureusement pas eu cette chance. Il fut assassiné sous les yeux de ses élèves en plein cours.
Les hordes obscurantistes ne réussiront pas à le terroriser. Il poursuivit avec courage le combat dans les conditions dangereuses qui avaient meurtri durant de longues années la région.

Ali est parti. De nouvelles générations de combattants, ouvriers et intellectuels, surgiront du hirak actuel pour prendre la relève. A partir de l’expérience politique collective de masse en cours d’accumulation et d’assimilation, commencent à se cristalliser les forces représentatives des aspirations de classe des travailleurs. Elles viendront à bout des illusions et des manipulations des fractions pro-capitalistes et pro-impérialistes de la petite-bourgeoisie. Tenter de limiter le cours du mouvement populaire, comme elles le font, à de simples changements de personnel politique pour mieux continuer à duper les masses populaires, à consacrer la voie du renforcement du système d’exploitation en place, n’est à l’échelle de l’histoire qu’une vaine entreprise. Comme sont vains les petits calculs de nos gouvernants.

Le combat de Ali se poursuit.

Honneur à notre camarade !

Alger républicain