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Pierre Chaulet, l’Algérien

vendredi 19 octobre 2012

Il y a les « Justes », ces Français qui ont bravé leur propre État, et il y a les autres, ces Algériens dont le statut colonial pouvait faire prêter à confusion de par leur extraction : Maurice Audin, Fernand Yveton, Henri Maillot, Annie Steiner, Raymonde Peschard, Danielle Minne et bien d’autres. Pierre Chaulet était de ceux-ci. Dans sa détermination, très difficile pour l’époque, il aura mérité deux fois. La première fois en choisissant le camp des opprimés contre celui des oppresseurs, fussent-ils de sa propre communauté. La seconde fois d’être resté, jusqu’au bout, dans un pays qui ne lui reconnaissait pas la liberté d’être ce qu’il est, le droit à la différence. Non pas qu’il fallait lui tresser des lauriers, qu’il n’a jamais demandés, mais en assurant à tous les enfants de l’Algérie de vivre en pleine lumière leur particularité socioculturelle.

Ainsi, quand certains d’ici et de là-bas travaillent, toute honte bue, à réhabiliter le colonialisme, à lui trouver des « bienfaits » et à renvoyer dos à dos la victime et le bourreau, la mort de ce militant de l’humanité réveille ce passé où les choix devaient se faire en fonction d’abord de la conscience que l’on a de la justice. Chaulet et tous les Européens d’Algérie, qui ont rejoint le FLN et le peuple algérien – devenu leur peuple – dans leur lutte de libération nationale, ont montré la voie qui aurait pu tout changer dans la vie de ces centaines de milliers de pieds-noirs qui ont préféré croire que leur salut résidait dans le maintien de l’indigénat. Le mérite en est démultiplié. Passant pour « traître », risquant sa vie, Pierre Chaulet a bravé l’injustice.

Les camusiens auraient dû l’interroger à ce sujet et lui demander, par la même occasion, comment il a fait pour ne pas choisir « sa mère ». Ils auraient dû ensuite, chercher à comprendre comment Chaulet, qui n’était pas un « petit-blanc », mais un médecin émancipé des contingences de la vie, a-t-il pu tout rompre, tout abandonner pour s’embarquer dans une aventure incertaine, qui aurait pu ne pas le concerner, sans que cela puisse offusquer quiconque. A l’indépendance, quand l’exode a commencé pour ceux qui ont cru jusqu’au bout à « l’Algérie de papa », qui ont refusé de supporter que l’indigène sorte de son deuxième collège, Chaulet a rejoint un autre combat, celui de la construction d’un pays exsangue, après la destruction d’un système d’exploitation et d’oppression de millions d’êtres humains.

Il a mené la guerre contre la tuberculose qui ravageait les Algériens et l’a vaincue. On venait de dépasser la simple notion de justice et d’engagement politique et d’entrer dans celle d’accomplissement du devoir citoyen. Il est bien d’en parler et beaucoup en ces temps lourds de révisionnisme, qui voit s’effriter les principes qui ont guidé et fait mourir et vaincre des femmes et des hommes contre la pire entreprise des temps modernes : le colonialisme. Il est bien que l’engagement de Pierre Chaulet soit le plus connu possible, tant l’écriture de notre histoire a beaucoup plus obéi au moule réducteur et à la paranoïa identitaire qu’à l’objectivité et à la nécessité que les générations soient éduquées dans la connaissance objective.

Par Ahmed Halfaoui


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