« Pour l’Algérie, toute l’aide dont elle aura besoin... »

dimanche 1er novembre 2015

En octobre 1963, au début de l’Indépendance, Fidel et Raul envoyèrent des tanks, des équipages et des artilleurs afin de repousser l’invasion du Maroc

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Le colonel Houari Boumediene (premier plan à gauche), l’ambassadeur cubain en Algérie Jorge Serguera, le commandant Slimane Hoffman, en retrait avec des lunettes, Gabriel Molina.
DR Granma

À l’aube du 22 octobre 1963, le navire marchand Aracelio Iglesias arriva à Oran, la deuxième ville d’Algérie, dans le nord-ouest du pays, pour débarquer la colonne qui fut transportée par voie ferrée dans 42 plateformes et 12 wagons, à environ 80 km, au fort construit par la Légion étrangère à Bedeau, près du village de Ras-el Ma.

En pénétrant dans la ville, une certaine tension s’installa à l’apparition d’une file de véhicules militaires français. Il n’y eut pas d’incidents. Les Français s’arrêtèrent pour laisser passer les Cubains. Les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962, préalablement à l’indépendance de l’Algérie, prévoyaient le stationnement de troupes françaises, lequel cessa à la date prévue. L’indépendance de l’Algérie fut proclamée le 5 juillet, et à l’occasion des premières élections, le 19 août 1962, Ahmed Ben Bella fut élu à la présidence, avec pour vice-président le colonel Houari Boumediene.

Dans la matinée du 9 octobre 1963, Abdelaziz Bouteflika, l’actuel président algérien, alors ministre des Affaires étrangères, se rendit à la résidence de l’ambassadeur cubain, le commandant Jorge Serguera, pour l’informer d’une invasion imminente de troupes marocaines et que l’armée algérienne manquait de tanks et autres moyens pour affronter une guerre conventionnelle.

Serguera lui répondit que Cuba pouvait envoyer des tanks, des canons et des munitions à l’Algérie, et lui répéta les paroles de Fidel :

« Pour les Algériens, toute aide dont ils auront besoin... ».

Bouteflika en fit part à Ben Bella et à Boumediene qui acceptèrent la proposition sur le champ.

Immédiatement, Serguera informa le commandant Manuel Piñeiro à Cuba. Lorsque l’opératrice demanda à qui était adressé l’appel et de la part de qui, celui-ci répondit : de la part de Raul Perozo pour Eduardo Mesa, deux guérilléros morts dans un combat mémorable face aux tanks de Batista. Serguera demanda 22 « infirmiers » de Pedro Miret, avec leurs « instruments » pour combattre une épidémie. Piñeiro, qui était un chef astucieux, comprit le message, Miret étant chef d’artillerie. Quelques heures plus tard, Piñeiro lui faisait savoir : « Alejandro [Fidel] est d’accord ». Serguera fit part aux dirigeants algériens de l’accord de Fidel.

Le commandant Raul Castro, ministre des Forces armées révolutionnaires (FAR), se rendit en hélicoptère dans les provinces orientales pour retrouver Fidel dans la ferme El Jardin, dans l’actuelle province de Las Tunas, où le cyclone Flora frappait durement le pays, et l’informa de l’invasion marocaine.

Après une analyse dynamique, les efforts se concentrèrent sur l’organisation de l’Opération Dignité. Un Groupe tactique de combat et un premier Groupe spécial d’instruction (GEI) furent formés. Des membres de l’état-major, composé par Flavio Bravo, Aldo Santamaria, Angel Martinez, (Francisco Ciutat), Roberto Viera, Ulises Rosales, Pedro Labrador et Mario Alvarello, s’envolèrent pour Alger où ils arrivèrent le 14 octobre.

Le 9 octobre lors d’une réunion présidée par le ministre des FAR au campement de Managuaco, à San José de las Lajas, près de La Havane, Raul demanda aux présents s’ils acceptaient de partir comme volontaires pour une mission difficile hors du territoire national. Le soir même, ils furent convoqués au port de La Havane, et dans la nuit du 10, environ 120 soldats et officiers s’embarquèrent pour l’Algérie.

Après le départ dans les temps du matériel, le second groupe partit à bord du navire Andrés Gonzalez Lines, une semaine plus tard, suivi le 22 par un renfort embarqué dans deux avions. Dans l’un d’eux se trouvait le commandant Efigenio Ameijeiras, qui allait assumer la direction des opérations. Au Groupe tactique de combat furent assignés le commandant Roberto Viera en tant que second chef ; le capitaine Ulises Rosales, chef de l’état-major et le lieutenant Pedro Labrador, comme instructeur.

L’armement fut transporté à bord des deux navires : un bataillon de tanks avec 22 T-34 ; un groupe d’artillerie avec 18 obus de 122 mm ; un groupe de mortiers avec 18 pièces de 120 mm ; un groupe d’artillerie antiaérienne avec 18 pièces 14.5 mm et une batterie de canons antichar de 57 mm. Le groupe cubain du GEI était composé de 26 officiers, 19 sous-officiers et 640 soldats.

LES TANKS ARRIVÈRENT À ORAN EN 12 JOURS

Le 22 octobre, le soleil n’était pas encore levé que le premier bateau arriva à Oran, environ 12 jours après la rencontre entre Bouteflika et Serguera ; le deuxième groupe arriva le 29. Dénonçant la concentration des troupes marocaines à la frontière, Ben Bella fit part de la situation difficile de l’Algérie. Le roi du Maroc, Hassan II, connaissant la précarité de l’armement algérien, avait ordonné à ses troupes de franchir la frontière le 14. Les villes de Hassi Beïda, Figuig, Tindouf et Tinjoub, furent prises, en dépit de l’héroïque défense algérienne.

Je me suis rendu à Colomb Bechar, à 1 200 km au sud de la capitale, où était installé le poste de commandement du vice-président Boumediene. Le 23 octobre, en tant que correspondant de Prensa Latina, nous avons obtenu une entrevue, au cours de laquelle le ministre de la Défense dénonça également la complicité des services secrets des États-Unis, parce qu’Hassan II utilisait leurs pilotes.

Le colonel fit en sorte que plusieurs journalistes puissent se rendre à Tindjoub et informer que le 24 octobre, après cinq jours d’affrontement, l’Algérie avait repris Hassi Beida.

Dans les sables sahariens, le docteur Julio Hernandez Socarras était l’un des 28 médecins, trois stomatologistes, 15 infirmiers et infirmières et huit techniciens, qui depuis environ quatre mois, le 23 mai 1963, faisaient partie de la première mission cubaine d’aide civile envoyée par Fidel. Quelques-uns furent dépêchés sur la zone de combat pour l’assistance aux blessés. À l’arrivée du Dr Pedro Rodriguez Fonseca, chef de la mission militaire, et de ses médecins, le Dr Hernandez et les autres coopérants retournèrent dans les hôpitaux qui leur avaient été assignés au mois de mai.

L’OBJECTIF STRATÉGIQUE ÉTAIT LA VILLE DE CASABLANCA

« Nous étions près de la frontière et de Tindouf. Nous avons préparé une attaque par le côté nord de la zone de combat, où Hassan ne disposait pas de forces importantes. Nous devions entrer par devant les monts de l’Atlas jusqu’à Casablanca. L’idée était de passer la frontière, d’avancer sur 60 à 70 km et d’y faire entrer les guérilleros africains qui s’entraînaient à Sidi bel Abbes et Oran, avec l’accord des Algériens »,

explique le général de division de réserve, Ulises Rosales.

« L’opération fut planifiée pour lancer une attaque simultanée dans trois directions : la principale avec le groupe cubano-algérien dans la direction d’Aricha-Berguenet ; une autre à Tlemcen-Oudja à environ 78 km de la première, avec deux bataillons d’infanterie algériens, une compagnie de tanks 55 venus d’Egypte et la troisième à Figuit, avec deux bataillons d’infanterie algériens »,

nous a-t-il dit.

Après une réunion à Colomb Bechar entre les directions militaires algérienne et cubaine, la thèse de Boumediene fut choisie : nous emparer de territoires frontaliers marocains, afin qu’en cas de négociations, l’Algérie se trouve dans de meilleurs positions. Ameijeiras dit : « Nous n’arrêterons pas avant d’être arrivés à Casablanca. »

« Nous étions sur le point de partir, préparés à amorcer l’offensive cubano-algérienne le 29 octobre – ajoute Rosales –, lorsque Ameijeiras informa qu’il fallait attendre. Serguera était allé à Alger pour informer Ben Bella et il donnerait l’ordre. Mais le Président lui dit : « Nous devons attendre ; demain (30 octobre) je dois assister à une conférence au Mali pour examiner la situation en présence d’Hassan II, du président Modibo Keita et de l’empereur Hailé Selassié. Serguera ordonna donc d’attendre ».

Plus tard, Serguera informa de la déclaration de cessez-le-feu et de la suspension des hostilités. Le danger passé, Viera revint à Cuba avec la moitié du contingent. Le reste des membres de l’Opération Dignité poursuivit l’entraînement militaire des Algériens pour l’utilisation de l’armement et la préparation au combat, sous le commandement d’Ulises Rosales.

Le 2 janvier 1964, à l’occasion du 5e Anniversaire de la Révolution cubaine, fut organisé à Alger un défilé militaire conjoint en présence de Ben Bella, Boumediene et de Serguera. Les officiers et les soldats algériens firent une démonstration impressionnante. Le gouvernement algérien put constater que son armée populaire était prête à assurer sa tâche principale de défendre les conquêtes de la Révolution. Le commandant Raul Castro Ruz envoya un message de reconnaissance à chacun des Cubains.

Le 11 mars 1964, le commandant Flavio Bravo remit officiellement tout l’armement, qui fut reçu par Boumediene et le commandant Slimane Hoffman. Le contingent resta jusqu’au mois d’octobre, au terme de l’entraînement militaire. Les messages de félicitations de Ben Bella et de Boumediene témoignent de l’efficacité avec laquelle l’Opération Dignité avait été menée.

La pénétration frontalière dura seulement 17 jours ; les documents déclassifiés durant ces 50 ans permettent de comprendre comment la courageuse résistance algérienne et la décision cubaine d’envoyer ce groupe d’instruction et de combat contribua de manière décisive au dénouement positif. Les conversations durèrent plusieurs mois sur d’autres scènes jusqu’en février 1964, au terme desquelles les frontières antérieures, établies par l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), furent rétablies.

DES ARMÉES EN BLOUSES BLANCHES ET EN VERT OLIVE

La collaboration de Cuba avec l’Afrique commença en 1961 quand l’Algérie luttait contre le colonialisme. Cette aide se multiplia à partir de l’épisode audacieux de 1963. Peu après, Massamba Débat, président du Congo Brazzaville, fit une visite officielle en Algérie et pendant une réception en son honneur, au Palais du peuple, le président Ben Bella lui raconta la récente opération.

Débat voulut connaître Serguera. Le président congolais lui manifesta son besoin en armes et en entraînement militaire. En peu de temps, la demande se matérialisa et l’assistance cubaine commença avec des équipements militaires soviétiques, qui parvinrent notamment aux mouvements indépendantistes de Guinée Bissau, du Mozambique, de Namibie, d’Angola, Zimbabwe, la Zambie, l’Afrique du Sud et les gouvernements menacés du Zaire, d’Éthiopie et de République populaire de l’Angola, la plus longue, sanglante et significative. Une véritable épopée qui concerna presqu’à toute l’Afrique sub-saharienne, si l’on considère également l’aide civile.

Les voyages à Alger du président Raul Castro et du président Abdelaziz Bouteflika à La Havane renforcèrent plus d’un plus demi-siècle de coopération entre les deux peuples et gouvernements. Ces exemples emblématiques de fraternité qui commencèrent par une assistance civile et militaire importante envers presqu’à toute l’Afrique, firent dire à Nelson Mandela en juillet 1991 :

«  Quel autre pays peut se prévaloir de plus d’altruisme que celui dont Cuba a fait preuve dans ses relations avec l’Afrique ? »

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Gabriel Molina Franchossi

in Granma

1er novembre 2015