Révision de la Constitution entérinée par le Parlement : que peut-on en espérer ?

mercredi 10 février 2016
par  Alger republicain

C’est sans surprise que les amendements portant révision constitutionnelle ont été adoptés dimanche 7 février par le Parlement. Le régime peut se targuer qu’une « majorité écrasante » de parlementaires a adopté son texte tel quel, sans débat aucun. Pas une virgule n’aura été changée.

Sur les 606 parlementaires, 89 ont boudé la réunion - opposants « islamistes », FFS et autres - tandis que 517 membres ont répondu à l’appel, dont 5 par procuration. Deux députés seulement ont voté contre. 16 se sont abstenus, dont ceux du parti de Louisa Hanoune. Celle-ci a justifié sa position par la nécessité selon elle de préserver l’Etat des dangers qui le menacent. Déception auprès de ses sympathisants qui attendaient d’elle un « non » de principe, même si aucune illusion n’était de mise sur l’issue du vote. Depuis l’été elle n’avait eu de cesse de fustiger la mainmise des oligarques sur les institutions du pays. Pas de tous, mais des « mauvais » à l’image du nouveau magnat Haddad, détenteur à lui seul de quelque 850 grands projets publics. Le problème c’est que directement ou indirectement, à travers ses organisations patronales ou ses journaux et ses chaînes de TV, toute la bourgeoisie et pas seulement les « mauvais » oligarques, a salué les « avancées » de la révision sur le plan économique et social. Y compris donc les « bons », qualificatif désignant les « créateurs de richesses » suivant la touchante mais naïve distinction de ceux selon lesquels le salut de l’après-pétrole viendra de la bourgeoisie dite « nationale », dont on cherche vainement les traces depuis l’indépendance.

Que va apporter cette révision ?

Comme nous l’avions écrit dans l’article « vente concomitante », les amendements consacrent un recul sérieux sur les libertés démocratiques et le règne constitutionnalisé de l’arbitraire. La pratique du régime qui consiste à proclamer un droit dans le texte de la Constitution puis de l’annuler par une loi ou des décrets d’application est érigée en principe de « gouvernance ». Ceux qui ont cru voir dans la réaffirmation des libertés des raisons de considérer l’avenir avec optimisme se mordront les doigts. On ne voit pas par quel miracle, une assemblée si peu représentative et si éloignée des aspirations des masses populaires se convertirait subitement en adepte du respect des libertés des citoyens lorsqu’elle sera appelée à retoucher les lois en vigueur.

Le chef de l’Etat a cru bon de signaler que les députés ou les citoyens ont désormais le moyen de contester les lois. A moins d’une mauvaise écriture de l’amendement relatif à cette question, ce n’est pas exactement ce qui est énoncé dans l’amendement portant sur les attributions du Conseil Constitutionnel (articles 166 et 166-bis)*. Les députés, à supposer que dans un parlement aussi cadenassé, il s’en trouverait 50 - ou 30 membres du Conseil de la Nation - pour exprimer comme un seul homme leur désaccord avec une loi votée, n’ont absolument pas le droit de l’attaquer pour inconstitutionnalité. Théoriquement seule une partie engagée dans un litige judiciaire dont l’issue dépend du contenu de la loi contestée, peut faire valoir ce droit auprès du Conseil constitutionnel par l’intermédiaire de la Cour suprême ou du Conseil d’Etat, après avoir épuisé tous les recours.

Pas d’avancée démocratique effective, statut quo politique, légitimation constitutionnelle de la politique de « concorde et de réconciliation » avec les organisations qui ont mis le pays à feu et à sang au nom de l’Islam, qu’y a-t-il en définitive de vraiment nouveau dans cette révision. Que restera-t-il de toute cette opération ? Au risque de décevoir ceux qui veulent encore espérer que des changements positifs viendront de l’intérieur des appareils d’Etat, rappelons ce qui a été mis en évidence dans notre analyse citée plus haut. Cette nouvelle Constitution a été faite au fond pour satisfaire totalement les desiderata des nouveaux riches et des multinationales : 1/constitutionnalisation du fameux « climat des affaires » ; 2/ supériorité des traités ou accords économiques internationaux sur la loi nationale, autrement dit primauté des accords internationaux de libre-échange sur l’intérêt national.

En résumé le régime a désormais encore plus de pouvoirs constitutionnels pour imposer le projet fou des nouveaux potentats de mener … leurs affaires dans le climat le meilleur qui soit, main dans la main avec leurs « partenaires extérieurs ». Des « partenaires » rassurés sur la volonté et les intentions des dirigeants de tenir fermement le cap sur le capitalisme dans sa forme la plus dépendante, la plus assujettie à la domination des puissances impérialistes. Telle est l’essence de cette révision.

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R.N.
10.02.15

* La mise en œuvre de ces articles ne sera pas effective avant trois ans, délai fixé dans les dispositions transitoires, pour en « réunir toutes les conditions nécessaires », Ndr.