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Un crime colonial au cœur de Paris : le 17 octobre 1961

lundi 20 octobre 2025, par Alger republicain

Le 17 octobre 1961 à Paris, des milliers d’Algériens manifestent pacifiquement contre le couvre-feu raciste imposé par les autorités françaises. En réponse, la répression est brutale : arrestations massives, exécutions sommaires, corps jetés dans la Seine. Longtemps étouffé par le silence d’État, ce crime colonial demeure un symbole fort de la violence systémique exercée contre les peuples en lutte pour leur liberté. À travers cette mémoire, c’est toute l’histoire de la colonisation, de la résistance algérienne et des complicités politiques qui se trouve rappelée.

Pour le peuple algérien, le 17 octobre 1961 reste une date gravée dans la mémoire collective. Ce jour-là, à Paris, près de 60 000 Algériens, hommes, femmes et enfants, ont manifesté pacifiquement à l’appel de la Fédération de France du FLN. Leur objectif : dénoncer un couvre-feu raciste imposé par les autorités françaises, réservé uniquement aux "Français musulmans d’Algérie", les forçant à se cloîtrer de 20h30 à 5h30 du matin. Une mesure discriminatoire qui visait à faciliter la traque, les arrestations arbitraires, les violences et les disparitions orchestrées par la police et les supplétifs du pouvoir colonial.
Mais au-delà de cette injustice immédiate, ces manifestants revendiquaient haut et fort le droit à l’indépendance de leur pays, engagée depuis le 1er novembre 1954, date du début de l’insurrection armée contre la colonisation française. Leur courage résonnait comme un ultime cri de liberté à quelques mois des Accords d’Évian, qui seront signés le 19 mars 1962 et mettront officiellement fin à 132 ans de domination coloniale.

Ce soir-là, la répression fut brutale, immédiate, sanglante

La manifestation pacifique fut noyée dans le sang. 12 000 Algériens furent arrêtés, entassés dans des centres de détention improvisés, tabassés, humiliés. Des dizaines, peut-être des centaines, furent exécutés sommairement, jetés dans la Seine, leurs corps repêchés les jours suivants, marqués de balles, de coups, ou jamais retrouvés.
Les témoignages de survivants décrivent une violence systématique : des manifestants extirpés des bus de police ou de la RATP à coups de matraques, roués de coups entre des haies de policiers. Ce fut une véritable chasse à l’homme, un pogrom colonial en plein Paris.
Officiellement, les autorités françaises reconnaîtront à l’époque… deux morts. Un mensonge d’État, relayé sans scrupules par les médias dominants et soutenu par une opinion publique souvent indifférente ou complice. Pourtant, des recherches historiques sérieuses estiment aujourd’hui à plus de 200 morts le nombre de victimes, et la Fédération du FLN en France en recensa plus de 400, selon les déclarations des familles endeuillées.

Un crime d’État longtemps nié

Plutôt que de reconnaître la responsabilité politique de cet événement, l’État français cherchera à faire porter le chapeau à Maurice Papon, préfet de police de Paris à l’époque. Son passé trouble collaborateur sous Vichy, impliqué dans la déportation de Juifs bordelais ne sera publiquement exposé qu’au début des années 1980, au moment où la France commençait à affronter, tardivement, sa propre responsabilité dans la Shoah.
Depuis 1945, pourtant, tout le monde savait qui était Papon. Mais dans le contexte de la Guerre froide, l’anticommunisme primaire l’a emporté sur la justice et la mémoire. De Gaulle, comme les Alliés, ont fermé les yeux sur le passé de nombreux collaborateurs pour asseoir un ordre politique favorable à leurs intérêts, en particulier contre le puissant Parti communiste français, auréolé par son rôle dans la Résistance.
Cette instrumentalisation du passé s’inscrit dans une continuité : l’oppression coloniale et l’anticommunisme sont deux faces d’un même système de domination, qui a besoin de figures comme Papon pour se maintenir.

Une mémoire coloniale lourde de crimes

Le 17 octobre 1961 n’est qu’un épisode parmi tant d’autres de la longue nuit coloniale imposée au peuple algérien. Dès l’invasion de 1830, la terre a été confisquée par la violence, les paysans expulsés et réduits à la misère. Les enfumades de tribus entières, les massacres de populations, les pendaisons, les ratonnades, les humiliations quotidiennes… Tout cela a marqué 132 ans d’un colonialisme brutal et raciste.
Le massacre du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, avec ses 45 000 morts, est une autre preuve sanglante de la réponse de la France à la moindre revendication de liberté ou de justice de la part du peuple algérien.
Surprise par le déclenchement de la guerre de libération en 1954, la France coloniale mobilisera toute sa machine de guerre contre une population qu’elle juge "rebelle et ingrate". Sept années de guerre féroce, d’arrestations, de tortures, d’exécutions, de bombardements, de déportations… Le bilan est lourd : 1,5 million de morts, des milliers de disparus, une société marquée à jamais.

Un combat pour la justice et la liberté

Le peuple algérien a payé un lourd tribut, mais il n’a jamais plié. Il a tenu bon jusqu’à arracher, au prix du sang, son droit à l’indépendance et à la dignité. Effacer ces crimes d’un simple discours de réconciliation serait une insulte à la mémoire des martyrs. Il ne peut y avoir de véritable paix entre les peuples sans justice, sans vérité, sans rupture avec le système qui a permis ces horreurs.
Dans les jours qui ont suivi le massacre du 17 octobre, des voix françaises courageuses se sont élevées, notamment au sein du Parti communiste français, pour dénoncer cette barbarie. Des syndicats, des étudiants, des intellectuels ont organisé des mobilisations pour exiger la fin de la guerre coloniale.
Ce jour-là, les travailleurs immigrés algériens, qui formaient la base sociale du mouvement national en métropole, ont affirmé haut et fort leur appartenance à la lutte anticoloniale. Leur combat sur les deux rives de la Méditerranée reste un exemple de solidarité, de dignité et de résistance.
Gloire à nos martyrs du 17 octobre 1961.
Pour que vive la mémoire. Pour que plus jamais l’impunité ne couvre le crime.
Pour que les peuples se libèrent ensemble de toutes les formes d’oppression.
AR