« Un nouvel épisode de découpage du Moyen-Orient est mis en oeuvre » selon Medjahed Abdelaziz, général-major à la retraite

mercredi 21 novembre 2012

Entretien réalisé par Kamel Lakhdar-Chaouche, repris du quotidien L’Expression du mercredi 21 Novembre 2012

Le général-major à la retraite, Medjahed Abdelaziz, ex-directeur de l´Académie militaire interarmes de Cherchell, a fait partie des unités spéciales envoyées en 1973 en Egypte pour mener une offensive contre Israël afin de reconquérir les territoires qu’il avait occupés depuis la guerre dite des Six-Jours. Il s’agissait, en l’occurrence, de la libération de la péninsule du Sinaï, de la bande de Ghaza, de la Cisjordanie et du plateau du Golan.

Dans cette interview, le général-major affirme que l’offensive contre Ghaza n’est qu’un prélude pour le nouveau découpage du Moyen-Orient. Elle permet, dit-il, de tâter le terrain dans la région et sonder les réactions des uns et des autres. S’agissant du silence manifeste affiché par les monarchies du Macherek face au massacre des populations de Ghaza, le général-major affirmera que les sultanats sont des supplétifs des sionistes et ont été créés pour servir les desseins américains et israéliens.

L’Expression : Dans quel contexte situez-vous l’offensive israélienne contre la bande de Ghaza ? Et quels sont les enjeux de cette offensive militaire qui tend à s’inscrire dans la durée, si l’on se fie aux déclarations du Premier ministre Israélien ?

Medjahed Abdelaziz : A l’évidence, il faut dire en effet qu’un nouvel épisode de découpage de toute la région du Moyen-Orient est mis en œuvre. Il s’agit bel et bien du découpage (Sykes-Picot) du nouveau Moyen-Orient. Cela d’une part, et de d’autre part, il y a les calculs électoraux du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, œuvrant à assurer et garantir une mobilisation autour de sa réélection. Par son agression pour Ghaza, il compte réveiller l’élan patriotique des Israéliens en évoquant la sécurité d’Israël menacée par le Hamas. Ensuite, dans sa stratégie, Benjamin Netanyahu tient coûte que coûte à faire barrage à l’autorité palestinienne de présenter sa candidature aux Nations unies, en qualité d’état membre...le 29 novembre prochain.

L’attaque israélienne contre Ghaza peut-elle provoquer une étincelle pour l’embrasement de la région ?

En effet, cela peut élargir la liste des pays qu’Israël compte attaquer. Je dirais même que l’attaque contre Ghaza est peut-être le prélude à des offensives qu’Israël compte mener contre le Liban et peut-être aussi contre la Syrie. Remarquez d’ailleurs que les escarmouches et les agressions se sont multipliées ces derniers jours, notamment contre la Syrie. Et puis, par cette attaque disproportionnée, Israël tâte le terrain pour connaître les réactions des uns et des autres, notamment dans la région, sachant qu’elle a toujours menacé de mener des attaques contre les sites nucléaire iraniens.

Que peut faire, selon vous, aujourd’hui, l’Egypte avec Morsi qui intensifie ses efforts pour arrêter la mise à feu de Ghaza ?

Faisons la part des choses. Il faut comprendre d’abord qu’il y a Mohamed Morsi fraîchement installé, après la chute de Hosni Moubarak, puis il y a l’Egypte, héritière d’un fardeau très lourd avec ses problème socio-politiques et économiques. Cela dit, les possibilités du président Egyptien Mohamed Morsi sont limitées du fait des accords qui le lient aux Etats-Unis d’Amérique. N’oublions pas que son armée reçoit 5 milliards de dollars par an. Mais aussi par les accords de Camp David signés le 17 septembre 1978, par le président égyptien Anouar El-Sadate, et le Premier ministre israélien, Menahem Begin, sous la médiation du président des États-Unis, Jimmy Carter. Des accords qui ont été suivis par la signature du premier Traité de paix entre Israël et un pays arabe : le Traité de paix israélo-égyptien de 1979. D’autant plus que Mohamed Morsi a rassuré sur la non-violation de ces accords après la chute de Hosni Moubarak. C’est dire à l’évidence que le président égyptien actuel n’a pas de marge de manœuvre, tant qu’il est lié et ligoté par des accords régionaux et internationaux, du moins pour le moment.

Ensuite, il faut noter qu’aujourd’hui Mohamed Morsi ne peut pas agir quelque soit sa ferme volonté de venir en aide aux Palestiniens et ce, du fait de sa marge de manœuvre que lui accorde la situation international au plan politique, économique et social.

Comment qualifiez-vous le silence des monarchies et émirats du Machrek face au massacre des populations de Ghaza ?

Soyons sérieux à ce sujet et ne soyons pas dupes. Rappelons-nous juste qui est à l’origine de l’existence de ces entités et dans quels buts ont été créés ces régimes et à qui doivent-ils leur maintien. Et puis, sont-ils souverains ? Alors, pourquoi s’étonner de leur silence face aux massacres des Ghazaouis ? Bien au contraire, il faut s’étonner s’ils en parlent et se posent des questions. En outre, avons-nous et pouvons-nous oublier ce qu’ils ont fait subir aux populations de Bahreïn et de l’Arabie Saoudite, lors de leurs contestations, depuis bientôt deux années ?

Avec la guerre civile en Syrie, l’instabilité en Jordanie, au Liban et le rapprochement entre l’Egypte et l’Iran, mais surtout avec le grand mouvement des djihadistes, à la faveur de cette instabilité, des spécialistes soutiennent qu’Israël ouvre ses portes aux djihadistes. Qu’en pensez-vous ?

Là, j’apporte juste une précision. En Syrie, il n’y a pas la guerre civile. Il s’agit cependant d’une guerre menée par des mercenaires et des bandes de différentes nationalités. Il y a ainsi des Turcs, des Qataris, des Saoudiens, des Libyens, tunisiens, des Français … armés par les régimes supplétifs de la région, bien sûr aux côtés des anti-patriotes syriens.

Ces derniers sont surtout encadrés par les services secrets, britanniques, français, turcs, qataris, saoudiens, jordaniens, appuyés par une guerre médiatique que les sionistes animent selon leurs desseins et projets. Ainsi, tantôt on assiste à la présentation d’une guerre de religion pour conforter une thèse chère aux néoconservateurs, en l’occurrence le choc des civilisations, et celle de Bernard Lewis « Le nouveau Moyen-Orient ».

Pour ce qui est du contexte de l’offensive israélienne contre Ghaza, il faut dire qu’il y a surtout une volonté de raviver l’instabilité libanaise et accélérer le cours de la crise syrienne, sans pour autant perdre de vue que dans cette lutte pour la suprématie mondiale, il y a les USA qui s’appuient et utilisent leurs créations, à savoir Israël et les régimes féodaux familiaux du Golfe pour contrôler la jugulaire du pétrole (Libye, Soudan, pays du Golfe, Arabie Saoudite, Koweït, Irak) dont dépendent toutes les puissances économiques et militaires.

Le général Douglas Mac Arthur disait que « l’histoire des guerres perdues peut se résumer en deux mots : trop tard, trop tard pour comprendre les desseins mortels d’ un ennemi en puissance ; trop tard pour s’apercevoir du redoutable danger, trop tard, pour se préparer ; trop tard pour unir toutes ses forces de résistance possibles ; trop tard pour rallier ses amis ». Par ailleurs, je pense que les questions qu’on doit logiquement se poser sont :
premièrement quel est l’ennemi, comprenons-nous ses desseins ? avons-nous identifié les concepteurs, les acteurs et les instruments ? Et pourtant, ils (les concepteurs) le déclarent, le clament et le diffusent, à travers l’ensemble des médias écrits, parlés, résumés par Brezenski dans Le Grand échiquier, Bernard Lewis dans son projet le Nouveau Moyen-Orient, Paul Wolfowitz et Nicolas Sarkozy par son projet l’Union pour la Méditerranée et avant lui, Bush junior, le Grand Moyen-Orient. Donc, nous assistons à l’exécution des schémas mis en place par les néoconservateurs.

Pouvez-vous être plus explicite ?

Pour ces néoconservateurs, l’Afghanistan, l’Irak, le Sud-Liban, la Libye, le Soudan, la Syrie, le Sahel sont perçus comme des opportunités pour affirmer la puissance de l’Empire (Usa -France- Israël) et contenir les puissances émergentes (Russie, Inde, Chine, South-Africa). Il serait intéressant et très instructif de se pencher sur « le groupe de Bilderberg », « la trilatérale », pour mieux cerner et comprendre les desseins des néoconservateurs, en l’occurrence Richard Perle, Dick Cheney, Daniel Pearl Daniel, Madeleine Albright, Condoleezza Rice, Eliot Abrams, Donald Rumsfeld, Paul Bremer … ainsi que les Français, Israéliens pour saisir et mieux comprendre toute la complexité de la synergie de ce monde.