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La crise du système capitaliste est-elle dernière nous ?*

samedi 14 novembre 2009, par Alger républicain

La reprise économique contestée des États Unis

par ?Osvaldo Martinez,

Directeur du Centre de recherches de l’économie mondiale

Novembre 2009
Un an s’est écoulé depuis que la crise économique a entrepris un nouveau cycle de destruction. On pourrait même dire deux ans, car dès l’été 2007, on pouvait noter, aux États Unis, les premiers symptômes de la crise hypothécaire, prélude ? la crise globale.

Dans les pays riches touchés par cette crise une polémique s’est déclenchée sur une éventuelle reprise économique tant souhaitée. Au cours des derniers trimestres, on a noté une légère remontée ou ? tout le moins une certaine accalmie. Certains vont jusqu’ ? affirmer que le pire est passé et ils annoncent ? grands cris que la reprise économique s’annonce d’ores et déj ? .
Toutefois, les analystes les plus perspicaces affirment que certains prennent leurs désirs pour la réalité. Cette crise, la plus grave depuis les 30 dernières années, affirment-ils, ne peut se résoudre aussi rapidement, elle possède encore toute sa capacité de destruction et elle pourrait en surprendre plus d’un, car nous avons affaire ? une crise d’un genre nouveau.

Cette crise est tout ? fait différente de celle de 1929. Elle est accompagnée d’autres crises (alimentaire, énergétique, environnementale, sociale, financière), dans un contexte de mondialisation très élevée, où l’on retrouve des éléments « toxiques » (dénués de tout appui) dispersés ? travers l’économie de la planète. Sans oublier un contexte financier des plus complexes : banques d’investissements, paradis fiscaux, fonds ? hauts risques, compagnies d’assurances, etc., où il semble impossible de connaître le montant réel des « actifs » et où il n’existe aucun mécanisme capable de contrôler, ? l’échelle internationale, cette énorme masse monétaire que certains estiment ? environ 600 milliards de dollars.

Il y a plusieurs façons d’analyser le contexte actuel. Certains affirment que la reprise économique aux Etats-Unis s’annonce très forte. D’autres croient au contraire qu’elle sera plutôt lente et qu’elle s’apparentera même ? la crise économique qu’a connue le Japon entre 1990 et 2005 avec une stagnation économique. Certains, enfin, affirment que d’autres bulles financières s’apprêtent ? exploser. Ceux-ci parlent d’un « double plongeon » de l’économie car au début de 2010, ils prévoient une nouvelle chute vertigineuse des marchés qui sera accompagnée d’une nouvelle montée de l’inflation en raison de l’injection massive de dollars sous formes de paquets de sauvetage, par les administrations Bush et Obama. Ils prévoient une montée fulgurante du déficit budgétaire et de la dette publique, qui atteint la somme de 12 500 milliards de dollars, soit près de l’équivalent du PIB des États Unis.
Mais avant de se demander qui a raison, il convient de se pencher sur les coûts sociaux de cette crise globale. Oublions donc les aspects techniques et les questions théoriques et examinons plutôt le coût social et humain que cette crise capitaliste engendre de façon cyclique.

Entre 2005 et 2008, la hausse des prix des denrées alimentaires – un des éléments de la crise actuelle – a contribué ? l’appauvrissement de quelque 200 millions de personnes, et on estime qu’en 2009, entre 55 et 90 millions de personnes supplémentaires seront durement touchées par cette flambée des prix. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que cette crise provoquera entre 30 et 50 millions de chômeurs de plus. Selon des données récentes fournies par la FAO, le nombre de personnes souffrant de malnutrition est passé ? 1,020 milliard en 2009, soit une augmentation de 170 millions de personnes par rapport ? 2007.
Par ailleurs, la Banque mondiale estime que la crise pourrait causer la mort de 200 000 ? 400 000 enfants de plus par année entre 2009 et 2015, soit au total entre 1,4 million et 2,8 millions d’enfants assassinés en raison de la crise capitaliste.

D’autre part, selon certaines études, 80 000 personnes, soit 0,001% de la population globale, possèderaient 10% de toutes les richesses de la planète. Pour eux, la crise économique n’a eu aucun impact réel. Si, en 2005, leur fortune était évaluée ? 33,4 mille milliards de dollars, en 2008, celle-ci a baissé ? 32,8 mille milliards de dollars. Le seul impact visible de leur « appauvrissement » : les ventes d’œuvres d’art ont diminué d’un milliard de dollars tandis que les ventes de Lamborghini, une voiture de grand luxe, ont chuté de 21%.

Un rapide coup d’œil sur l’économie des États Unis nous permet de constater que la récession est loin d’être terminée, même en se fiant aux analyses les plus conservatrices sur l’absence de croissance au cours des derniers trimestres, et qu’il faudra venir ? bout de graves difficultés et affronter de nombreux dangers, bref, rien qui indique le début d’une reprise vigoureuse. Au contraire, on doit craindre les dangers d’une montée de l’inflation liée ? la dette, alors que semblent pointer ? l’horizon de nouvelles bulles financières. Craindre également un nouveau plongeon de l’économie, qui pourrait bien se produire en 2010.

L’évolution de cette crise est étroitement liée ? l’émission, sous forme de paquets de sauvetage, de grandes quantités de dollars par le gouvernement des Etats-Unis. Cette masse monétaire s’ajoute ? celle émise pendant des décennies pour supporter le déficit et le fonctionnement d’une économie spécialement parasitaire.

Les États Unis se sont, en effet, arrogés le privilège d’imprimer, sans autre procédure, de grandes quantités de dollars pour financer leurs importations et leurs autres transactions. Cette façon de faire ne fait qu’aggraver la crise actuelle. Injecter de telles quantités d’argent dans une économie encore faible ne peut être bénéfique. On peut prévoir qu’ ? très court terme, le dollar nord-américain perdra ses privilèges.

La bulle immobilière fait aussi des ravages, mais elle n’est pas la seule ? faire obstacle ? la reprise. La spéculation a joué également un rôle négatif et, grâce aux politiques néolibérales, elle a contribué ? former d’autres bulles qui peuvent éclater ? tout moment.

Ainsi, la bulle hypothécaire a également touché le secteur non résidentiel, comme les édifices ? bureaux, les centres commerciaux, les hôtels. Les activités commerciales en ont subi les contrecoups et on ne compte plus les faillites de grandes chaînes commerciales et d’édifices ? bureaux, maintenant désertés par leurs occupants. A la fin du mois de juillet dernier, le Financial Times a sonné l’alarme en prédisant que ce secteur pourrait être la prochaine victime de la crise financière, après la catastrophe immobilière qui s’est abattue sur le secteur résidentiel. Le magazine estimait que les pertes prévisibles, dans le domaine des immeubles commerciaux, pourraient représenter 6,700 milliards de dollars.

Une autre de ces bulles concerne les cartes de crédit, qui totalisent mille milliards de dollars. Pendant des années, on a incité les gens ? consommer davantage grâce ? ce qu’on a appelé l’« argent plastique », en les invitant même ? se procurer plusieurs cartes de crédit.

Le prix du pétrole constitue un autre de ces bulles. On assiste actuellement ? un fort mouvement spéculatif qui affecte le prix de cette matière première et qui n’a rien ? voir avec le principe habituel de l’offre et la demande.
Après avoir atteint un niveau très élevé de 145 dollars le baril pendant l’été 2008, le prix du pétrole a chuté ? 33 dollars au mois de décembre de cette même année, avant de remonter pour dépasser les 70 dollars, mais cette hausse ne semble pas relever d’une réelle reprise économique susceptible d’augmenter considérablement la demande.

Les analyses les plus sombres sur la crise sont fournies par l’économiste étasunien Nouriel Roubini, dont le mérite est d’avoir été le seul aux Etats-Unis ? avoir pronostiqué la crise actuelle dans son ampleur réelle. Cet auteur estime que nous n’avons encore affaire qu’ ? une timide amorce de reprise, et que la croissance sera faible pendant au moins deux ans.

Et ceci pour plusieurs raisons : les foyers sont très endettés et doivent épargner davantage, le système financier (aussi bien les banques que les institutions non bancaires) est sensiblement endommagé. On pourrait ajouter que de nombreuses banques vivent du soutien gouvernemental, mais ne remplissent plus leur fonction qui consiste ? accorder des crédits. Rien que depuis le début l’année en cours, 89 banques ont disparu aux États Unis, emportées par la crise. Le nombre de banques jugées en situation délicate s’est monté ? 416 ? la fin du deuxième trimestre, contre 305 ? l’échéance du premier trimestre. Ces banques ont vu leur activité se dégrader en raison de problèmes de liquidités, de l’affaiblissement de leurs capitaux et de la dévalorisation de leurs actifs. En conséquence, le manque de crédits retardera la consommation et les dépenses privées dans les investissements.

Une autre raison qui pousse ? penser ? une faiblesse de la relance : une contraction de la demande ? l’échelle mondiale, notamment dans des pays très dépensiers comme les USA, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle Zélande, et qui n’augmente pas suffisamment dans des pays épargnants comme la Chine, le Japon et l’Allemagne. Mais le plus grave est l’éventualité d’une crise ? deux chutes (n’oublions pas qu’en 1929-1933 il se produisit ? deux reprises des hausses ? la Bourse de jusqu’ ? 20%, précédées d’une chute) et qu’en 2010 nous pourrions assister ? une nouvelle dégringolade accompagnée de son lot de destruction et de pauvreté.

La double chute est tout ? fait possible car le caractère limité dans le temps de l’aide gouvernementale et le retour ? une certaine normalité évoluent sur le fil du rasoir et demanderont une finesse et une précision extrêmes. Si les Etats-Unis décident une hausse des impôts, pour diminuer les dépenses - ce qui est improbable en raison des dépenses militaires croissantes - et combattre l’excès de liquidités, ils menaceraient de faire avorter la timide reprise. D’autre part, s’ils continuent d’accumuler des déficits en faisant marcher allègrement la planche ? billets, l’inflation augmentera, les taux d’intérêt s’élèveront et le redressement serait également voué ? l’échec. Il ne faut pas oublier ici que la Chine rechigne de plus en plus ? acheter des bons des États Unis dans la même proportion qu’elle le faisait jadis, ni les déclarations du gouvernement chinois sur la nécessité de changer le système monétaire international basé sur le dollar.

Et ce n’est pas tout : les prix du pétrole et des aliments pourraient augmenter plus rapidement que ne l’indique la demande réelle, en raison de la spéculation, et une nouvelle flambée des prix du pétrole et des denrées alimentaires, au milieu d’une faible relance, pourrait également s’avérer néfaste.

Ceux qui pensaient avoir laissé en arrière la crise de 2008-2009 pourraient avoir une mauvaise surprise. Cette crise est différente des précédentes, et le capitalisme de nos jours est accompagné d’une combinaison trop lourde d’exploitation, d’iniquité, de spéculation et d’atteintes ? l’environnement qui rendent impossible un redressement comme celui que le monde a vécu jadis en termes économiques, sociaux et environnementaux.


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* Le titre interrogatif est de la rédaction d’Alger républicain