Accueil > Actualité politique internationale > Afrique > Aujourd’hui l’AFRIQUE en partenariat avec Alger républicain > Aujourd’hui l’AFRIQUE - N°113 - septembre 2009 > Les raisons profondes de la révision constitutionnelle

Aujourd’hui l’AFRIQUE en partenarait avec Alger républicain

Les raisons profondes de la révision constitutionnelle

N°113 - septembre 2009

mardi 1er septembre 2009, par Alger républicain

L’élection présidentielle du 9 avril a été précédée par un amendement de la Constitution. La révision a porté principalement sur la suppression de la limitation du nombre de mandats à deux et une tendance au renforcement des pouvoirs du chef de l’État aux dépens de ceux des représentants élus au parlement. Elle a été avalisée sans surprise par un parlement - Assemblée nationale et Sénat réunis en séance commune – dominé par les députés de la coalition présidentielle. Ses initiateurs ont évité de la faire adopter par la voie d’un référendum de peur d’un grave désaveu. L’amendement constitutionnel a été adopté par une assemblée nationale dépourvue d’une véritable légitimité populaire [1]. Elle est issue d’une élection marquée par les fraudes et un taux de participation officiel d’à peine 35% mais qui, en réalité, n’avait pas dépassé les 20%.

De nombreux courants politiques opposés à Bouteflika et à certaines franges du pouvoir s’étaient prononcés contre l’amendement qui lui permet de briguer le poste de président de la République autant de fois qu’il le voudrait. Mais au fond aucun des courants libéraux de l’opposition dite “démocratique” ne remet en cause la nature présidentielle même du régime politique.

Qu’est-ce qui a dicté cette révision ?

Les analyses superficielles expliquent cette révision par un certain penchant de Bouteflika à vouloir concentrer entre ses mains tous les pouvoirs. Cet aspect personnel n’explique en rien pourquoi se sont ralliés corps et âme à cette position, les “décideurs” et tous les cercles qui ont acquis un poids économique et politique énorme à la faveur de la libéralisation de l’économie, du pillage et de l’accaparement des biens de la nation, à la faveur aussi de l’écrasement social, politique et idéologique du mouvement ouvrier. Ces “cercles” forment désormais une puissante bourgeoisie compradore qui s’est assurée une suprématie indiscutable sur ses alliées de la bourgeoisie agraire et industriel. Elle dicte ses volontés aux fractions bureaucratiques choyées par des émoluments insolents et forme avec elles un bloc opérationnel.

Le choix en faveur du renforcement des prérogatives et des pouvoirs du chef de l’État obéit à une stratégie réfléchie de précaution et de prévention face aux zigzags de la vie politique. Il s’agit d’exclure par avance toute aventure électorale risquée telle que celle que rend possible la limitation du nombre de mandats et la nécessité qui en découle de chercher un homme de rechange aussi fiable et expert que le précédent. Il a pour but de réduire les conséquences sur les intérêts des forces dominantes des aléas de nature à être causés par l’élection de fortes proportions de députés “indésirables”, quelle qu’en soit la tendance idéologique. Le renforcement des pouvoirs du chef de l’État vise également à bétonner la ligne de défense des nouvelles classes dirigeantes et possédantes face aux prétentions, aux intrigues et aux manœuvres des puissances impérialistes désirant régenter à leur guise les régimes faibles pour accroître leur capacité d’intervention dans ces pays par la manipulation des mécontentements des forces d’opposition.

Cette “ligne de défense” n’a rien de commun avec le patriotisme à contenu socio-économique progressiste et anti-impérialiste des années 1970. Elle reflète un changement de contenu qui exprime l’affirmation d’un nationalisme bourgeois ne se refusant pas au demeurant à s’allier aux pays impérialistes pour participer à des actions communes de “pacification” dans le monde si, en échange, ces derniers reconnaissent à l’Algérie des nouveaux possédants, une zone d’influence africaine “légitime”.

Les clans et groupes sociaux qui se sont érigés graduellement depuis les années 1980 en forces sociales dominantes à partir des appareils civils et militaires de l’État. se sont attelées à stabiliser leur hégémonie par l’élargissement de leurs alliances au plan national comme au plan international. L’action de Bouteflika, conjuguée à la rupture consommée avec les orientations anti-impérialistes d’avant et à la décision de livrer sans entrave le pays aux appétits des multinationales, a permis de désamorcer les manœuvres internationales des cercles impérialistes les plus agressifs des USA et de divers boutefeux sociaux-démocrates français, plus impérialistes que la grande bourgeoisie elle-même, qui cherchaient à remplacer les généraux par les islamistes ou par des politiciens plus enclins à courber l’échine.

En échange de l’abandon - non acquis définitivement faut-il préciser- de la menace de constitution d’un tribunal international pour juger les responsables militaires de l’interruption électoral de janvier 1992, accusés de “disparitions forcées” et de massacres, les grands groupes financiers et industriels français, allemands et américains ont obtenu de juteux marchés aux dépens de l’’économie productive algérienne. Toutes les décisions prises depuis 2000, comme la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne, la participation à des manœuvres communes avec l’OTAN, le désir récent de se porter au secours de l’Europe dans son approvisionnement en gaz face aux différends qui oppose la Russie à l’Ukraine, s’inscrivent dans une stratégie internationale de desserrement de l’étau qui a failli étrangler dans les années 1990 le pouvoir algérien. L’amélioration des relations avec les grandes puissances impérialistes, au détriment de l’indépendance de décision de l’Algérie, est considérée comme un grand acquis pour les classes dominantes algériennes que rien ne doit compromettre, encore moins des élections “formelles” ou des “failles” constitutionnelles.

Leur orientation stratégique consiste à donner le maximum de marge de décision au chef de l’Etat en prévision d’une situation où le contrôle du parlement leur échapperait, soit par suite d’une victoire électorale des islamistes, y compris ceux que l’on qualifie de “modérés”, soit par suite d’une fragmentation des institutions élues qui rendraient la situation ingouvernable et propice aux influences extérieures.

Pour conserver le bénéfice des “acquis” de 20 ans de confrontations politiques ou armées, un pouvoir présidentiel tout puissant leur paraît le mieux indiqué. Les groupes sociaux qui contrôlent les leviers de décision disposent pour le moment des moyens pour le mettre en place et le défendre à la faveur de l’émiettement des forces d’opposition et surtout de la manipulation électorale en appui sur une administration civile et militaire échappant à tout contrôle de la population.

Mais cela ne sera encore vrai que tant que le mouvement populaire et son avant-garde progressiste n’auront pas acquis assez de force pour changer radicalement la situation par l’avènement d’une république parlementaire exprimant les aspirations sociales les plus avancées des classes laborieuses et des courants de progrès.

.

Z.B.


[1Seuls les 20 députés du RCD ont rejeté cet amendement. Le parti dit des travailleurs de Louisa Hanoune l’a soutenu avec enthousiasme au nom de la “préservation de la stabilité de la nation”.