Les investissements de Sonatrach pèseront sur la balance des comptes courants

samedi 17 janvier 2015

Dans cet entretien, l’ingénieur et ex-conseiller au ministère de l’Energie, le docteur Ali Kefaifi met à l’index la stratégie d’investissement adoptée par Sonatrach ces 15 dernières années, estimant qu’elle n’a pas conduit à des résultats significatifs. Il s’inquiète aussi du niveau des investissements à venir, qu’il estime anormalement élevé, et de l’impact que ceux-ci auront sur la balance des comptes courants en induisant l’importation massive de services pétroliers.

- Sonatrach entend investir, au cours des cinq prochaines années 90 milliards de dollars. Pensez-vous que la compagnie dispose des moyens nécessaires pour mener ce programme de cette manière ?

En réalité, ce chiffre de 90 milliards de dollars ne veut rien dire dans l’absolu, en l’absence de bilans et d’analyses de rentabilité et de compétitivité. D’abord, les investissements d’exploration des 15 dernières années, très élevés, se sont soldés par des résultats dérisoires correspondant à un taux d’environ 10% de remplacement des réserves (RRR) contre la norme de 100% (1970-1999). En outre, ce sont de « fausses découvertes » car elles ne correspondent pas à des découvertes pétrolières nouvelles mais à des réévaluations de potentiel de gisements existants.

D’ailleurs, l’Institut français du pétrole (investissement E/P [1] et raffinage - 2014) ne se trompe pas lorsqu’il annonce 40 découvertes en Afrique en 2014, dont zéro pour l’Algérie, et des découvertes supérieures à un milliard de barils (Congo, Angola, etc.) En 2014, le montant des investissements E/P dans le monde s’est élevé à 733 milliards de dollars, dont 65 milliards pour l’Afrique et 53 milliards pour le Moyen-Orient. Il existe une forte corrélation entre l’évolution des prix du pétrole et l’évolution des investissements.

Ceci prouverait que les dirigeants de Sonatrach n’ont pas un comportement similaire aux dirigeants des entreprises pétrolières mondiales, confortant ainsi l’étude de l’institut James Baker III qui relègue Sonatrach parmi les dernières entreprises pétrolières du monde en termes de rentabilité.

Par ailleurs, selon Apicorp, pour la période 2013-2017, sur un montant global de 740 milliards de dollars, l’Algérie vient en troisième position pour les dépenses après l’Arabie Saoudite (175 milliards de dollars), mais avant l’Iran (65 milliards de dollars) et l’Irak (55 milliards de dollars). Cette anomalie algérienne de niveaux trop élevés des investissements saute aux yeux lorsqu’on rapproche les réserves et les productions de ces pays du Moyen-Orient à celles de l’Algérie.

- Si Sonatrach entend mettre à contribution des filiales, telles que l’ENTP et l’Enafor, pour mener son programme d’exploration et d’exploitation, elle devra recourir aux services d’entreprises de services pétroliers. Cela ne va-t-il pas se traduire par l’importation de services ?

Sur le plan technique, la fracturation hydraulique se fera avec des importations considérables de biens et de services. Sur le plan économique, il suffit de considérer que le forage du deuxième puits de l’Ahnet a demandé plus de quatre mois contre seulement une dizaine de jours aux USA. Or, les coûts de location des plateformes de forage sont de 25 000 dollars par jour aux USA et 35 000 dollars/j dans le monde.
Un petit calcul montre aisément que le coût global de production du gaz de schiste, hors coûts environnementaux, dépasserait les 15 dollars/MMBTU, voire 20 dollars/MMBTU. Le recours aux entreprises nationales algériennes rendra le gaz de schiste encore moins rentable, avec des dégâts environnementaux accrus, des effets négatifs sur la balance des comptes courants et le recours aux subventions.

- Sonatrach entend mener un programme d’exploration en offshore. Cela va-t-il conduire à des résultats significatifs ?

L’Algérie dispose déjà d’une expérience réalisée en 1974 (forage offshore Habibas). Ce forage était arrivé jusqu’au socle, mais sans rien trouver. Le docteur Nacereddine Kazi Tani, qui avait dirigé ce programme de forage offshore, précise que l’offshore à Béjaïa présente une probabilité quasi nulle de découverte.

Ceci est corroboré par les déclarations de plusieurs cadres géologues de Sonatrach qui affirment que cette décision n’a aucun sens, mais obéit à des directives émanant du ministère de l’Energie. Alors, qui a intérêt à financer un puits coûtant 100 à 200 millions de dollars ?

- Sonatrach compte investir 70 milliards de dollars sur 20 ans pour les hydrocarbures non conventionnels. Cela va-t-il conduire à une nouvelle rente ?

Le chiffre de 20 000 milliards de mètres cubes de gaz de schiste est trompeur car il s’agit de réserves techniquement récupérables, mais en réalité celles économiquement récupérables sont de 2000 milliards de mètres cubes, voire nulles en considérant un coût de production de 15 à 20 dollars par million de BTU,et un prix de vente de 10 dollars/MMBTU.

Sans même tenir compte des dégâts environnementaux incommensurables, le bilan financier est donc négatif et ne justifie pas cette décision. Si cette politique était maintenue, le gaz de schiste devra être subventionné, ce qui constitue une aberration lorsque l’on sait que l’Algérie s’achemine vers une très grave crise financière à l’horizon 2017.

Pis, les ressources de l’industrie minière dans la roche-mère silurienne sont extraordinairement rentables et nous permettraient d’éviter et d’ignorer complètement la fracturation hydraulique et le gaz de schiste. En plus, elles permettront de créer des milliers d’emplois, en premier lieu pour nos frères et sœurs du Sud algérien.

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Roumadi Melissa

15.01.15

In el watan



[1(Exploration/Production) : note d’Alger républicain