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HOMMAGE À ZOHEIR BESSA

par Arezki Metref, journaliste, poète et écrivain

dimanche 31 août 2025, par Alger republicain

Je suis profondément attristé par le décès de Zoheir Bessa. Rien ne laissait présager que nous pourrions, lui et moi, nous entendre — et pourtant, une amitié est née. Nous avions partagé une tribune lors d’une table ronde à Bordeaux, il y a une quinzaine d’années. Il s’affirmait communiste, bolchevique même, sans le moindre complexe. À une personne dans la salle qui évoqua les déportations massives sous Staline, Zoheir répondit avec calme : « Puisqu’on parle d’histoire, je peux aussi rappeler que Staline a écrasé le nazisme, et que son peuple est celui qui a le plus donné dans ce combat. »
Zoheir était un communiste, et il l’est resté. Lorsque j’ai réalisé un dossier pour Le Monde Diplomatique sur la gauche algérienne, je l’ai contacté en sa qualité de dirigeant du PADS. Il mit du temps à répondre. De passage à Montpellier, je l’ai appelé et nous nous sommes retrouvés dans un café, place de la Comédie. Il m’a dit : « Je ne t’ai pas répondu parce qu’en relisant bien tes questions, je me suis aperçu que nous ne sommes pas concernés. Nous ne sommes pas la gauche, nous sommes communistes. »
Quand il relança Alger Républicain vers 2003-2004, il contacta plusieurs journalistes, dont moi, pour contribuer à la renaissance du journal. J’ai accepté. Je lui ai proposé une chronique intitulée Fakô, que j’ai tenue régulièrement tant que la version papier existait. Un jour, alors que j’étais de passage à Alger, je le croise dans la cour de la Maison de la Presse. « Tu tombes bien, me dit-il, passe me voir au bureau dès que tu peux. » Une heure plus tard, je suis face à lui dans son modeste bureau. Il me dit : « Je veux formaliser ta collaboration avec nous. » Je lui demande ce qu’il entend par là. Il répond : « Combien tu demandes ? » Étonné, je lui dis : « Je ne demande rien. » Il insiste. Alors je lui dis : « Non seulement je ne demande rien, mais je veux faire un don au journal. »
Alger Républicain n’était pas pour moi un simple journal. C’était un symbole. Un de mes oncles faisait partie de l’équipe d’Henri Alleg. Tous les adultes de ma famille le lisaient. Quand le journal a été relancé en 1991, la rédaction m’avait demandé, en même temps que Djaout et Kaouah, un article pour le numéro zéro. Pour moi, c’était un engagement qui dépassait la profession de journaliste. Une dette envers mes oncles et leurs camarades, qui ont payé cher leur attachement au journal et à ce qu’il représentait. Ma mère le lisait, pour dire.
J’ai rédigé mes billets Fakô aussi longtemps que la version papier a tenu. Contrairement aux prédictions d’amis amers, Zoheir n’a jamais censuré un seul de mes textes, ni même protesté. Une seule fois, il m’a dit : « Je ne suis pas d’accord avec ton billet, mais je le passe. » Il s’agissait d’un Fakô ironique où je rappelais la fameuse histoire de la kasma de Bougalb qui mettait en garde l’impérialisme américain…
Quand le journal, étranglé financièrement par le pouvoir, a cessé d’être imprimé, Zoheir a dirigé une version numérique. Elle était régulière pendant un moment, et il m’appelait pour rédiger mon billet. Puis, petit à petit, il cessa de m’appeler car le journal ne paraissait quasiment plus. Je voudrais ajouter ceci : de toute ma carrière, c’est le seul rédacteur en chef qui proposait des idées de chroniques. Quand on tient une chronique libre dans un journal, on doit choisir soi-même le sujet. Parfois, on n’en trouve pas. Parfois, quand on est loin de la rédaction, comme c’était mon cas, on fait doublon avec d’autres articles. Dès que notre collaboration fut mise au point, nous avons convenu qu’il m’enverrait le sommaire du journal. Il l’a fait chaque fois. Et c’est à partir de là que je choisissais mon sujet.
Nous avons beaucoup discuté. J’ai toujours perçu chez lui une prudence qui frôlait le silence suspicieux. On avait l’impression qu’il était constamment en état de vigilance, et cela devait sûrement être le cas. Il ne faut jamais oublier qu’il a été victime d’un attentat qui a failli lui coûter la vie.
Zoheir Bessa était un dialecticien, attaché à son peuple et à ses couches les plus vulnérables. Il n’était pas un révolutionnaire de salon ou de parade, mais un vrai lutteur de classes, humble et rigoureux. Souvent, il ne disait pas grand-chose, car il connaissait déjà les opinions des uns et des autres. C’était aussi un grand bosseur : il écrivait lui-même les éditoriaux et de nombreux articles importants pour le journal. En le lisant, bien documentés et bien écrits, on saisissait immédiatement le travail que cela avait nécessité.
C’est une grande perte pour l’Algérie laborieuse, pour les progressistes, pour ceux qui savent que le changement ne vient pas des tribunes spectaculaires, mais de gens discrets et redoutablement efficaces comme lui.