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L’exil des jeunes Algériens : symptôme d’un modèle économique à bout de souffle

lundi 15 septembre 2025, par Alger republicain

L’actualité récente a rapporté qu’un groupe de sept adolescents algériens, dont le plus jeune n’a que 14 ans, est parvenu à rejoindre les côtes espagnoles après avoir quitté clandestinement de port de Tamentfoust (La Pérouse) à bord d’un bateau de plaisance. Cet épisode a été largement relayé dans les médias et sur les réseaux sociaux, tantôt présenté comme une « aventure spectaculaire », tantôt réduit à un acte de « délinquance juvénile ». Pourtant, une lecture attentive de cet événement révèle une réalité bien plus profonde : celle d’une société en crise, incapable d’offrir un avenir à sa jeunesse, dans un contexte mondial profondément inégalitaire.
Ce type de départ n’est ni un fait isolé, ni une simple erreur de parcours. Il est le reflet d’un déséquilibre structurel : une jeunesse nombreuse, une offre d’emploi insuffisante, une économie dépendante, et un horizon qui se rétrécit. Dans un pays comme l’Algérie, où plus de la moitié de la population à moins de trente ans, de nombreux jeunes se retrouvent exclus d’un système économique qui ne parvient pas à les intégrer. L’absence de perspectives les pousse à envisager la fuite comme unique échappatoire.
Le départ de ces mineurs vers l’Europe ne relève donc pas d’un désir d’aventure, mais d’un besoin vital : échapper à une vie sans avenir. Ils fuient l’ennui, la précarité, l’invisibilité. Leur exil est un acte de rupture, un cri silencieux contre une société qui semble leur tourner le dos.
Dans ce contexte, il est aussi essentiel de regarder au-delà des frontières nationales. L’économie algérienne est insérée dans un système mondial où les rapports sont marqués par des inégalités profondes. En tant que pays fournisseur de matières premières, l’Algérie reste largement dépendante de ses ressources naturelles et des marchés extérieurs. Cette dépendance freine le développement d’une économie productive et diversifiée. Les investissements restent concentrés dans des secteurs peu porteurs pour la jeunesse, tandis que les secteurs-clés comme l’industrie ou l’agriculture sont négligés.
Une partie des élites économiques tire profit de cette situation. Vivant de rentes et de relations avec de grands groupes étrangers, elles investissent peu dans le développement national et encore moins dans l’avenir des jeunes générations. Cette dynamique nourrit un sentiment d’abandon et de déclassement chez les jeunes, poussés à chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvent pas chez eux : un travail, une reconnaissance, une dignité.
Mais une fois arrivés en Europe, ces jeunes sont souvent confrontés à une autre réalité brutale : celle d’un continent qui, tout en profitant des ressources du Sud, ferme ses frontières à ceux qui tentent de s’y installer. La Méditerranée, espace de circulation millénaire, est devenue une frontière militarisée, un espace de tri et parfois de mort. Les migrants y sont souvent traités non comme des êtres humains en quête de vie, mais comme des problèmes à gérer.
Cette réalité invite à poser des questions de fond :
• Pourquoi autant de jeunes ressentent-ils le besoin de partir ?
• Pourquoi les structures économiques locales échouent-elles à leur offrir un avenir ?
• Comment repenser le modèle de développement pour qu’il soit plus inclusif et porteur d’espoir ?
Ce que révèlent ces départs, c’est l’urgence de repenser un modèle économique et social capable de redonner sens et dignité à une jeunesse sacrifiée. Il ne s’agit pas simplement de retenir les jeunes chez eux, mais de créer les conditions pour qu’ils puissent y construire leur avenir. Un avenir fondé sur la justice sociale, l’investissement productif, l’accès au travail et à l’éducation, et la participation réelle à la vie publique et politique.
Les sept adolescents harragas ne sont pas une anomalie : ils sont le visage d’une génération en quête de sens. Leur traversée ne doit pas être réduite à un simple fait divers, mais comprise comme un signal fort, un appel à repenser notre manière d’organiser nos sociétés et nos économies.

Mehdi RAH