Kateb Yacine, L’homme aux sandales de caoutchouc

vendredi 30 octobre 2009
par  Alger républicain

L’entrée de Kateb Yacine à Alger républicain en 1949 est révélatrice d’un état d’esprit et d’une prise de conscience sociale. Les talents artistiques du jeune journaliste, son acuité politique exprimée par un anticolonialisme à l’instar du journal Alger républicain iront en s’aiguisant au fil des années. L’Auteur de Nedjma manipulera la plume à l’encontre de l’oppression comme d’autres manipuleront les armes pour combattre l’oppresseur.
Après l’indépendance de l’Algérie, Kateb Yacine démontre sa lutte universaliste et non régionaliste par le biais d’un séjour de trois ans au Vietnam de 1967 à 1970. Ce séjour dans le Vietnam d’Ho Chi Minh est primordial pour sa conception de la lutte des classes au sein d’une révolution anticoloniale. Le produit littéraire de cette expérience unique dans la vie du poète est une pièce théâtrale L’homme aux sandales de caoutchouc montée à Lyon par Marcel Maréchal et à Alger par Mustapha Kateb.

Comme il a combattu pour son pays en écrivant Le cercle des représailles, Kateb Yacine continue son inlassable lutte contre toute oppression en produisant L’homme aux sandales de caoutchouc. En effet, par rapport aux autres pièces écrites sur « la guerre du Vietnam », la pièce de Kateb Yacine ne condamne pas uniquement la guerre elle-même, mais elle véhicule aussi une philosophie idéologique.

Dans cette pièce, le peuple vietnamien mène sa guerre de libération, il est présent vivant ; il est debout, combattant et héroïque. Kateb Yacine présente en effet, sa souffrance et son courage, son histoire et son déchirement, sa grandeur et ses faiblesses. Ceci dit, un gros travail de recherche a été fait, une masse de documents historiques, de noms de personnes, de llieux, d’évènements passe par le filtre des mots de Kateb Yacine, de son ironie, de sa satire et de ses coups de poings.

L’homme aux sandales de caoutchouc est intéressant à plus d’un titre. La pièce fait un tout, avec un fil conducteur : celui des guerres de libération, articulées autour de la guerre du Vietnam… C’est une pièce folle, dans la mesure où tout y est mélangé, entrelacé ; les mots et les idées se détachent et s’entrechoquent, s’éloignent et se rejoignent.

L’approche idéologique adoptée par le dramaturge est claire également. Elle s’illustre par la présence d’Ho Chi Minh. En chantant et en glorifiant Ho Chi Minh, Kateb Yacine glorifie sa ferme volonté de combattre l’impérialisme et le capitalisme. En effet, le dramaturge s’attaque « par mille biais divers à la guerre du Vietnam » et opère des rencontres symbolyques avec d’autres combats, d’autres guérillas, comme ceux d’Amérique du Sud ou la question palestinienne, problème sur lequel il écrira une pièce Palestine, la guerre de 2000 ans ; il parle aussi des luttes raciales d’Amérique du Nord. Ainsi donc, l’imagination de synthèse de Yacine met en scène ensemble Nikita Kroutchev, Staline, Engels, Marx, Lénine, Mao, Johnson, Nixon. Kateb Yacine les fait se rencontrer afin de montrer à travers leur dialogue, la bataille des idéologies. En effet, le dramaturge donne une dimension internationale à sa pièce en juxtaposant les autres guerres de libération à celle du Vietnam. L’homme aux sandales de caoutchouc démontre plus que toute autre pièce, la position idéologique internationale de son auteur qui a toujours lutté contre toute forme d’oppression, qui a toujours été hostile à toute résignation.

Kateb Yacine n’a jamais cessé d’être engagé comme il le dit lui-même dans Voix multiples : « Le rôle de l’écrivain consiste à prendre position. » C’est un citoyen qui a un pouvoir d’expression qui peut-être multiplié, qui peut porter, et faire avancer une idée ou une cause.

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Benaouda Lebdai
Institut des langues étrangères
Dpt. d’anglais.

Ed. Alger républicain - el adib
1991