Mustapha Boutadjine, vos papiers !

mardi 29 septembre 2015

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Djamila Boupacha, de Mustapha Boutadjine.
DR

Sous l’intitulé « Collage résistant(s) », les éditions Helvétius publient une superbe monographie de l’artiste plasticien, affichiste, et insurgé devant l’Éternel.

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Il n’est pas habituel de traiter d’un livre en commençant par sa couverture. On se l’autorise parce qu’il s’agit d’un livre d’art, un beau livre dont le grand format se manie à mains doubles. Fermé, il résonne d’un rouge chaud que la calligraphie du titre encre d’un léger relief, doux sous les doigts : Collage résistant(s). Les parenthèses qui enserrent ce pluriel augurent avec justesse le contenu de cette monographie des travaux de Mustapha Boutadjine, chaque œuvre plastique est appariée à un texte.

Ailleurs on parlerait d’une « galerie de portraits », selon le terme communément appliqué à ces effigies d’ancêtres et de familiers réunies au profit de ceux qui les alignent. Ici se jouent d’autres valeurs comme on le dit en peinture quand elles donnent sens à la composition. Si la lignée existe bien, elle se lit ici dans des espaces picturaux constituant un monde qui semble se servir de l’artiste pour sortir à la lumière.

Profond sentiment de fraternité

Mustapha Boutadjine prélève aux publications de notre époque sur papier glacé des fragments que le ciseau acère. Par la grande précision de l’assemblage, une mythologie va s’élaborer, des Femmes d’Alger pour raconter la sale guerre coloniale aux hommes et femmes noirs de Black Is Beautiful aux Gitans et aux Poètes, poursuivant avec tous les Insurgés l’infini des libertés tel qu’Adonis en a par ses vers modelé la voie conquérante. Les formes de ces mille visages anonymes ou célèbres sont autant puisées à la technique, au travail manuel de l’atelier qu’à un profond sentiment de fraternité qui oblige tous les soldats de l’identité à remiser bottes et fusils.

Tous ces portraits ont bien un « air de famille ». Celle qu’il faut extraire des puits d’oubli avant qu’ils ne se referment, qu’il faut rehausser à mille lieues des dévoiements. Guy Môquet, jeune communiste assassiné à dix-sept ans, partage avec Arthur Rimbaud un regard pers, gris et bleu, des cheveux en flammèches. À plusieurs pages de distance, un beau texte de Jean Ristat inaugure la série des Poètes et éclaire l’ensemble. À sa transposition plastique des réalités historiques, Mustapha Boutadjine adjoint chaque fois des textes demandés à des poètes, écrivains, journalistes, à des amis.

Ainsi la préface est signée de l’artiste Ernest Pignon-Ernest. Elle comporte ce paragraphe :

« Par le seul effet de la technique qu’il a inventée, les images de Mustapha Boutadjine s’imposent comme des icônes de notre époque, des icônes qui révèlent les injustices, les oppressions et les crimes, qui incitent à la révolte et à l’action plutôt qu’à la prière (…). »

Iconoclastes hommages

C’est que Mustapha Boutadjine les pare à l’image de ce qu’il veut offrir d’eux à la postérité, comme s’effaçant devant les héros de son panthéon sans hiérarchie. Le regard du spectateur glisse en sensations multiples et multiplications de signes qui lors des expositions de Mustapha obligent à des mouvements d’approche et de recul pour les distinguer.

Le livre grand ouvert sur la table, la lampe ou le jour tranquillement posés, le loisir est donné d’un effeuillage de strates de temps et d’existences présentes et passées, d’œuvres de génies de l’art, du quotidien des hautes consciences. L’œil peut enfin agir à sa guise, la main se balader. L’écriture entretient avec l’image comme un contre-chant. Larmes scripturales du poète Osama Khalil, illuminations du critique et historien d’art Jean-Louis Pradel … Mais ces prélèvements sont autant d’injustices quand l’ouvrage invite à de vastes territoires.

Jacques Dimet, son éditeur, évoque « un livre ouvert sur la vie, qui devient lui-même une œuvre d’art ». Dans sa postface, Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité, invoque les « figures d’insoumission » de Mustapha Boutadjine. Cet artiste en sédition propose également diverses « contre-images » et contre-pieds des ordres établis en leurs chapelles, rend au grand art dont il a une vraie connaissance d’iconoclastes hommages. Tout à la fin, qui est aussi un début, on peut déplier la reproduction des centaines de portraits réalisés pour une grande fresque par les enfants des établissements socio-éducatifs de Toulouse. La route de Mustapha avait croisé celle du festival Rio Loco. Rôle de passeur conforme à cet être cher.

• Le DVD du film de Hamid Benamra Bouts de vies, bouts de rêves, consacré au travail de Mustapha Boutadjine, est inclus dans le livre. L’artiste sera présent à la halle Nina-Simone pendant la Fête de l’Humanité, et l’exposition « Mustapha Boutadjine - Collage Résistant(s) » se tient jusqu’au 26 septembre à la galerie Corinne Bonnet, 63 rue Daguerre, Paris 14e.

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Dominique Widemann

11.09.15

In humanite.fr