Un attentat visuel et esthétique Yiwen, sin, tleta

vendredi 7 mars 2014

Un attentat visuel et esthétique

Yiwen, sin, tleta

Une esthétique de l’eau, métaphore de circulation et d’immersion, est prégnante ces temps-ci. A-t-elle à voir avec une prière de la pluie, pour irriguer nos espérances et humidifier la sécheresse de notre quotidien ?

L’Algérie des plasticiens ne prend pas l’eau. Les jeunes pousses sont étanches au désespoir et au renoncement, même si de temps à autre, ils allument des feux, des contre-feux pour roussir leur courroux et faisander leur désapprobation. Ils brûlent leurs œuvres, un bûcher « installation » des vanités, de l’indifférence et de l’égoïsme. Quelle aridité peut pousser à craquer une allumette ?

L’eau comme véhicule du désespoir. Meriem Aït El Hara doit rapatrier, séance tenante, ses bouteilles, intention flottante, larguées dans un large improbable et un mirage « Schengen ». Les garde-côtes doivent faire barrage à l’errance et annoncer aux bouteilles qu’elles sont attendues, du côté de l’école des Beaux-Arts d’Alger pour déverser leur eau « zemzemite » et purifier tous les incroyants de la cause artistique.

N’y voyez pas un signe de supplice, la « baignoire », cette fuite mathématique, entre vidange et remplissage, coule en nombre grandissant les agitateurs de la « Picturie », un « Hamoud Boualem nouveau » chaque 1er trimestre de l’année. Quelle idée de nous faire compter jusqu’à 16, hérissés que nous sommes par tout rapport au 4, même en racine carrée ! Épicerie certes, mais sans pénurie tout de même !

Attentat pictural… ?

Tout commence par un « attentat de rue », à Mostaganem, un bonhomme jaune, rentré sain et sauf de France, où il était en visite, hante les rues de Salamandre. Il habille les façades décrépies et « céramisées », recouvre les panneaux électoraux à une seule case gagnante, protège le slogan « Un seul héros, mon père ! » et fout la jaunisse à l’espace public masculinisé par excès, aseptisé de toute vie. La rue, que l’on souhaite de circulation douce et apaisée, dans les pays repus de facilités citoyennes ; cette rue, les artistes veulent la reprendre, la courtiser, l’habiter de leurs présences, de leurs actes créateurs. Ne jamais la quitter, faute de grande place circulaire pour déverser notre colère. On s’essaie aux routes longitudinales, étroites, aux arcades majestueuses, pour se protéger des blessures « les plus proches du soleil ».

Les « facteurs » de l’impasse qui ont désaccordé l’Algérie, osent un « Écoute petit peuple », « Écoute, petit homme », et prédisent le mépris comme horizon indépassable. Ils brutalisent le Pays, s’accaparent de l’avenir, inoculent des pensées régressives ; le peuple est livré à la performance de l’échec, le capital humain est soumis au néant, à l’autoritarisme et au raidissement religieux. Les artistes entendent répondre à « L’appel d’Alger », selon le principe de la solidarité permanente. Ils ont l’utopie de croire en la culture, en l’imagination, à l’intelligence et à l’engagement. La fonction du refus et de l’indignation n’est pas une contrefaçon asiatique, elle est d’origine.

Cet attentat « n’orpheline » pas, il soude une famille artistique. Il ne tue pas, il vise l’éternité, obtenant la bénédiction de trois étoiles « du berger ». Cet événement a besoin de présence, d’adhésion, d’immersion, mais aussi de distance. La politesse d’une commémoration est d’oublier de se souvenir, c’est faire parler les silences de l’histoire. Mettre l’histoire au bon niveau de compréhension. Le pétrole est trop amer à mon goût. Je préfère la culture et l’art. J’aime voir s’agiter ces troubadours de l’avenir, dont le compagnonnage, crée des pipe-lines de solidarité ; des gazoducs de la fraternité, comme certains en peignaient dans les années 80 à In-Amenas. J’aime ces architectes de la mémoire, invulnérables à l’aplatissement des consciences et aux plumes assassines.

Pourquoi cette date a vite fait sens ? Un besoin de mémoire, d’introspection, de référents. Ne pas oublier, ne pas être oublieux. Ne pas se retourner, et ne pas entrer dans l’histoire à reculons. Ne pas « s’émotionner », mais beaucoup s’indigner du gâchis. Ne pas s’arrêter, mais imprimer le mouvement qui amasse « mousse ».

La semaine dernière, j’ai visité les « Femmes algériennes » de Mustapha Boutadjine, ces insurgées mises à l’abri du temps et des profanateurs irrespectueux de la mémoire. J’ai touché du doigt « L’homotrace » de Kamel Yahiaoui, cette empreinte fossile, solaire et ventilée, malaxée par des mains de vie, des mains de besogneux de l’existence, qu’une fracturation hydraulique condamnerait à une double peine du sol.

Nul besoin d’un drabki pour donner la mesure de l’événement, le nom « Asselah » est un assembleur de destins et de volontés. Ce 5 mars, sera entre trois temps : désolation du présent, irruption du passé et compression de l’avenir. Mais, un morceau du ciel, chevauchant trois étoiles, descendra sur terre. Le peuple des artistes l’appelle et le guide depuis plusieurs jours. On trouve tous les éléments de prière, un prêche sans fin, avec pour seul minbar, cette école des beaux-arts juchée sur le promontoire d’une petite colline algéroise : dessins, mots, graphismes, couleurs, visages, implorations, regrets. « Waalach ! » est le cri de désappointement d’un jeune plasticien. Peut-on recoudre l’histoire ? Si oui, nous nous serions mûs en licières, pour coudre la lumière.

Ne pas y être, n’a pas un effet de désordre. Ils ne seront pourtant pas là : il manquera la cendre éteinte, d’une cigarette consumée d’Ali Khodja, perlant délicatement sa veste en lin ; la voix tonitruante et « scénarisée » de Kamel Nezzar ; la douceur intégrée de Abbaci Hakim ; la sagesse et le regard caresse de Mostefa Bendebbagh et son pas apaisé, qu’il voulait maîtrisé, descendant les nombreuses marches de l’école. Reguia Boutadjine aurait aimé cet air de fête, avec en tête une chanson chaâbie à la gloire de la cité qu’elle chérissait tant et dont elle avait hérité du phrasé. Choukri, Mesli, la voix étreinte par l’émotion, les lèvres pincées, le sourcil rabattu, nous assure à distance que la peinture « a été pour lui (…) un instrument de libération (…) elle (son œuvre) affirme le droit aussi d’exister dans sa différence dans une Algérie diverse, égalitaire et fraternelle, telle qu’il l’a rêvait ».

Ce 5 mars, du côté d’Alger, le ciel sera doux, les cœurs chauds. Nul doute que le nom de « Asselah » supplantera 120 autres occupés à une course, sans ligne de départ, sans prompteur et sans chronomètre, juste un tracé sinueux, dévastant les cimetières, bousculant la raison, effaçant le sens, juste un podium fragile qui est dans l’au-delà des attentes citoyennes.

Mansour Abrous

26 février 2014