Gaz de schiste : un bras de fer mais pour quel enjeu !

vendredi 20 février 2015

Tout porte à croire qu’en faisant défiler des militaires et des parlementaires pour jouer le rôle de médiateurs auprès de la population d’In Salah qui campe sur sa volonté de voir le deuxième forage arrêté, les pouvoirs publics semblent persuadés dans leur for intérieur de sa manipulation par une main étrangère et qu’elle est aveuglée par la propagande autour de ce sujet orchestrée par les détracteurs du gaz schiste. Ils ont ainsi confirmé ce qu’a déclaré le ministre de l’Énergie aux députés pour les convaincre de valider les amendements de la loi sur les hydrocarbures. En effet, tout en dressant un tableau sombre de l’avenir énergétique du pays, il leur a recommandé d’ « ignorer les voix d’outre-mer appelant à s’abstenir d’exploiter les hydrocarbures non conventionnels sous prétexte de leurs conséquences néfastes sur l’environnement et sur les réserves du pays en eau. »

S’appuyer sur cette hypothèse, c’est se leurrer pour au moins deux raisons.

La première est que jusqu’à présent aucun responsable du côté de l’opérateur ou celui politique n’a pu fournir la moindre preuve tangible sur les bienfaits de ces deux forages tests pour la région sinon présenter un prétexte monté de toutes pièces et financièrement non rentable : celui de diriger le gaz de ces deux puits pour servir la ville d’In Salah. Il faut signaler dans ce cadre que techniquement, un puits des roches mères a une durée de vie beaucoup moins importante que le conventionnel. Les équipements nécessaires pour les raccorder à la ville ne seront jamais couverts et ceci constitue une perte sèche en gage d’un entêtement inutile.

La deuxième raison serait cet ensemble de contradictions auquel fait face le dossier et qui ajoutent du piment aux inquiétudes de cette population réputée paisible et qui n’aspire qu’à une vie normale. Il faut préciser par ailleurs que ces nomades ne peuvent être manipulés ni d’un côté ni d’un autre mais, selon toute vraisemblance, recherchent un soutien de leur concitoyens pour que cette malheureuse aventure se termine favorablement aussi bien pour l’État que pour eux-mêmes. Est-ce là la voie de la sagesse ? Comment ces « nomades » sont-ils si bien renseignés sur le sujet ? Ignore-t-on l’histoire pétrolière algérienne ? Qui tire les ficelles et ajoute de l’huile sur le feu ? Finalement, est-il réellement opportun pour l’Algérie d’aller vers cette option de gaz de schiste ?

De l’histoire pétrolière algérienne

Il faut peut-être rappeler pour l’histoire que l’exploration pétrolière du Sahara a commencé en 1952, dans une incrédulité quasi-générale. Deux sociétés se sont d’abord engagées : la SN Repal (BRP) [1] et la Compagnie française des pétroles, suivies de peu par la CREPS [2] et la CPA [3] appartenant à Shell.

Les premières découvertes (1952-1955) ne concernent que des accumulations de gaz sec, alors regardées comme un objectif mineur. Les découvertes d’huile ne se produisent qu’au début de l’année 1956, d’abord dans la bordure méridionale du bassin avec Edjeleh, puis Tiguentourine, situé á 70 km à l’ouest d’Edjeleh. [4] Hassi Messaoud et Hassi R’mel sont découverts presque plus de six mois plus tard. Mais auparavant, en 1954, a eu lieu la première découverte d’hydrocarbures ; il s’agissait d’une grosse accumulation de gaz qui a été trouvée à Djebel Berga, au sud d’In Salah.

C’était là le premier grand gisement de gaz algérien dont les réserves étaient estimées à 100 milliards de mètres cubes, qui n’ont pu être exploitées par manque de débouché commercial. Ceci bien entendu après les recherches entamés en 1946 au nord du pays dans les calcaires fissurés et qui ont fait apparaître du pétrole á Oued Gueterrini près de Sidi Aissa et le Chélif près de Relizane mais la quantité a été jugée à l’époque commercialement non rentable.

Ce rappel permettra surtout aux pouvoirs publics et aux responsables de Sonatrach de se rendre compte que la population du Sud est non seulement bien sensibilisée sur les richesses que renferment sa région en hydrocarbures mais aussi des opérations d’exploration et de développement des gisements dans lesquelles leur parents ont pris part comme les charbonniers en France. Ils sont aussi au courant que la cimentation des espaces annulaires des puits anciens s’est très mal faite, car dans cette région, les couches argileuses empêchent son adhésion

Pourquoi Total et le Nouvel Obs jettent-ils de l’huile sur le feu ?

Il a été montré que les conflits qui perdurent pourraient dévier de leur objectif principal à cause des bruits et des interférences pour des motifs divers. Ainsi, à en croire le site de Algérie 1.com et au moment même où les pouvoirs publics multiplient les initiatives pour calmer les esprits, la compagnie française Total, spécialisée dans les hydrocarbures, s’implique directement dans le débat relatif à l’exploitation du gaz non conventionnel dans le sud algérien.

En effet, selon ce journal en ligne, Total a indiqué sur son site web qu’elle a déjà produit ce gaz non conventionnel, le « tight gas » dans deux sites, à savoir Timimoune et Ahnet (In Salah). Ainsi, la firme française affirme avoir entamé la production du gaz non conventionnel avec 37,5 % d’association et en partenariat avec Sonatrach (51 %), Cepsa (11,25%) dans 37 puits de production prévus pour un plateau d’une production estimée à 18 millions de pieds cubes/jour. Le début de cette production est fixée pour 2014. Alors qu’à Ahnet (In Salah) avec 47 % du partenariat avec Sonatrach (51 %) et Partex (2 %), le projet est en étude avec une production prévue pour le courant 2015.

Or, cette société qui a été bloquée dans son entreprise d’utiliser la fracturation hydraulique dans son propre pays sait pertinemment que le « tight gas » nécessite des conditions plus soft pour son exploitation et qu’il est théoriquement classé entre le non conventionnel et le conventionnel. Mais lancer une telle information en pleine effervescence, elle a réussi à semer le doute. Est-ce son objectif ?

Quant au Nouvel Observateur, il a scanné en chiffres la relation entre l’Algérie et la France lors de la dernière visite du Premier ministre Sellal à Paris. Le magazine écrit qu’entre 2010 et 2013, 230 milliards de dollars ont été dépensés pour construire des logements, des routes, des voies ferrées, des hôpitaux. Il a en outre sérié les entreprises françaises qui opèrent en Algérie, notamment Bouygues, Accor, Lafarge, Renault, Sanofi, Alstom et qui souhaitent prendre une part de ce « gâteau ».
Aussi, la France pousse-t-elle l’Algérie à développer le gaz de schiste en lui marchandant son savoir-faire dans le travail de prospection, faisant ainsi baisser par la même occasion le prix du pétrole et du gaz, plus rentable pour la France en augmentant l’offre.

De l’opportunité de l’option du gaz de schiste pour l’Algérie.

1- Dans le contexte actuel et même en perspective, l’Algérie n’a aucun intérêt à développer le gaz de schiste combien même la croissance de la consommation interne menacerait l’excédent de gaz à exporter pour financer les besoins de l’économie nationale, et ce sur toutes les échéances temporelles.

2- Sur le court terme : au dernier Conseil restreint des ministres, le président de la République a réitéré son intention ferme de poursuivre la mise en œuvre de son programme quitte à geler certains projets non prioritaires eu égard à la chute des prix du pétrole et la contraction des recettes pétrolières.

Tous les observateurs, y compris les contestataires d’In Salah, ont compris que ce n’est pas avec deux puits tests qu’on évalue le potentiel du pays en gaz de schiste et se posent des questions sur l’obstination de vouloir terminer le deuxième puits à tout prix. Ce puits peut-il leur permettre de finaliser la carte isobathe au toit des formations schisteuses, calculer le pourcentage de leur concentration en carbone organique total, la carte du potentiel du schiste et enfin celui de son fluide. Il faut pour cela au moins une vingtaine de puits avec toute la logistique qui va avec en eau, sable, produits chimiques, sans compter le coût des différentes interventions dans toutes les phases de forage des sociétés para-pétrolières. Ceci rend ce projet peu prioritaire pour l’État qui appelle à une restriction budgétaire. Donc, le mettre de côté devient la solution la plus sage. Donc, défier la population d’In Salah comme l’a fait le PDG intérimaire de Sonatrach dans sa conférence de presse du 8 février courant, semble de toute évidence irresponsable. Car s’entêter de terminer un puits pour uniquement prendre le dessus dans un conflit, est contre-productif. C’est la première fois dans l’histoire des relations pétrolières qu’un opérateur commercial s’interfère directement dans un malentendu entre l’autorité publique et les citoyens administrés. Cela voudra dire que si l’État, lui, dit de s’arrêter, il ne s’arrêtera pas. On peut se demander pour qui il acte alors ?

3- Sur le moyen terme : les prix du baril se sont légèrement redressés pour dépasser la cinquantaine de dollars. Cette reprise va incontestablement aller plus loin parce que les investissements en forage profond et en gaz de schiste se sont arrêtés par manque de rentabilité. En conséquence, l’offre du pétrole sur le marché va se contracter, ce qui sera favorable pour les prix. Mais l’histoire de l’évolution des prix du pétrole, depuis le boom de la Pennsylvanie avec le forage Edwin Drake, a montré que pour une chute brutale des prix du baril, la reprise se fait progressivement parfois sur plusieurs années. Après la chute brutale du prix du baril due à la crise économique mondiale de 2008, le pique qui dépasse les 150 dollars n’a pu être atteint qu’en mars 2012 soit près de quatre ans après. Sauf, bien entendu, événement exceptionnel. Rien ne présage de cela.

Donc, sans s’aventurer sur des études coûteuses, l’exploitation du gaz de schiste aux prix actuels et à court terme, ne sont pas profitables à l’Algérie. Pourquoi cet empressement voire même cette panique à évaluer une richesse dormante qui ne servira pas à résoudre les problèmes économiques immédiats de l’Algérie ?

Maintenant, s’il s’agit d’une bonne intention pour les générations futures, autant les laisser s’en occuper elles-mêmes. Un principe géologique de taille : le pétrole qui a migré vers une roche-réservoir poreuse et perméable n’est pas orphelin et devra avoir impérativement sa roche mère, il suffit uniquement de la rechercher. Les ressources qu’elle renferme sont restées enfouies pendant des millions d’années. Ces ressources, si elles restent encore quelques années, elles ne vont pas s’envoler. Alors à quoi servira cette obstination ?

4- Sur le long terme : le domaine minier algérien est estimé à près de 2 millions de km2 dont les 1 536 442 km2 constituent la surface effectivement occupée selon les propres termes du rapport du ministère de l’Énergie dans son bilan. 25% sont en prospection dirigée par Sonatrach en effort propre, la recherche pétrolière prend 23% dont 15% en effort propre de l’entreprise nationale.
Seulement 3% du domaine demeure en exploitation avec 1.4% appartenant à Sonatrach en effort propre.

En termes plus clairs, sur un total de 774 754 km2 uniquement 23 242,62 km2 produisent des hydrocarbures.751 511.38 km2 restent susceptibles de donner des hydrocarbures et près de 761 688 km2 constituent un domaine libre, voire vierge, et qui n’attendent que des investissements pour être fertilisés.

L’étendue totale du domaine pourrait atteindre 1 513 199,40 km2 qui n’ont pas encore livré leur secret en ressources éventuelles. C’est stresser sur l’énorme opportunité dans le conventionnel entre les mains de Sonatrach au lieu de les envoyer dans un trou vide contesté par le monde entier. En plus de 1986, date de la promulgation de la loi sur les hydrocarbures en régime de partage de production jusqu’à fin 2014, il y a eu plus de 418 découvertes dont 211 en effort propre de l’entreprise nationale et 207 en association.

Bien que certains gisements ont été, pour le moment jugés marginaux, l’Algérie reste le seul pays avec le Brésil qui décrochent le gros lot. Le Brésil avec Braspetro au large de Sao Polo et l’Algérie sur le flanc de Hassi Messaoud, annoncé par le ministre de l’Énergie lui-même. Le taux du succès dans le conventionnel avoisine les 70%. Il n’y a aucune entreprise à part les premières comme Braspetro dans le périmètre de Ras Ethoum ou la Yougoslave, tout le reste des compagnies ont trouvé du pétrole et réussi un retour sur investissement appréciable. Anadarko s’est même développée en Algérie. Avec tous ces atouts et bien d’autres sur le conventionnel, pourquoi s’empresser vers le gaz de schiste ?

Conclusion

Il faut rappeler peut-être, pour mémoire, qu’en dépit de certaines analyses accusant François Hollande d’avoir poussé l’interdiction de la fracturation hydraulique dans le territoire français en contrepartie de son engagement durant sa compagne électorale envers les mouvements des Verts, ces conseillers qui avaient la charge de préparer le dossier se sont appuyés sur un rapport d’experts établi en juillet 2012 par l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE) avec la participation des experts du BRGM, CNRS, l’Institut français du Pétrole pour l’Energie nouvelle (IFPEN), l’INERIS et l’Université Joseph Fourrier de Grenoble 1.

Ce rapport est formel sur le mal que peut causer la fracturation hydraulique sur l’environnement. La ministre de l’Environnement du gouvernement Sellal qui a engagé son équipe pour déclarer publiquement que les gaz de schiste n’ont aucun impact sur l’environnement en Algérie s’est basée sur quelle expertise ? Si elle existe, pourquoi ne pas la rendre publique pour rassurer les citoyens ?

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par Reghis Rabah *

Consultant et économiste pétrolier

in Le Quotidien d’Oran

19.02.15



[1SN Repal : Société nationale de recherche et d’exploitation des pétroles en Algérie. et BRP : Bureau de recherche pétrolière.

[2CREPS : Compagnie de recherche et d’exploitation des pétroles au Sahara.

[3CPA : Compagnie des pétroles d’Algérie.

[4Travaux du Comité français d’histoire de la géologie sous la direction d’André COMBAZ, 2002