Grève des travailleurs de la zone industrielle de Rouiba. La classe ouvrière s’oppose à l’offensive du pouvoir contre les derniers acquis sociaux

mardi 12 janvier 2010
par  Alger républicain

Ils ont une fois de plus montré leur profond attachement aux acquis du développement. En défendant leurs propres intérêts ils défendent en même temps les fleurons de l’industrie algérienne tel leur complexe de production de camions d’autobus et de matériels roulants. Ils tiennent à en assurer la continuité, le développement et l’expansion face aux ultra-libéraux qui s’acharnent depuis plus de deux décennies à le casser .

Tout a commencé lorsque les travailleurs ont décidé spontanément de marquer leur opposition aux conclusions de la dernière « tripartite » qui a réuni le 3 décembre dernier gouvernement, UGTA et patronat. Cette tripartite n’a apporté aucune réponse à leurs nombreuses revendications salariales et aux autres problèmes posés, à ce jour non résolus : chute de leur pouvoir d’achat à un niveau inférieur à celui de 1985, un niveau qui ne leur permet plus de vivre décemment, de manger correctement et d’éduquer leurs enfants, retraites misérables après toute une vie de dur labeur, absence de plans de développement de leurs entreprises ouvrant des perspectives durables dans une situation où les caisses de l’État débordent de devises stérilisées, etc.

La bourgeoisie et le gouvernement, appuyés par les hauts responsables de l’UGTA, syndicat maison aux ordres de la grande bourgeoisie compradore d’État et du patronat, n’ont pas seulement ignoré les revendications et le mécontentement des travailleurs. Plus grave, ils ont donné leur feu vert au lancement d’une attaque en règle contre le régime des retraites pour réduire encore plus le montant des pensions et allonger la durée d’activité requise pour en bénéficier. En réponse à un tel mépris, les ouvriers, cadres et techniciens de la SNVI ont décidé de se faire entendre autrement.

Un rassemblement massif a eu lieu à l’intérieur du complexe de production des véhicules industriels. Des milliers de travailleurs se sont regroupés sur l’immense terre plein d’entrée de l’entreprise.
Ainsi, organisés seuls, ils ont pris la décision de dire tout haut leurs revendications à travers leur mouvement de protestation. Ils ne comptent nullement sur le soutien du syndicat UGTA. Au contraire, ils dénoncent ses dirigeants, car ils estiment que ces derniers ne sont que des avocats patentés des positions du gouvernement, des positions aussi éloignées de leurs intérêts que de ceux de l’entreprise,

Les travailleurs protestent contre le caractère purement symbolique de l’augmentation du salaire national minimum garanti (SNMG) que cette tripartite a décidé de porter de 12000 à 15000 dinars à partir du 1er janvier de cette année. A première vue cette augmentation de 25% paraît importante. En réalité, l’article 87 bis du code du travail, introduit de façon scélérate par le pouvoir en 1997 en application des injonctions du FMI en limite sérieusement les effets car il intègre dans ce salaire les primes et indemnités qui s’ajoutent au salaire de base. Dans les faits peu de travailleurs du secteur public sont concernés par cette décision tant que que la composition du salaire minimum n’est pas réduite au seul salaire de base avec l’abrogation de cet article. De plus les travailleurs dénoncent à juste raison le fait qu’une partie importante de cette augmentation du SNMG sera en réalité absorbée par un barême injuste de l’impôt sur le revenu global (IRG), comme toute augmentation salariale ou même celle des pensions de retraite.

Les travailleurs rejettent la décision de cette tripartite des exploiteurs, grands affairistes et profiteurs du régime de remettre en cause le principe du départ à la retraite proportionnelle, anticipée, et sans condition d’âge pour tout salarié travailleur ayant déjà accompli 32 ans d’activité. Ce refus traduit leur crainte légitime face au plan de révision du régime des retraites. Concocté dans le plus grand secret, et avec la complicité des responsables de l’UGTA, par un pouvoir foncièrement hostile à leurs aspirations, revendication et intérêts, ce plan consiste, selon des « indiscrétions », à allonger de 32 à 40 ans la durée d’activité ouvrant droit à une retraite complète et à retenir comme base de calcul du montant de la pension de retraite le salaire des 10 ou même 15 dernières années de travail et non plus celui des cinq dernières années comme le stipule la loi encore en vigueur. Les travailleurs qui accomplissent leur labeur dans des conditions éprouvantes, notamment les ouvriers de la forge et d’autres postes qui soumettent à une rude épreuve leur résistance physique, avaient espéré que les autorités se décident enfin à se pencher sur leurs dures conditions de travail par l’introduction de régimes spécifiques. Au lieu de cela la réponse de ce pouvoir peut se résumer ainsi : « Travaillez pour gagner moins et silence dans les rangs ».

Par ailleurs les travailleurs dénoncent le recours systématique par les responsables de l’entreprise aux contrats de sous-traitance avec des entreprises extérieures privées ou étrangères. Une bonne partie des pièces fabriquées dans le cadre de cette sous traitance est défectueuse et les ouvriers du complexe sont obligés de corriger les mal-façons quand les rectifications sont possibles. La SNVI subit en conséquence des coûts supplémentaires et des préjudices financiers qui peuvent être évités si les pièces étaient fabriquées directement chez elle comme c’était le cas avant. Qu’apporte donc la sous-traitance pour la SNVI ?

Les travailleurs dénoncent sans appel la trahison de l’UGTA et de Sidi Said.

Le 5 janvier 2010, ils ont manifesté leur présence en bloquant l’accès routier très passant qui longe le siège de l’entreprise tout en permettant aux véhicules transportant des malades de passer sans encombre.

Le 6 janvier 10, les travailleurs ont décidé d’effectuer une marche vers Rouiba ville et une partie des travailleurs a été déléguée alors qu’une autre est restée à l’intérieur de l’entreprise pour ne pas donner lieu à la création d’un mouvement de désordre.

Il faut en particulier rendre hommage au calme dont font preuve les travailleurs dans ce mouvement responsable à travers lequel ils ont décidé d’exprimer leurs revendications.

Lors du rassemblement qui a été bloqué par les services de police à l’entrée de Rouiba, il y a lieu de noter que les travailleurs de l’entreprise ANABIB (production de tubes et de canalisations en fer) qui voulaient rejoindre le mouvement en ont été empêchés par les forces de sécurité.

Le 7 janvier 2010, plusieurs autres entreprises ont rejoint le mouvement alors que les travailleurs de SNVI dont une partie était restée volontairement à l’intérieur de l’entreprise, les jours précédents, afin de prévenir les débordements, les mauvaises interprétations et les provocations, ont eux aussi manifesté à l’extérieur.

Une marche importante composée de travailleurs de plusieurs entreprises a été entamée avec l’objectif de rejoindre le centre de Rouiba ville où d’autres travailleurs attendaient.

Les entreprises privées et publiques, ANABIB, MOBSCO, HYDROAMENAGEMENT, ENAD, BATICIM, MAGI, TAMEG, CAMMO, PEPSI COLA, ont donc rejoint le mouvement de grève et de protestation pour rappeler d’abord qu’ils sont des travailleurs, qu’ils sont en butte à des quotidiens difficiles et dire qu’ils ne peuvent plus accepter ni eux ni les entreprises qu’ils défendent, d’être traités de cette façon.
Les travailleurs d’autres entreprises veulent rejoindre le mouvement.

Le pouvoir fait la sourde oreille. Il joue la carte du pourrissement et de l’essoufflement. Il a opté pour une politique de cantonnement du mouvement en mettant en place un très important dispositif de police pour empêcher les travailleurs d’atteindre Rouiba ou d’être rejoints par d’autres travailleurs désirant rallier le mouvement.

Plusieurs centaines de travailleurs ont été immobilisés à l’extérieur pour les empêcher de rejoindre la marche sur Rouiba. Décidés à opposer au flot grandissant des travailleurs en grève, une barrière humaine anti émeute composée de centaines de gendarmes appelés de partout pour épauler la police, les autorités n’ont pas hésité à ordonner l’utilisation de la force. Des groupes de manifestants ont été violemment matraqués. Des travailleurs parmi lesquels une femme, ont été transportés à l’hôpital.
D’autres sont passés par les champs pour contourner la muraille anti émeute.

Nous sommes à une époque où dans les grandes villes du pays, des enfants qui ne savent pas ce que signifie le mot salaire, roulent à folle allure dans des voitures rutilantes et clinquantes, négligemment offertes par des parents soudain enrichis et qui ne comptent plus l’argent alors qu’un travailleur qui use fièrement sa vie devant son poste de travail, doit se résigner selon ces nouveaux riches, à mourir dans le dénuement lorsqu’il aura fini sa vie active car rien d’autre n’a été prévu pour lui.

Si l’Algérie qui a fait 1954 n’a réussi qu’à déboucher sur un tel désastre, il y a une trahison nationale dont les auteurs doivent rendre des comptes.

Comment est-il possible que l’on prétende faire référence aujourd’hui aux obligations légales et règlementaires lorsque des fortunes immenses et insensées ont le loisir de s’édifier tranquillement et sans inquiétude, en contravention avec les lois de ce pays ?

À travers ces revendications, les travailleurs algériens ne demandent en fait que de pouvoir continuer à produire dans des conditions décentes en apportant à leurs familles le moyen de vivre en bonne santé et paisiblement. Serait-ce être hors la loi qu’exiger cela ?

Toujours disposés à attendre lorsqu’il s’est agit d’intérêt national, les travailleurs ont le droit de ne pas comprendre que les pouvoirs publics réagissent en 24 heures lorsqu’il s’agit de la prise en charge des supporters d’un match fut-il international alors que les intérêts de l’appareil de production et de ses travailleurs en danger sont mis en berne.

Il est inutile de revenir ici sur les décisions « spectaculaires » et « grandioses » annoncées à grands fracas médiatiques lors de la restructuration des entreprises, commise dans les années 80, restructuration qui a débouché sur un démantèlement méthodique de l’appareil industriel et économique du pays. Ce n’est pas la politique d’industrialisation qui a été un échec comme le prétendent les chiens de garde des multinationales et du néo-colonialisme français. C’est une nouvelle bourgeoisie qui impose sa loi depuis plus de 30 ans. Avide d’enrichissement rapide, elle et hostile par intérêt de classe à tout développement fondé sur le secteur public remettant en cause les sacro-saints principes de la supériorité du capitalisme et susceptible de consacrer l’abolition définitive de l’exploitation. Elle a tout fait et continue à tout faire pour saboter ce développement et dilapider les ressources du pays.

Le mouvement des travailleurs de Rouiba vient de rappeler qu’il existe en Algérie une classe ouvrière qui n’accepte pas de faire l’objet d’autant de mépris, une classe ouvrière qui tient à la défense des outils de production du pays face à des rapaces qui n’ont de soucis que pour leurs intérêts mesquins.

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Alger républicain

12.01.10


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