Arrestation du commandant Lakhdar Bouregaâ et de jeunes manifestants : est-ce le prélude à une grosse campagne de répression et d’intimidation ?

mardi 2 juillet 2019
par  Alger republicain

Il ne fait aucun doute que l’arrestation, samedi dernier, de Lakhdar Bouregaâ, commandant de l’ALN, dans l’ex-Wilaya 4 durant la guerre de libération, est à mettre sur le compte d’une répression pour délit d’opinion. Le grief invoqué par le parquet pour mettre sous les verrous cet homme âgé de 86 ans : « participation, en temps de paix, à une entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale et à un corps constitué » ne convainc personne. Au train où vont les choses depuis le 22 février - disons plus exactement depuis la mémorable manifestation de Kherrata du 16 février contre le 5e mandat de Bouteflika - ce sont des milliers de citoyens de toutes les régions du pays qu’il faudrait jeter en prison chaque mardi et chaque vendredi en application de ce genre d’accusations que rien de sérieux n’étaye. Après tout, Lakhdar Bouregaâ et les jeunes placés sous mandat de dépôt, ont-il ourdi un complot avec un groupe du régime contre un autre pour qu’ils soient coffrés sans même bénéficier ne serait-ce que de la liberté sous contrôle judiciaire en attendant que les juges finissent leurs investigations ?

Lakhdar Bouregaâ est un personnage réputé pour son tempérament fougueux. Qu’on les partage ou pas, il agit depuis l’indépendance selon ses convictions intimes, ce qui l’avait conduit à s’associer à la sédition armée d’Aït Ahmed en septembre 1963 pour exprimer son désaccord avec Ben Bella et les dirigeants politiques de l’époque, puis à s’élever contre le coup d’Etat du 19 juin 1965 qui avait renversé ce dernier. Des positions qui l’ont conduit à passer sept ans en prison avant de goûter de nouveau à la liberté pour se consacrer paisiblement à sa vie familiale. Il y a des années de cela déjà, lors de l’inhumation du regretté Mustapha Saadoun, Lakhdar Bouregaâ exprimait devant la tombe du défunt aux membres d’Alger républicain son indignation de constater que l’Algérie, telle que l’envisageaient secrètement les responsables du pouvoir, allait être « transformée en porte-avions de l’OTAN »*.

Pour en revenir aux motifs invoqués pour le mettre au cachot, les critiques émises par Bouregaâ à l’encontre de Gaïd Salah ( voir Liberté du 1er juillet : https://www.liberte-algerie.com/act...) relèvent purement et simplement du droit de n’importe quel citoyen à dire ce qu’il pense de la situation et des décisions de ceux qui président à son destin. A moins que l’on veuille nous ramener à coup de lettres de cachet à la situation d’avant le 22 février pour empêcher les gens d’exprimer leur avis sur l’alternative politique et sociale à la crise actuelle.

Les « corps constitués » qui se seraient sentis touchés par l’opinion de l’ancien commandant de l’ALN, opinion partagée par des millions de personnes, n’ont qu’à démentir concrètement, dans les faits et les comportements, que ces critiques sont infondées. Du moment que Gaïd Salah s’exprime régulièrement, il doit s’attendre à ce que ses propos soient disséqués et s’exposent à la critique, voire à la défiance. Depuis des mois des millions d’hommes et de femmes manifestent pour avoir le droit de dire comment ils voient l’avenir du pays. Des millions de jeunes ne veulent plus vivre l’angoisse du chômage, des emplois « jetables » humiliants, mal rémunérés et non déclarés à la sécurité sociale. Ils veulent vivre dans leur pays, ne pas exposer leur vie en franchissant la méditerranée dans des embarcations de fortune. Ils n’acceptent plus d’être nargués par les puissants et leurs rejetons qui disposent de tout dans illégalité, par le vol et la corruption sans s’en cacher, avec l’arrogance des « intouchables ». Leur cri de révolte « Klitou labled ya essariquine » ( « Vous avez dévoré le pays voleurs ! ») est le cri contre l’outrage insupportable que subit toute une nation depuis des décennies. C’est cet outrage qui doit être condamné par les magistrats s’ils veulent gagner l’estime du peuple.

L’arrestation de Bouregaâ est condamnée par un très large spectre de courants politiques déjà inquiets devant la vague d’emprisonnements de porteurs de l’emblème amazigh. Il est clair que le fossé se creuse entre les détenteurs du pouvoir et la grande masse du peuple qui refuse le piège de la division autour de l’exhibition de ce drapeau.
Le fait que de nombreux avocats se soient engagés bénévolement pour défendre les manifestants embarqués témoigne de la vitalité du mouvement de masse pour arracher les libertés démocratiques. Ceux qui pensent qu’il leur sera facile de remettre à jour la démocratie de façade en renouant avec la matraque, les gaz et la menace de la prison se trompent lourdement.
La tentative odieuse d’un obscur écrivaillon de l’ENTV de faire douter de la qualité de baroudeur de l’ALN de Bouregaâ ou de lui coller une pitoyable accusation d’usurpation d’identité, ne fera que creuser le fossé entre le régime et la grande masse des citoyens désireuse d’abord de se débarrasser de toutes les bandes qui vampirisent le pays.

Zoheir BESSA

*C’était un grand ami de notre défunt camarade Mustapha Saadoun, membre du CC du PCA et cadre d’Alger républicain après l’indépendance. Il l’avait connu au maquis en Wilaya 4 dans le sillage de la mise en application de l’accord PCA-FLN de juillet 1956. Ces accords avaient mis au point l’intégration, pour toute la durée de la guerre de libération, des Combattants de la Libération. Les groupes armés avaient été créés par le PCA en attendant que le FLN se décide à rencontrer les dirigeants communistes afin d’unifier les forces patriotiques face au colonialisme. L’acte héroïque de Henri Maillot avait eu pour effet de pousser les dirigeants du FLN, Abane Ramdane et Benkhedda, à accepter de se réunir avec les représentants du PCA, Bachir Hadj Ali et Sadeq Hadjerès. Lakhdar Bouregaâ que les préjugés anticommunistes n’avaient pas aveuglé et pour qui le seul critère était l’engagement réel dans le combat anti-colonialiste avait protégé Mustapha Saadoun de toute son autorité morale contre cet anticommunisme morbide entretenu par certains responsables de l’ALN. En 2006, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la prise du camion d’armes par Henri Maillot, devant un auditoire réuni dans une salle du complexe de Riadh el Feth, il n’avait pas hésité à contredire publiquement le capitaine Lounici, un de ses anciens compagnons et responsables de la Wilaya 4. Celui-ci s’était efforcé, raillerie méprisante sur les lèvres, de minimiser l’importance des armes remis par Maillot à l’ALN. Lakhdar lui a simplement répliqué qu’en avril 1956 l’ALN faiblement équipée en armes était toute heureuse de les recevoir. La première mitraillette MAT qu’il avait portée durant la guerre de libération il la devait à ce martyr, lui rappela-t-il en passant.