Ce que la réapparition du choléra a révélé

lundi 10 septembre 2018
par  Alger republicain

L’épidémie de choléra qui s’est déclenchée vers le 7 août dans quelques localités de Blida semble avoir été endiguée à en croire des officiels de la Santé. 200 personnes présentant des signes suspects avaient été hospitalisées dans les deux centres spécialisés d’El Kettar à Alger et de Boufarik. 70 cas d’atteinte par le choléra ont été confirmés suivant le bilan dressé au début de septembre. En dehors de deux personnes âgées et affectées par des maladies qui ne leur ont pas permis de résister à l’action du vibrion, toutes les autres en ont réchappé.
On signale encore çà et là des cas suspects de malades hospitalisés pour des diarrhées.

Les citoyens ont vécu un mois d’angoisse. Télés privées et presse écrite affamées de scoop pour augmenter leur audimat ou leur chiffre de ventes ont contribué à semer un vent de panique. L’épidémie localisée est réelle mais les articles exagérément alarmistes mus par la volonté de leurs auteurs de régler leurs comptes avec un pouvoir discrédité, sous prétexte de pallier l’information défaillante du gouvernement, ont créé un climat de psychose. Les services de la santé, de l’hydraulique, de l’agriculture ont été incapables de donner à la population les informations et les recommandations indispensables en matière d’hygiène pour enrayer la propagation du choléra. Leurs censeurs dans les médias et les journaux à grand tirage n’ont guère fait mieux, entraînés dans la surenchère pour amocher les gens du régime - qui l’ont cependant bien mérité- sans se préoccuper de l’étendue de la peur irrationnelle qu’ils ont propagée dans la population. Cela a fait l’affaire des commerçants d’eau dite minérale dont les prix ont flambé. Comble de l’irrationalisme, on a vu des gens préférer s’approvisionner en eau dans les mosquées, plutôt que de boire celle des robinets de leurs demeures, alors qu’elle provient du même réseau !
Les journalistes appartenant à cette catégorie d’Algériens autophobes dont la manie est de noircir à souhait les réalités du pays en pensant atteindre les gens du pouvoir, s’en sont donnés à cœur joie. L’un d’entre eux en est arrivé à se faire le relai des inquiétudes semées par la presse en Tunisie, menacée selon elle par l’arrivée imminente du choléra en provenance d’Algérie ! (La Tunisie en alerte suite à la propagation du choléra El Watan du 1er septembre).
Résultat cocasse : l’impact de cette campagne d’affolement a frappé n’ont pas à l’est de l’Algérie mais à son nord-ouest. Saisies par l’inquiétude, les autorités sanitaires d’un petit aéroport de Perpignan, en France, ont empêché les passagers d’un avion provenant d’Oran de quitter l’aérodrome, le temps de leur faire subir des tests de dépistage du choléra.

Le secteur sanitaire public a joué un rôle salutaire dans l’endiguement de l’épidémie. Malgré son sabordage depuis des décennie par les gens du régime dont le but obsessionnel est de tout privatiser, y compris la santé. D’un autre côté, le réseau public d’alimentation en eau potable, soumis à des contrôles périodiques, a été un barrage efficace contre la propagation du vibrion.
La réapparition du choléra a reflété comme une goutte d’eau l’état environnant de la société algérienne et de la nature de son régime politique de classe.
Elle a rappelé que la peur du choléra ne doit pas faire oublier que le citoyen s’est habitué sans réagir à d’autres sources d’épidémies plus effroyables.
De l’avis de tous, pas besoin d’être médecin spécialiste pour le constater, les dangers de résurgence de graves maladies, telle que la typhoïde ne sont pas à écarter étant donné la saleté et l’accumulation de montagnes d’immondices à tous les coins de rue du pays, exceptés les quartiers « chics ».
La presse s’est bornée à s’attaquer à la mauvaise communication des représentants de l’Etat sur les causes et l’étendue de l’épidémie. Les commentaires animés par une étroite vision partisane sont restés superficiels. Comme s’il suffisait de mettre fin au règne de Bouteflika pour que l’Etat retrouve sa capacité à faire disparaître la présence repoussante et écœurante des détritus.

En fait et depuis des décennies les autorités n’accordent pas aux responsables communaux les moyens financiers nécessaires pour ramasser quotidiennement les ordures, balayer et nettoyer à grands jets d’eau les rues et les avenues. Pourtant, malgré des moyens financiers plus réduits, cela se faisait encore pendant les premières années qui ont suivi l’indépendance. Depuis les années 1980 le régime a cédé ces opérations à des sous-traitants privés attendant de lui l’efficacité miraculeuse qui ne s’est jamais produite. En fait les communes ne sont dotées ni de l’effectif ni des moyens matériels pour maintenir la propreté et l’hygiène.

Les causes ? Le tournant vers le capitalisme a accordé la priorité à la course au profit et à la consommation des produits de luxe des couches sociales aisées qui forment la base sociale du pouvoir depuis le début des années 1980. Une orgie de consommation financée par la redistribution des ressources pétrolières en faveur de ces catégories qui a écarté de la gestion par l’Etat la question de la santé et de la salubrité publiques. Hygiène publique d’abord ou construction de demeures somptueuses et import de grosses voitures de luxe et de superflu ? Cette question est essentielle. C’est une question de choix de classe. Elle est passée sous silence par tous les critiques libéraux du « système », chefs de partis et éditorialistes acquis aux vertus prétendues du capitalisme. Elle est d’autant plus sérieuse à résoudre dans le cadre de la définition d’une politique d’ensemble que l’effectif de la population urbaine a été multipliée au moins par dix depuis l’indépendance. En 1960, le nombre des habitants des villes s’élevait à peine à 3 millions d’habitants. Le recensement de 2008 a fait ressortir que ce nombre a explosé. Plus de 29 millions vivaient à cette date dans des agglomérations plus ou moins concentrées. Dix ans après, en 2018, le nombre doit être sans conteste encore plus élevé. Cette fulgurante évolution donne une image saisissante des gigantesques problèmes de voirie posés. C’est un défi d’une ampleur qui exige de définir les priorités dans la redistribution des ressources pour préserver la santé publique. Il suppose la construction d’un système de production de richesses matérielles et de juste répartition de ces richesses en prenant en compte le caractère vital des besoins collectifs d’une société urbanisée et dont les membres se déplacent plus facilement et plus fréquemment grâce au réseau de transport individuel ou collectif qu’il y a un demi siècle.

Malheureusement, l’appareil productif du pays, fondement de la vie matérielle, qui avait connu un essor prodigieux dans les années 1970, dans le cadre d’un secteur public stratégique, a été saccagé depuis 1981 et spécialement depuis les réformes de 1987-1990 pour le plus grand bonheur des importateurs et des affairistes. Au point que le secteur public industriel produit aujourd’hui moins de richesses qu’il y a 40 ans ! Le seul résultat de ces réformes a été en libéralisant le commerce extérieur, d’ouvrir les vannes de la fuite des capitaux, de baisser de plus de moitié le taux des impôts devant être payés par les non-salariés, privant l’Etat d’importantes ressources fiscales, sans parler de la fraude fiscale, et d’engendrer par contre-coup l’égoïsme le plus effréné, le mépris pour les règles collectives de vie dans une société moderne. Un des aspects des plus révoltants de cette mentalité parasitaire, ce sont les comportements des commerçants de l’informel qui ne payent aucun sou aux communes tout en laissant à celles-ci la charge de ramasser leurs montagnes de cartons d’emballages et de détritus abandonnées en fin de journée sur les trottoirs et les rues. Quand on sait que tous ces commerçants informels sont approvisionnés par de gros importateurs liés aux gros bonnets du pouvoir et que des dessous de table vont dans les poches des responsables locaux, véritables « mekkas » (percepteurs de taxes) des nouveaux temps, il apparaît clairement que le problème n’est pas celui du « système » au sens d’équipes installées dans l’Etat par Bouteflika, mais de régime économique et politique, quels que soit la personne placée à sa tête, son âge et sa vitalité intellectuelle et physique.

Dans le monde d’aujourd’hui dominé par le système impérialiste, le capitalisme algérien dépendant de sa division internationale du travail ne peut être la solution, quand bien même Bouteflika serait remplacé par Benflis, ou par Benbitour, Djilali Soufiane et compagnie ; et que la façade de ce capitalisme serait plus présentable et plus démocratique.

Dans ce monde tel qu’il est et non tel que se le représentent les libéraux et leurs éditorialistes de la presse arabophone ou francophone, qui croient qu’il est toujours possible de refaire le chemin parcouru par les vieux pays capitalistes pour, croient-ils, atteindre leur standing de vie actuel et leur degré d’organisation, il n’y a de place que pour un régime au services des classes laborieuses du pays, fondé sur la prédominance d’un secteur public démocratiquement géré dans le cadre d’une planification centralisée.

R.N.