Derrière la « Caméra cachée » de la chaîne TV Ennahar, l’obscurantisme islamiste désigne au lynchage public l’écrivain progressiste Boudjedra

lundi 5 juin 2017
par  Alger republicain

Sous couvert de lancement d’une émission littéraire servant de tribune aux écrivains pour se faire connaître des lecteurs potentiels en langue arabe, Ennahar TV a organisé un traquenard en ce début de ramadan.
Son illustre victime n’est autre que le célèbre romancier bilingue dont la réputation d’homme de progrès est bien établie.

La chaîne est connue pour sa prédilection pour les sujets qui flattent les instincts les plus bas chez les téléspectateurs, entretiennent l’ignorance, l’intolérance et l’obscurantisme. Cette fois-ci, elle a poussé encore plus loin le bouchon dans son entreprise de « daechisation » de la société.

Dans sa candeur proverbiale, Boudjedra est tombé dans le panneau en acceptant l’invitation.

Complètement sonné par les accusations inattendues d’ « intelligence avec l’ennemi », d’apostasie et de mécréance, lynché pour ses convictions philosophiques, le grand écrivain a cédé. Comme de sadiques inquisiteurs des époques médiévales de triste mémoire, les animateurs de la « caméra » ne purent étouffer leurs gros rires imbéciles pour avoir réussi à le faire craquer.

Discréditer et adresser un message clair en poussant l’opinion à traquer tous ceux qui pensent autrement sur le plan religieux, telle est la claire intention de ces animateurs. Ils sont rasés de près, portent costumes-cravates à l’opposé du mode vestimentaire des barbus en qamis qui inspirent d’emblée une méfiance instinctive. Ces animateurs sont d’autant plus dangereux qu’ils se drapent sous un style « moderne », comme le font de nombreux imams autoproclamés pullulant dans les quartiers populaires pour attraper dans leur filet des jeunes naïfs.

On ne peut séparer ce guet-apens médiatique du harcèlement qui se traduit depuis des mois par la persécution des croyants appartenant à d’autres rites que le sunnisme malékite algérien officiellement considéré comme la norme à observer obligatoirement. Le ministre des Affaires religieuses qui passait à ses débuts pour un homme ouvert diabolise les chiites, les ahmadites et aussi … les athées.
Qu’il cherche à combattre l’idéologie wahhabite ultra-réactionnaire, personne ne l’en blâmera. Mais que pour tenir balance égale il s’attaque à la liberté de penser des citoyens, il franchit une ligne qui n’annonce que de sombres lendemains au nom de la « norme ».

De nombreux citoyens ont appelé à se solidariser avec l’écrivain et à dénoncer l’attentat commis par Ennahar contre la liberté de conscience, de même que le silence des responsables de l’Etat. Ce droit de croire ou de ne pas croire, de croire autrement que la majorité, a été consacré par toutes les Constitutions depuis l’indépendance. Hommage est ainsi rendu à tous ceux qui ont contribué et continuent à contribuer à la libération du pays, à l’édification d’une société de progrès, indépendamment de leur croyance : musulmans, chrétiens, juifs, agnostiques, athées. Ce caractère universel de la révolution algérienne, le colonel Si M’hamed Bougara de la Wilaya 4 *, tombé au champ d’honneur, l’avait souligné dans ses notes.

Un rassemblement a été organisé samedi devant le siège de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel. C’est à l’honneur des intellectuel(le)s, hommes et femmes de presse qui refusent le glissement dangereux de la société vers une époque qu’on croyait révolue où le seul fait de penser différemment mène directement à la décapitation.

Le frère du chef de l’Etat a tenu à exprimer sa solidarité avec Boudjedra en participant à ce rassemblement, bien que sa présence ait été mal prise. Faut-il voir dans ce soutien un acte préfigurant des mesures pour stopper une descente vers les comportements inquisitoriaux ?

Des citoyens ont été interpellés ces derniers mois pour des pratiques religieuses abusivement assimilées à des délits passibles d’emprisonnement.

Faut-il croire que seront rappelés à l’ordre les officiers de police ou les magistrats qui se sont distingués par des instructions dignes d’un tribunal islamique en violation des procédures légales respectant les convictions religieuses ou philosophiques du citoyen ?

Autant dire que le mouvement initié par ce rassemblement doit être amplifié.

Ce n’est pas le moment de reprocher à l’écrivain d’avoir permis à une chaîne de TV, où il n’avait rien à faire, d’accrocher une prise de choix à son indigne tableau de chasse.

AR.
05.06.17


* Dans une première version une erreur nous a fait attribuer cette note au chahid Colonel Lotfi de la wilaya 6. Que nos lecteurs nous en excusent.

AR