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Fraude fiscale et sociale : des gens du pouvoir découvrent soudainement la plaie du secteur "informel" (2)
samedi 1er avril 2017, par
Ces derniers jours des gens du régime ont "découvert" l’immensité des pertes fiscales occasionnées par le développement de "l’économie informelle". La dégradation continue des recettes en devises du pays semble être à l’origine de leur intérêt soudain pour ce secteur qui prospère grâce aux conditions économiques créées par les dépenses publiques mais qui ne rapporte pas un centime aux caisses de l’Etat ou à la sécurité sociale. Ils font semblant d’être surpris par l’étendue de la fraude contre laquelle l’Etat n’a pris à ce jour aucune mesure pour que ces gisements de recettes fiscales participent à une augmentation substantielle de ses ressources financières. Et pour cause : les liens souterrains tissés entre les patrons de l’informel et des responsables de l’Etat, ceci expliquant cela. De ce fait il faut être d’une grande naïveté pour croire que les opérations de contrôle épisodique vont changer réellement la situation tant que les appareils d’Etat ne seront pas assainis par des changements radicaux de classe.
La probabilité d’un mouvement social important contre cette inertie criminelle semble avoir incité le ministère du Commerce à lui consacrer récemment une journée d’études. Selon l’agence Algérie Presse services (APS), un responsable du service des statistiques de ce ministère a livré des chiffres explosifs lors d’une rencontre avec des chercheurs universitaires le 2 mars dernier. Il a estimé la part de la production de ce secteur à 45% du Produit national brut. Il s’est référé aux résultats d’une enquête que l’Office National des Statistiques a réalisée en 2012, il y a déjà 5 ans [1] !
Hors agriculture, l’enquête menée par l’ONS en 2013 sur la base d’un sondage a fait ressortir que sur un total de 5,2 millions de personnes occupées dans le secteur privé 3,6 millions d’entre elles, patrons et salariés compris, soit 69% de ce total ne sont pas affiliées à la sécurité sociale. Un chiffre énorme ! D’autant plus énorme que ce nombre n’était que de 1,6 millions en 2001. En 2013 sur un ensemble de 3 millions de salariés que le secteur privé emploie, il n’en déclare que le quart. [2]
Quant aux employeurs et indépendants, leur nombre était de 3,1 millions dont 534 000 sont des agriculteurs. Sur ce total près de 2 millions d’entre eux échappent aux services fiscaux et 2,1 ne sont pas affiliés à la sécurité sociale. Ils représentent un cinquième de l’ensemble de la population occupée estimée à un peu de plus de 10 millions de personnes en 2013, dans le public et le privé. Ils disposent de revenus plus ou moins importants, certains employant plus de 250 salariés, et bénéficient des équipements économiques, socio-éducatifs et médicaux mais ne contribuent en rien aux ressources de l’Etat ou des caisses de sécurité sociale. Une enquête plus poussée et de sérieuses mesures de contrôle devraient viser à faire le tri entre la minorité du secteur informel qui amasse de gros profits et ceux plus nombreux dont les revenus leur permettent à peine de vivre. Ces derniers doivent être traités au même titre que les salariés qui perçoivent moins que le salaire minimum : exonérés de l’impôt sur la base de déclarations mais affiliés et contribuant à la sécurité sociale.
Le plus étonnant est que deux ministères directement concernés par la répression de la fraude fiscale et sociale, ne semblent pas avoir été associés à la journée d’études : le ministère des Finances et celui du Travail. Le rôle de ces deux ministères est pourtant incontournable dans les opérations visant à obliger les fraudeurs à se soumettre à la loi et à verser leur dû dans les caisses de l’Etat. A croire que les responsables du pays ne sont animés par aucune volonté sérieuse de s’attaquer à ces pratiques illégales. La journée d’études n’est-elle que de pure forme pour faire accroire qu’ils font quelque chose contre ces signes insultants des inégalités sociales ?
Toujours est-il qu’ils ne sont pas pressés de passer à l’acte. Le ministère du Commerce a jugé qu’il fallait commencer par étudier ce secteur informel. Il a confié au CREAD le soin de mener des enquêtes pour en cerner l’importance. On commencera à petits pas une enquête dans la région de Tlemcen. Ce n’est qu’au vu des leçons de cette étude "pilote" que l’enquête s’étendra ensuite à tout le territoire national. Soyons très patients et attendons deux ou trois ans pour que l’on ait des chiffres frappés du label du sérieux universitaire. Mais point de décisions des ministères opérationnels de mobiliser dès maintenant leurs services de contrôle, avec l’aide de la police si besoin est, pour recenser un à un ceux qui se livrent à des activités non déclarées. Ni pour réprimer de façon exemplaire les pratiques frauduleuses du secteur dit "formel", telles que les fausses déclarations concernant le chiffre d’affaires ou l’emploi au noir d’une importante proportion de travailleurs. En tous cas il n’y en aura pas avant que l’étude confiée au CREAD n’ait été lancée et réalisée. Tel semble être le rythme paisible du calendrier solennellement arrêté par les responsables.
Entre temps les fraudeurs continueront tranquillement à s’enrichir sans verser un sou au fisc ou à la sécurité sociale. Et si jamais le prix du baril du pétrole venait à remonter à 100 dollars parions que le dossier sera refermé.
Rédaction nationale
01.04.17
[1] Etrangement, le chiffre concernant la part du secteur de l’informel dans le PNB n’a fait l’objet d’aucune publication officielle par l’ONS. A moins qu’il ne résulte que de pures extrapolations effectuées à partir de l’effectif des personnes exerçant des activités productives ou commerciales en dehors de toute légalité, sans cotiser à la sécurité sociale, ni déclarer leurs employés, en somme des patrons inconnus des services des impôts.
[2] 84% des salariés non permanents ne le sont pas. Les permanents sont relativement mieux lotis puisque "seulement" 30% d’entre eux ne sont pas déclarés.