L’horizon très limité du régime face à la crise : des recettes pour enrichir les plus riches au nom de l’intérêt de la nation

lundi 24 août 2020
par  Alger republicain

La conférence économique des 18 et 19 août dernier aura eu l’immense avantage de nous dévoiler la vision économique du régime actuel et les options ultra-libérales qui en constituent le socle.

Un air de déjà vu avec des recommandations qui visent au renforcement d’un type de capitalisme parasitaire et dépendant

Commençons par le discours de clôture du premier ministre Djerad qui a évoqué « la diversification économique par l’encouragement de l’investissement productif et les industries de transformation, la révision de la règle 51/49 … la suppression de l’obligation d’un financement local pour les investissements étrangers et la suppression du système préférentiel pour l’importation des SKD/CKD, la valorisation des ressources naturelles (en particulier minières), la substitution des produits importés par ceux transformés localement pour préserver les réserves de change, la promotion du tissu industriel avec une attention particulière aux PME-PMI et start-up », en promettant « la libération des initiatives de toutes les entraves bureaucratiques (...) », c’est-à-dire moins d’intervention de l’Etat, ou plus exactement plus de liberté laissée à l’initiative privée.

Ce discours résumait à lui seul les principaux axes sur lesquels s’articule les projets économiques du pouvoir : une industrialisation fondée sur la promotion des industries de transformation et une exploitation (dans le but d’être exportées) des ressources minières, la promotion des PME et « start-up », et des investissements du secteur privé national et étranger … Djerad évoque au passage, la préservation du « caractère social de l’Etat », ce que le précédent régime avait pris soin de faire, car dans une société qui reste divisée entre riches et pauvres, il faut tout de même assurer à ces derniers au minimum le pain, l’eau et l’électricité afin de prévenir toute forme de révolte. A l’exception de ce passage sur l’Etat social, aucune résolution n’a rappelé la condition ouvrière, les revendications sociales ou la question du pouvoir d’achat des masses.

Ce régime fait du surplace car le secteur privé n’a pas attendu ces orientations pour se déployer et se couler dans le moule capitaliste depuis trois ou quatre décennies. Rien de neuf en effet, car le secteur industriel de la transformation, fortement représenté par les industries agroalimentaires, constitue depuis les années 1990 et le démantèlement du tissu industriel public, la base de l‘industrie nationale. Le secteur privé s’est aussi depuis fort longtemps affranchi des entraves bureaucratiques en évoluant dans un cadre ou l’informel est la règle : une majorité des entreprises ne déclare pas ses salariés à la CNAS, la législation du travail est bafouée et les protections sociales sont ignorées, les chiffres d’affaires réels sont sous déclarés pour échapper à l’impôt et les représentations syndicales sont inexistantes, sinon réprimées comme c’est le cas chez le plus puissant d’entre eux (CEVITAL).

Les résolutions adoptées dans les ateliers sectoriels et thématiques appellent au « renforcement du rôle du secteur privé ». Celles relatives à l’agriculture se ramènent à une série d’incantations (assainissement du foncier agricole, remembrement, révision du système de concession des terres agricoles et des parcours steppiques, règlement des dysfonctionnements des marchés, réorganisation de “la profession” en coopératives ou groupes d’intérêts … ».

Pour l’industrie, il est encore question de réviser le code du travail (comme si l’actuel code protégeait les travailleurs de l’arbitraire patronal !) et de la loi sur l’investissement (plus de libertés, de privilèges et moins de contrôle de l’Etat) …

Pour le financement du développement, il faut noter la « révision des politiques des changes » et l’aménagement d’un « flottement progressif du taux de change », ce qui signifie, en termes de retombées économiques, un retrait de l’Etat dans la fixation de la valeur du dinar et plus de liberté aux marchés (parallèles) pour décider de cette valeur, qui continuera encore à être dépréciée par rapport au dollar ou à l’euro, ce qui veut dire une hausse des prix et aussi un pouvoir d’achat en baisse…

Entre autres recommandations, il est question de facilitations pour investir, et un « simplification des procédures de l’accès aux ressources publiques ».

Notons que la privatisation ou l’ouverture au capital privé sera étendue aux banques, au secteur des transports, des ports, mais aussi aux fleurons de notre industrie aujourd’hui sous contrôle public …

On observe bien que la libéralisation économique engagée sous l’ère Chadli, poursuivie et accentuée par ses successeurs est encore et de nouveau reconduite, en plus grand encore, et en plus large.

Ces orientations écrites sous forme de recommandations au sein de ces fameux ateliers de travail de la conférence qui a regroupé ministres, cadres de l’Etat, patrons, représentants syndicaux héritiers de Sidi Saïd, et quelques “experts” (acquis en majorité à l’idéologie libérale) n’ont fait que reprendre les orientations économiques développées dans le discours d’ouverture prononcé par Abdelmadjid Tebboune.

Des ambitions économiques d’un autre temps : industries extractives et industries de transformation bases de “l’économie nouvelle” de Tebboune

Tebboune poursuit l’ambition économique de faire de l’industrie de transformation et du secteur minier les principaux gisements de production de richesses. Il a en effet évoqué assez clairement une stratégie industrielle tirée par le secteur minier et des petites entreprises de transformation. Il a fait aussi l’éloge du secteur primaire agricole, un secteur qui se serait hissé au premier rang, plus performant que celui des hydrocarbures avec 25 milliards de dollars de richesses créés. Ce chiffre révèle l’ignorance dans le domaine économique. Le secteur agricole exporte moins de 200 millions de dollars et la production agricole réalisée est presque intégralement consommée dans le pays. L’agriculture n’a pas généré de devises : bien au contraire, elle en consomme par l’achat de matériels, de vaches laitières, de semences, d’engrais et de phytosanitaires et autres produits vétérinaires.

En faisant du secteur minier un secteur d’avenir, Tebboune a simplement assigné au pays un rôle de fournisseur de matières premières ; comme il l’a clairement affirmé, le capital étranger assurera quant à lui la technologie pour extraire ces ressources minières. Vieille division du travail qui rappelle celle des colonies.

Il a cité “les réussites” de certaines PME-PMI qui exportent des pneus vers les USA, des confiseries ou encore des cosmétiques vers l’Afrique ou vers des pays développés. Notons au passage que ces produits sont fabriqués avec des machines qui ne sont pas issues de l’industrie nationale et des matières premières importées, qu’un tissu industriel national robuste ne peut se réduire à ces secteurs à basses qualifications et basses rémunérations.

Quels débouchés offrir à nos jeunes diplômés issus des universités et grandes écoles d’ingénieurs ? Son horizon industriel reste la satisfaction des désirs du petit bourgeois consommateur de “flocons de pomme de terre”, “de “chips”, “de mayonnaise” ou de “ketchup”, qu’il souhaite produire comme si ces produits, outre le fait qu’ils exigent des matières premières importées, étaient des produits prioritaires et essentiels. A signaler que notre pays n’est pas en situation de surproduction dans le domaine agricole et notamment pour la pomme de terre. La preuve est qu’elle coûte en moyenne 50 DA le kilo sur les marchés, et que sa transformation en chips ou en flocons la rendrait si chère qu’elle sera inaccessible pour les ménages algériens ordinaires.

Un slogan qui fait écho à celui que Guizot adressa à la bourgeoisie française au 19 ème siècle : « enrichissez-vous ! »

Tebboune y rajoute seulement un voeu pieux : « gagnez de l’argent, mais faites-le légalement »

C’est cette invitation qu’il a lancé aux “opérateurs économiques” conviés à la rencontre économique. Et de leur proposer non seulement des aides, sous forme d’exonération d’impôts si des emplois sont créés, de leur céder une part importante des devises s’ils exportent, et leur accorder 1 900 milliards de DA pour financer les prêts aux investisseurs, de même que 10 à 12 milliards de dollars prélevés sur les réserves de change pour assurer les importations nécessaires à leurs investissements. Autrement dit, l’argent que les “investisseurs privés” vont gagner « légalement » c’est l’argent public mis à leur disposition par l’Etat selon un cadre légal !

Il les a invités à investir et tous les secteurs leurs sont désormais ouverts, y compris dans le secteur public. Il l’a fait avec beaucoup d’insistance, car il les sait aujourd’hui plus méfiants vis-à-vis d’un Etat qui a incarcéré des “créateurs de richesses et d’emplois” ayant, il n’y a pas si longtemps, participé eux aussi à cette redistribution de la rente publique (l’argent public), et s’étant ainsi outrageusement enrichi !

Porter les exportations hors hydrocarbures à 5 milliards de dollars l’année prochaine, conquérir les marchés … africains

Si Abdelmadjid Tebboune a évoqué la question de la réduction des importations afin de préserver les réserves de change (nous disposons à ce jour de 13 mois d’importation), il fixé au gouvernement l’objectif de porter les exportations hors hydrocarbures à 5 milliards de dollars fin 2021 et de réduire ainsi la part des hydrocarbures dans les recettes en devises à 80% à la même échéance. Un pari qu’il sera impossible de réaliser quand nous savons que le pays a exporté au premier trimestre de cette année à peine 470 millions de dollars, qu’il a peiné à exporter plus de 2,5 milliards de dollars au cours des deux dernières années, qu’il n’a accès à des marchés européens (dont les économies sont en crise) que sous réserve de respecter des normes et des règles (barrières non tarifaires) draconiennes.

L’investissement sur les marchés africains (aux économies si pauvres et endettés) n’est pas une mince affaire. Nos voisins marocains nous ont devancés car ils disposent de banques, de relais économiques (investisseurs et entreprises marocaines ou mixtes) et d’une diplomatie active en Afrique. Ce n’est pas en une année, une année marquée par un ralentissement accentué par la crise sanitaire, que le retard pris sera comblé.

Une “économie nouvelle” avec un personnel politique qui a généreusement nourri “le système”

La nature des choix économiques n’est pas une surprise quand on sait quel est le personnel politique en charge de l’économie. Outre les services d’économistes libéraux, Tebboune a pour conseiller économique Abdelaziz Khellef et Djerad a pour conseiller un autre cadre issu des finances, Brahim Bouzeboudjen. Le premier a été ministre du commerce (1980-1986), ministre des finances (1986-1988) et secrétaire général à la Présidence (1991-92). Autrement dit il a fait toute sa carrière de haut fonctionnaire au service du régime de Chadli, source du désastre économique actuel. Après cette date il a poursuivi une carrière de banquier (dont la Banque islamique de développement). Père du programme anti-pénuries d’importation de produits de consommation superflus, premier acte de dilapidation de l’épargne en devises constituée sous Boumediène pour financer les « investissements de valorisation du potentiel existant ». Mais aussi acteur actif des mesures de libéralisation économiques impulsées sous l’ère Chadli. Le second, un ancien directeur du Trésor, a été le secrétaire de Khellef, mais aussi l’ex directeur de cabinet de Benflis avant d’être désigné en 2010 par Bouteflika à la tête de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption (ONPLC), une institution-alibi ayant failli –pour être gentil- dans la lutte contre ce phénomène.
Au lieu de demander des comptes à ce haut fonctionnaire grassement payé pendant des années pour enquêter sur la corruption - lui qui a géré le Trésor algérien, est donc tout à fait bien placé pour dénoncer la surfacturation, les transferts de devises ou autres achats de biens immobiliers à l’étranger - connu des citoyens-, un décret présidentiel l’a élevé au rang de premier conseiller économique du premier ministre.

Voilà donc comment Tebboune construit la nouvelle Algérie avec des gens du passé, ayant eu par l’exercice de leurs fonctions, une responsabilité dans le désastre économique, et dont les racines sont à rechercher dans des options ultra libérales que l’on reconduit aujourd’hui.

Petite information complémentaire : le “golden boy” Alexandre Kateb, membre influent de la task force de Sellal, au parcours professionnel macronien (un homme au service des banques françaises), qui a inspiré en 2017, contre l’avis même de la BCA, le financement non conventionnel et le nouveau “modèle économique” (dont on a pas la moindre trace écrite) a écrit un article sur le Liban publié dans le journal Le Monde daté du vendredi 21 août (page 26). Il recommande au Liban de se rapprocher … d’Israël et de coopérer avec cet Etat pour résoudre sa dépendance à l’énergie. Cela nous donne une idée des complicités idéologiques qui fédèrent certains partisans du libéralisme économique …

Sid Ali