Disparition de Sadek Hadjerès : l’hommage d’ un groupe de camarades et de proches

samedi 12 novembre 2022
par  Alger republicain

Texte repris du Quotidien d’Oran du 10 novembre 2022

Sadek Hadjerès, grande figure du Mouvement national et du Mouvement communiste et ouvrier international, vient de nous quitter à Paris à l’âge de 94 ans.

Né le 13 septembre 1928 à Larbaâ Nath Irathen (ex-Fort National), il poursuit ses études secondaires à Médéa, Blida et à Ben Aknoun. Il fera des études supérieures à la Faculté de médecine d’Alger et sera successivement ou simultanément médecin praticien et chercheur en sciences médicales.

Sadek Hadjerès s’éveille à une vie sociopolitique publique active en 1943 à Larbâa (Beni Moussa, dans la Mitidja), au milieu des couches populaires de son village saisies par les bouillonnements d’un éveil national massif. Il venait d’interrompre pour deux ans les études secondaires qu’il poursuivait au collège de Blida dont l’internat a été fermé en novembre 42 pour devenir hôpital de guerre anglo-américain. Il étudie par correspondance.

Il a alors quinze ans et anime le mouvement des SMA (Scouts musulmans algériens), sous l’égide d’une association culturelle-cultuelle locale (Nadi-l-Islah), influencée à la fois par des éléments Oulamas fréquentant le « Cercle du Progrès » d’Alger, des éléments des AML tels que chikh Boumendjel instituteur (père de Ali et Ahmed) et des éléments du PPA dont Si Mustapha Sahraoui, plus tard membre du CC du MTLD et messaliste, assassiné par les colonialistes en 1956. Il anime le groupe local des SMA, en devient responsable puis chef de district pour l’Est-Mitidja.

Il adhère au PPA en 1944 et comme militant de ce parti, il continuera à s’impliquer dans les activités associatives et politiques de Larbâa et de sa région, tout en ayant repris en octobre 1944 ses études secondaires au lycée de Ben Aknoun (Alger), où il rejoindra les jeunes nationalistes qui avaient eu à peu près le même itinéraire associatif et politique que lui à Miliana, où s’étaient provisoirement repliés les élèves de l’Ecole normale d’instituteurs de Bouzaréah. Ils formeront dans le PPA ce que les historiens appelleront le « groupe de Ben Aknoun », particulièrement actif et reflétant le dynamisme politique et organisationnel du district du PPA de Kabylie. Une forte proportion de ces militants en étaient en effet originaires, tels que Ali Laïmèche (mort au maquis à 19 ans en août 1946) ; Aït Amrane Mohammed, venu de Tiaret et créateur à Ben Aknoun en février 1945 de l’hymne patriotique « Ekker a mis en Mazigh » en langue berbère ; Aït Ahmed Hocine, Ould Hammouda Ammar, Oussedik Omar qui joueront plus tard un rôle important dans la décision de création de l’OS et son organisation.

Il quitte fin 1949 le MTLD-PPA à la suite de la crise dite faussement « berbériste » pour adhérer à une cellule de base du PCA en janvier 1951. Il est élu au Comité central du Parti en février 1952, puis au Bureau politique au printemps 1955. Il dirige la revue « Progrès » de ce parti de 1953 à 1954.

L’interdiction du parti communiste en 1955 le voue à la clandestinité, comme responsable national adjoint des CDL (Combattants de la Libération) auprès de Bachir Hadj-Ali. Avec ce dernier, conscient de l’apport autonome irremplaçable de la classe ouvrière et de son parti, il poursuit la structuration et la mise en train des plans d’action des combattants communistes au niveau des villes et campagnes de différentes régions d’Algérie, dans des modalités variables selon la coopération ou non des responsables locaux du FLN qui exigeait la dissolution du PCA dans le FLN. La capture du chargement d’armes de l’aspirant Maillot rend enfin possible la rencontre des deux responsables communistes des CDL avec les dirigeants du FLN Abbane Ramdane et Benyoucef Benkhedda. L’accord sur les modalités d’intégration des combattants communistes dans l’ALN sous la direction politique du FLN est discuté et ratifié par le Comité central du PCA en mai et juin 1956.

Dans le prolongement de l’action des CDL, Bachir Hadj-Ali et Sadek Hadjerès restent en relation avec plusieurs camarades des maquis qui leur font part des difficultés rencontrées (consignées plus tard dans les lettres adressées au GPRA en 1959 ; une partie en a été publiée par les « Archives de la révolution » de Mohammed Harbi ; le document de fond principal qui les accompagnait a été publié par le PCA en octobre 62, peu avant sa nouvelle interdiction).

Qualifié par la radio et la presse coloniale de « médecin pyromane », Sadek fut condamné en 1957 à vingt ans de travaux forcés par contumace dans un des procès du réseau de bombes.

Pourtant à l’indépendance, il n’aura même pas droit à la reconnaissance par les institutions officielles du pays du statut de Moudjahid. Après l’indépendance, il devient l’un des trois secrétaires du CC du PCA et reprend l’activité médicale et la recherche universitaire parallèlement aux activités politiques. Il coordonne après le Congrès du FLN du printemps 1964 l’appareil d’organisation, redevenu clandestin depuis l’interdiction du PCA par Ben Bella (29 novembre 1962), mais sans lourde répression directe.

Après le coup d’Etat du 19 juin 1965 et le bref épisode du rassemblement ORP, les militants du PCA toujours interdit mais fortement réprimé, s’organisent en 1966 en Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS). Il en est de fait le premier secrétaire à partir de 1967, responsabilité dans laquelle il est confirmé publiquement à partir de 1970 et qu’il assume jusque en 1989 dans une clandestinité de vingt-quatre ans. A deux reprises, en 1967 et 1969, sous sa direction, le parti organise des débats de fond, s’étalant sur deux à trois mois compte tenu des contraintes de la clandestinité, pour mettre au point démocratiquement la plateforme définissant la nature du PAGS et ce qu’être pratiquement, sur le plan national, un parti d’avant-garde.

Le PAGS sera reconnu à la même période comme parti communiste par le mouvement communiste et ouvrier international (1969). Revenu à la vie légale au printemps 1989, il informe en octobre 90 les autres dirigeants du PAGS de sa décision de se dégager de toute responsabilité effective (avant le Congrès de décembre qui le place en tête du nombre de voix des congressistes). Au début de 1992 il se libère de toute affiliation partisane tout en réaffirmant son engagement social, démocratique et communiste envers l’héritage historique du mouvement ouvrier et communiste algérien.

Il considère que l’alignement sur les sphères hégémonistes du pouvoir en place et les projets de démantèlement idéologique et organique du parti sont orchestrés et mis en œuvre sous les pressions et l’intervention directe du système, à la faveur de la tragédie qui frappe l’Algérie engagée dans un faux pluralisme. Il dénonce le sabordage du PAGS dans une déclaration publiée par El Watan et Alger républicain (fin novembre 92).

Depuis fin 1991, il vit à l’étranger, se consacrant à des travaux en géopolitique et à des publications sur son site « socialgérie.net » et dans la presse algérienne et internationale. Il est notamment l’auteur de « Quand une nation s’éveille. Mémoires tome 1 (1928-1949) ». Le tome 2 de ses mémoires, « 1949, crise berbériste ou crise démocratique ? » est publié en 2022. Adieu Camarade Sadek, la Nation reconnaissante ne t’oubliera pas. Tu lui as tant donné !

Un groupe de camarades et de proches