Hommage à Hafid Manser

mardi 20 août 2013

J’ai l’insigne et pénible devoir de dire Adieu à Hafid. Il était mon ami, mon frère, mon camarade. Plus de cinq décennies, faites de haut et de bas , comme dans le cours de toute vie, ont forgé, entre nous, des liens si solides qui nous ont procuré tant de satisfactions et ont su résister aux épreuves enfantées tout normalement par la complexité de la vie.

J’ai pu mesurer et apprécier la grandeur de l’homme qu’il était par les valeurs qui le portaient. C’était un homme du peuple pétri aux sources diverses de son pays, de sa Béjaia ancestrale qui l’a vu naître et à laquelle il est resté si attaché, au quartier de Hussein Dey de son enfance, sous l’oppression coloniale, où il s’est ancré dans ces couches populaires qui ont puissamment irrigué le mouvement national.

C’était un ouvrier, ajusteur tourneur, qui a subi les affres de l’exploitation capitaliste et de surcroit colonialiste. Il s’est frotté au mouvement ouvrier et à ses syndicats si combattifs dont il est devenu un membre très actif.

C’était un moudjahid. Il a rejoint très tôt les rangs de l’OCFLN en 1955. Il a connu la prison de Barberousse où il a cotoyé tant de héros. Il a dû sortir clandestinement du territoire national avec l’aide de l’Organisation pour rejoindre les rangs de la fédération de France du FLN. Il a milité avec des noms prestigieux comme Omar Boudaoud, Ahmed Benattig, Moussa Kebaïli et d’autres dont les dirigeants de l’UGEMA.

Il était chargé entre autres de missions de liaisons des plus délicates en France et entre la France et d’autres pays voisins. C’était un homme féru de culture éclectique et assoiffé de savoir, ouvert sur l’universel et attaché à ses racines berbéro, arabo-islamiques.

C’était un modèle de patriote qui avait en permanence la nation algérienne et son pays au cœur et se souciait sans relâche et, non sans être parfois très peiné, de l’évolution de leur devenir depuis l’indépendance nationale. Il n’a eu de cesse d’agir, avec ses possibilités et ses moyens, pour que l’Algérie se développe, par le
travail des mains et des cerveaux de tous ses enfants et s’élève au niveau d’un pays moderne, influent, producteur de biens, de culture et de savoirs et ouvert sur le monde.

Il respirait la bonté. Son humilité , sa disponibilité et sa fidélité étaient aussi exemplaires Il avait de qui tenir. De son père, Ammi Saad d’abord, que j’ai eu le plaisir de connaître et d’admirer en juillet 1962. C’était un homme dont la rigueur, la modestie et la gentillesse m’éblouissaient. C’était l’un de ces milliers de bâtisseurs anonymes de l’après indépendance.
De Rachid, son frère, mon ami, ce brillant ingénieur, auprès duquel j’ai tant appris au début de mes débuts à l’université de Dresde en 1959. Il est devenu l’un de ses hauts cadres qui ont pris la relève des Français à l’EGA (Electricité et Gaz d’Algérie) pour en faire, dans les années soixante et soixante-dix la SONELGAZ qui a, entre autre, réussi pour notre pays, l’un des taux les plus élevés au monde d’électrification rurale(87%).

Hafid a été envoyé par la fédération de France du FLN dans l’ex RDA pour y faire des études supérieures vers les débuts des années soixante. C’est par son frère Rachid et surtout dans les réunions et les activités des sections de l’UGEMA en RDA que nous avons appris à nous connaître. Nos assemblées générales étaient de véritables écoles et sont devenues légendaires par le haut niveau de leur tenue et le concours de certains de nos ainés comme Hermouche Arezki, Hachemi Bounedjar, Lounissi Ali, Goudjil Ramdane, Remas Baghdad etc.. Nous y étudions et discutions démocratiquement les documents qui nous parvenaient des instances de la révolution ou du comité exécutif de l’UGEMA. Nous y organisions nos activités pour développer une solidarité active avec le combat historique de notre peuple en informant sur l’oppression qu’il subissait mais aussi sur l’histoire millénaire et riche de même la culture et les traditions de notre pays Hafid y prenait une part très active et ne rechignait devant aucune tâche.

C’est à Berlin, à l’Ecole Supérieure de planification, à Karshorst, que Hafid a fait de solides études et s’est retrouvé aux cotés d’autres étudiants algériens qui le devançaient de quelques années comme Kolli Ahmed , Mazri Hamid, Mébarki Madjid, Mouffok Houari et d’autres qui sont tous devenus de hauts cadres de l’Etat ou de l’Economie nationale. Mouffok est devenu en 1963 le premier président de l’UNEA(Union Nationale des Étudiants Algériens).

La section UGEMA de Berlin comptait aussi dans ses rangs l’un des premiers étudiants envoyé par la révolution en RDA, Hachemi Bounedjar. Il était inscrit en philosophie. Ã l’Université Humbolt où il a préparé un doctorat sur Avèroès (Ibn Rochd). Il est, lui aussi, resté un grand militant et est devenu un haut cadre de la Nation très apprécié.

C’est au sein de la section UGEMA de Berlin que Hafid a donné avec abnégation le meilleur de lui-même et a noué avec ces valeureux frères et camarades une amitié de toujours. L’amitié qui liait Hafid à Hachemi Bounedjar était toute particulière où la vivacité et le dévouement de l’un se nourrissaient et se trempaient dans la profondeur philosophique et intellectuelle de l’autre. Ils étaient inséparables.
C’est à Berlin, à Karlshorst, que Hafid a connu et aimé Doris qui devenu sa très chère épouse lui donnant deux superbes enfants, Themi et Karina et l’accompagnant avec courage, intelligence et bonheur dans certaines phases, souvent difficiles, de leur vie commune.

Deux autres personnalités ont marqué Hafid :
Mahmoud Latrèche, ce maçon d’Alger qui a vécu à Jaffa et Jérusalem du temps de l’occupation britannique et qui est devenu un monument du mouvement ouvriers international et un des fondateurs de plusieurs partis communistes arabes. Mahmoud avait trouvé refuge ne RDA et a écrit ses colossales mémoires à l’académie des sciences sociales.

Maachou Abdelkader dit Abdeljalil , ce compagnon de Hadj Ben Alla, de Boussouf Abdelhafid, de Ben Ahmed dit Commandant moussa, qui a été le représentant du FLN-ALN au Maroc et dont Hafid était le collaborateur chargé des questions économiques à l’antenne de Sonatrach à Munich. Hafid a développé avec Mahmoud et Abdeljalil une amitié faite de respect et d’appréciation mutuels.

On ne peut parler de Hafid sans relever le soutien constant qu’il a apporté à l’antenne de Berlin de l’Onamo et aux travailleurs algériens venus suivre une formation et travailler en RDA.
On ne peut aussi ne pas mentionner son concours multiforme et compétent au sein des services de notre Ambassade à Berlin pendant de longues années, comme travailleur vacataire.

Hafid, ta vie a été bien pleine. Tu as mérité de la Nation et de ta famille. Tu resteras un de ses exemples dont la vie sera contée, je l’espère de tout cœur, aux générations futures.

Repose en paix. Nous te garderons dans nos cœurs et dans nos raisons. Puisse ta famille trouver le nécessaire courage pour surmonter, un tant soit peu, cette incommensurable peine.

Adieu Hafid

le 26.07.2013

Mahi Ahmed