Témoignage sur Roger Perles, un militant communiste exemplaire du PCA et du PAGS

samedi 1er mai 2021
par  Alger republicain

Roger Perles est né dans une famille d’ouvriers très pauvres. Il était le benjamin d’une fratrie de 7 enfants. Seul le père subvenait aux besoins de la famille. La vie n’était pas facile, la mère était chargée d’élever tous ces garnements et surtout de les nourrir avec très peu d’argent. Ce n’était pas une sinécure, d’ailleurs elle achetait la nourriture toujours à crédit chez le boulanger et chez l’épicier.

Roger était un enfant sans histoire, un peu taciturne. Souvent il partait seul voir ses copains. C’était aussi le préféré, « le chouchou » du père, il était le premier garçon de la famille, mais il n’y avait pas de jalousie entre les enfants. C’était un grand sportif, il pratiquait le cross-country, il était même membre d’un grand club d’athlétisme, il a couru le championnat d’Alger et de d’Afrique du Nord. Il n’a jamais gagné de course mais il arrivait parmi les 15 premiers. Il a commencé à travailler très jeune pour aider la famille. Un salaire supplémentaire ça mettait du beurre dans les épinards.

Son histoire est peu banale, il entraîne toute la famille dans les méandres de la terrible guerre pour l’indépendance du pays.
Au départ, Roger ne prit le chemin d’aucun engagement politique. Dès l’âge adulte, il ne voulait pas travailler comme le père et devenir ouvrier « crève-la-faim » toute sa vie.

Il décide de faire carrière dans l’armée et il devance l’appel du service militaire. Il suit l’école militaire et il obtient même le grade de sergent. Le sort va en décider autrement. Etant grand sportif, il décide avec son capitaine de constituer une équipe de cross-country. Il obtiennent des résultats encourageants, l’équipe militaire devient championne d’Alger et d’Afrique du Nord. Ils se sont dit pourquoi ne pas participer à des courses civiles. Ils s’inscrivent sans le savoir au cross organisé par le journal « Liberté », l’organe central du Parti Communiste Algérien. Et pour leur malheur, ils gagnent la course et ont droit à la photo des vainqueurs à la Une du journal. Rentré à la caserne il a eu droit à la prison militaire, le reste de l’équipe sera mutée en Indochine. Sa carrière militaire prenait fin. Sorti de la prison militaire il sera muté dans un régiment disciplinaire où on mettait déjà à l’époque les communistes français. Evidemment à leur contact, il comprit beaucoup de choses et les idées communistes ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd.

Ce ne sont là que quelques exemples qui permettent de suivre le parcours politique exemplaire du militant communiste Roger Perles. La suite on va la connaître.

Libéré du service militaire, il trouve un boulot en tant qu’ajusteur dans une grande entreprise métallurgique. Il prend tout de suite sa carte de syndiqué et devient même responsable du syndicat. Il est à l’origine du déclenchement de la grande grève pour l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail. Il participe à la manifestation des travailleurs en grève. Les CRS interviennent brutalement à coup de crosse et de bâton. De nombreux blessés restent sur le carreau. Considéré comme le meneur, Roger est arrêté par la police. Il est licencié sur le champ sans indemnité.
Il trouve un autre boulot dans une câblerie électrique et fait la connaissance de Pierre Cots, militant du PCA. Ils deviendront amis et Roger, convaincu par Pierre, adhéra au PCA peu avant le déclenchement de l’insurrection armée en 1954. Mais le 13 septembre 1955 le PCA est interdit par les autorités coloniales. C’est donc dans la clandestinité qu’il va militer. Il est organisé dans le secteur de propagande du parti et en particulier dans le réseau « La Voix du Soldat »

Le 1er novembre 1954, le début de l’insurrection armée sonne le glas du colonialisme français. Ce fut un véritable tsunami politique qui déclenchera un affolement généralisé et un vent de panique inégalé. Dans ces trois départements que l’on a appelés un peu vite français, les ultras se déchaîneront contre les Arabes.

Les ratonnades et les assassinats vont se multiplient devant tout le monde, la police locale fermait les yeux. En France ce fut un tollé contre ces criminels, un tintamarre nauséabond d’insultes en tout genre contre les Algériens. Mais ce n’était pas nouveau, depuis le début de l’occupation en 1830, les tortures, les enfumades, les assassinats, les spoliations, etc., étaient fréquents.

La réaction des autorités françaises, prises de court, est terrible. Toute l’armada coloniale se coalise pour anéantir la rébellion. En janvier 1957, le général Massu obtint les pleins pouvoirs des autorités gouvernementales françaises. C’est le début de ce que toute la ploutocratie occidentale a appelé pompeusement « la bataille d’Alger ». Le général Massu et ses affidés, le colonel Jean-Pierre, Bigeard et le sinistre commandant Aussaresses lancent sur Alger le 6e régiment de parachutistes (les bérets verts et rouges), de véritables tueurs contre des populations sans défense. Près d’un million de soldats français sont engagés contre nos combattants. Le bilan fut terrible. Des milliers d’Algériens furent arrêtés, tous torturés atrocement ou morts sous la torture, 3 000 disparus. La ville d’Alger était devenue une ville martyre.

Cette sauvagerie ignoble ne s’est pas exercée seulement à Alger, mais elle a été une pratique quotidienne à travers tout le pays : des mechtas étaient incendiées et ses habitants grillés au napalm. C’était une pratique courante.

C’est dans ce climat délétère que les militants communistes du PCA vont poursuivre leurs activités. Les autorités coloniales avaient une peur bleue des communistes, elles crient au « péril de la bolchévisation » de l’Algérie. La chasse aux communistes, pourtant un tout petit nombre par rapport à celui des nationalistes, obsède l’armée de Massu. Près de 300 communistes d’origine européenne sont arrêtés et jetés en prison ou dans les camps de concentration en 1957. Peu d’entre eux échappent à la torture. Quelques uns sont torturés à mort. C’est le cas de Maurice Audin. Des milliers d’Algériens subissent le même sort.

L’arrestation de Roger, l’un des derniers du réseau « La Voix du Soldat », a été un peu rocambolesque et dramatique pour toute la famille. Roger habitait dans une grande villa à Bellevue, un quartier chic d’El Harrach. N’ayant plus de cache pour se planquer, tous les camarades ayant été arrêtés, il s’est réfugié à nouveau chez lui provisoirement, en attendant de trouver une autre planque. Un matin de très bonne heure, la chienne s’est mise à aboyer fortement, la mère réveillée en sursaut regarde par la fenêtre et aperçoit 3 policiers à la porte de la villa, elle comprend tout de suite qu’ils venaient arrêter Roger. Elle court dans sa chambre, le réveille. Il s’habille en vitesse, passe par la porte de derrière et prend la fuite par la route d’en bas. Pour cette fois c’était raté, ils ont constaté que le lit était encore chaud.

Roger est encore retourné à la maison. Une semaine plus tard, la chienne s’est mise à hurler de détresse. On entendait : « attachez votre chienne ou on l’abat ». Croyant avoir affaire à un fief de « fellagas », c’est une véritable armada qui encercle la maison avec half-track et mitrailleuse en batterie. Une centaine de bérets verts pénètrent dans la maison de tous les côtés, fouillant de partout, renversant les lits et les armoires, etc.

Fous de rage, malgré cette opération d’envergure, ils n’ont pas trouvé Roger qui s’était planqué dans une armoire. Ils s’en prennent à toute la famille, ils arrêtent les 2 frères manu militari. Le père et la mère sont conduits au commissariat, ils seront libérés le soir. Les deux frères sont conduits à la sinistre villa Sesini. Roger complètement effondré de voir toute sa famille prise en otage à sa place, se rend aux militaires. Conduit à la villa Sesini, il sera affreusement torturé et en gardera des lourdes séquelles toute sa vie. Les trois frères enfermés dans ce trou à rat pendant plus de 15 jours, vont quand même en sortir vivants, ce qui n’était pas évident, compte tenu de la notoriété mortifère de ce monstrueux lieu de démence. Mais le coté paradoxal de cette situation, la famille au lieu d’être complètement effondrée va au contraire affronter ces monstres qui ont osé souiller leur maison. Le père est licencié, les filles vont subvenir financièrement à la famille. Il se bat comme un lion sans se laisser effaroucher pour soutenir toute sa famille. Il écrit à tout le monde, même au président de la République française pour faire libérer ses 2 enfants arrêtés et suppliciés. De cet événement, la famille sortira plus soudée que jamais et prendra fait et cause pour l’indépendance du pays.

Les deux frères ne seront pas libérés, ils seront jetés au camp de Beni Messous, un camp tenu secret au milieu d’une immense caserne. C’est dans ce camp caché de toute part que vont échouer tous les torturés par l’armée de Massu. Prés de 3000 prisonniers dont une cinquantaine de femmes, tous torturés, étaient parqués dans des conditions d’hygiène épouvantables. Les détenus mal nourris, infectés de poux et de punaises, dormaient à même le sol. Chaque jour, arrivaient par camions entiers des centaines de nouveaux prisonniers torturés. Ce camp était dirigé par un directeur civil membre de la social-démocratie. Il restait impassible devant ce tableau putride. Il appliquait les directives de son acolyte de classe Robert Lacoste, responsable de cette fumisterie ignoble et membre du même parti. Alors qu’ils n’avaient rien à voir dans cette affaire ni de près ni de loin, les deux frères resteront plus de 4 mois enfermés dans ce camp pourri, sans pouvoir se changer ni même se laver au milieu des poux et des punaises. Ils ne seront pas libérés, mais ils seront jetés au camp de Lodi. Ils se retrouvent au milieu des communistes. Ils seront libérés parmi les derniers prisonniers, c’est-à-dire 3 années après leur arrestation.

Quant à Roger, il est jeté en prison et jugé par un tribunal militaire. Son procès servira de tribune politique aux militants communistes du PCA contre la guerre et l’occupation du pays. 21 mandats de dépôts sont prononcés par le tribunal militaire.

Ce sont des militants communistes anonymes membre du PCA qu’il faut citer pour ne pas les oublier :

Loup Elyette, 23 ans, Chaumat Madeleine 30 ans , Grégoire Colette 26 ans, Puigservert Marie 58 ans, Lacascade Claudine 25 ans, Porro Nelly 20 ans, Coscas Lucie 23 ans, Hannoun Lucien 43 ans, Ozanne Yves 26 ans, Perles Roger 28 ans, Pérez Claude 27 ans, Pérez André 27 ans, Gomiz Sylvere 21 ans, Ferrandis Jean 24 ans, Hernandez Henri 40 ans, Cots Pierre 25 ans, Gohen Gilbert 38 ans, Torrez Georges 31 ans, Sepselevicis Alfred 29 ans, Villar André 31 ans, Abdelli Mahamed 35 ans, Abdelli Régine 46 ans, Cardi Adrienne 43 ans, Mateu Marie 33 ans, Hanoun Moulin Jacqueline 26 ans, Cots Denise 25 ans, Gruesse Christiane 29 ans, tous ont été imculpés d’atteinte à la sureté extérieure de l’État.

Roger sera transféré à la sinistre prison de Berrouaghia où il passera 2 ans. Il sera interné au camp de Lodi avec ses 2 frères puis expulsé en France.

Roger est resté inébranlable dans ses idées communistes jusqu’à son dernier souffle.
Dès l’indépendance, il se mettra au service du pays, il participera aux journées de volontariat pour aider les comités de gestion à la remise en marche des engins agricoles laissés à l’abandon par la colonisation.

Roger, tes camarades ne t’oublieront pas, repose en paix .

Nous adressons nos condoléances les plus attristées à tes enfants et à toute la famille Perles.

Liès Sahoura