75 ème anniversaire de la victoire sur les nazis et des massacres colonialistes de Sétif

vendredi 8 mai 2020
par  Alger republicain

Le 8 mai 1945, il y a aujourd’hui 75 ans, fut une journée de réjouissance dans le monde après la victoire sur le régime nazi allemand. Ce fut en même temps le point de départ de l’un des plus grands carnages perpétrés par l’armée coloniale en Algérie. Dans les jours et les semaines qui suivirent, des dizaines de milliers d’Algériens périrent sous la mitraille et les bombardements pour avoir revendiqué l’indépendance de leur pays. La simple vue du drapeau algérien avait suffit à déclencher une hystérie sauvage chez les colons. Rien ne devait les arrêter pour maintenir intacts leurs privilèges. Les Cent seigneurs de la colonisation étaient résolus à faire couler des fleuves de sang, à faire croupir en prison des milliers de patriotes plutôt que de perdre un seul centime de profit que leur ordre leur assurait à l’ombre du Code de l’indigénat.

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Le nazisme responsable en 1939 du déclenchement de la 2 ème guerre mondiale, la plus sanglante et la plus dévastatrice que l’histoire ait jamais connue, le régime de terreur instauré en 1933 par Hitler, pour exaucer les aspirations de la bourgeoisie allemande, était écrasé. L’armée soviétique, entrée dans Berlin au prix du sacrifice de quelque 200 000 hommes et femmes avait selon les directives de Staline « poursuivi et anéanti le monstre jusque dans sa tanière ». Le drapeau rouge, frappé de la faucille et du marteau, surmonté de l’étoile, symbole de l’alliance entre les prolétaires et les masses populaires contre la bourgeoisie, était hissé début mai sur le toit du Reichtag.

Cette guerre dévastatrice fit plus de 50 millions de morts. Plus de la moitié d’entre eux étaient soviétiques. L’URSS concentra contre elle les trois quarts des effectifs et du potentiel de guerre de l’Allemagne fasciste, facilitant du même coup le débarquement américain du 6 juin 1944. Les nazis tentaient par les moyens les plus barbares de détruire le régime socialiste. En même temps ils cherchaient à contrôler les puits de pétrole du Caucase, les champs de blé et les richesses minières de l’URSS, de façon à asservir la population soviétique et asseoir la domination du Reich sur le monde pour les « 1000 ans » à venir. La folie des nazis n’aurait pas pu se déchaîner si les Etats capitalistes de l’Angleterre et de la France, aidés par les aristocraties réactionnaires de la Pologne, notamment, n’avaient pas fait la sourde oreille aux propositions de l’URSS de constituer une alliance anti-nazie. Ces puissances, dont les idéologues falsifient l’histoire aujourd’hui en assimilant communisme et nazisme, en imputant conjointement les responsabilités du déclenchement de cette guerre à l’Allemagne et à l’URSS, cherchaient à orienter les coups des nazis contre la patrie du socialisme. Un mauvais calcul car Hitler ne cachait pas son but de s’emparer de toute l’Europe. Mais les capitalistes préféraient en leur for intérieur l’asservissement politique sous le Reich plutôt que le maintien et le développement pacifique de l’URSS. C’est la tactique politique appliquée par l’URSS sous Staline et la résistance des peuples à l’occupation nazie qui imprimèrent un autre cours à la guerre.

L’acte de capitulation de l’armée allemande signé le 8 mai 1945 mit fin à une terrible guerre mondiale provoquée par les rivalités entre les puissances impérialistes, France Angleterre, Allemagne, Japon, USA, pour le contrôle des richesses de la planète et l’asservissement de la classe ouvrière et des peuples. La guerre était en effet marquée par deux caractéristiques contradictoires découlant de la nature de l’époque ouverte par la création du premier Etat des ouvriers et des paysans dans l’histoire de l’humanité.

Pour l’URSS et les peuples asservis par le nazisme, c’était à la fois une guerre libératrice et une guerre pour la sauvegarde du pouvoir des ouvriers et des paysans. Du côté impérialiste c’était une guerre pour la domination et le partage du monde. Pour l’impérialisme US dont le territoire fut épargné par les désastres de la guerre et dont la puissance économique s’était renforcée entre les deux guerres mondiales et durant cette même guerre, l’entrée en guerre contre le Japon et contre l’Allemagne était dictée par son objectif de suprématie absolue, favorisé par l’affaiblissement de la « vieille Europe » consécutif à son envahissement par les troupes allemandes.

La bourgeoisie française avait pactisé avec le régime nazi en lequel elle voyait un modèle à suivre dans la mise au pas de la classe ouvrière. Elle y voyait l’opportunité de réaliser la grande alliance indispensable selon elle pour faire tomber l’URSS. Son mot d’ordre était : « Plutôt Hitler que le Front populaire ». Le régime de Pétain n’était pas une simple manifestation de l’apeurement et de la veulerie de privilégiés effrayés par la machine de guerre construite par les groupes monopolistes de la bourgeoisie allemande pour effacer l’humiliation du Traité de Versailles. C’était le choix fait par la bourgeoisie française pour que dans la collaboration avec Hitler elle puisse écraser les luttes et la résistance du prolétariat à sa soif de surprofits. Et pour aussi maintenir sa domination sur les colonies quitte à se préparer à renoncer à sa prépondérance, à se résigner à se contenter des miettes que l’Allemagne pouvait lui laisser une fois sa victoire espérée acquise.

La résistance gaulliste ne put voir le jour que parce que d’autres courants de la bourgeoisie étaient obligés de tenir compte de la force du PCF, de sa capacité à regrouper autour de lui l’ensemble du peuple français contre l’occupation allemande. Le « patriotisme » gaulliste était avant tout hanté par le spectre du basculement de la France dans le socialisme une fois le régime nazi balayé. Il fallait écarter cette perspective. De Gaulle qui était parti en Pologne en 1919 pour soutenir la réaction polonaise contre le pouvoir soviétique avait pu mesurer la force d’attraction du socialisme. Il était le dernier à sous-estimer ce qu’allait représenter l’URSS. Mû par un profond antisoviétisme de classe, il était cependant bien placé pour n’accorder aucun crédit à la propagande sur le thème de la collusion entre l’Allemagne et l’URSS attisé par le prétexte du Pacte de non—agression signé en septembre 1939 par ces deux pays pour des raisons tactiques diamétralement opposées. Il pressentait que l’existence de l’URSS allait contrarier les objectifs des nazis. Dans un contexte de guerre qui pouvait devenir favorable au socialisme, il ne pouvait accepter de laisser la conduite de la résistance entre les seules mains des communistes français malgré la campagne hystérique de dénigrement dont ils faisaient l’objet et les persécutions qu’ils subissaient à la suite de la signature de ce pacte.

Les ressorts profonds qui animaient De Gaulle étaient la préservation de la domination de la bourgeoisie en France, la restauration de son pouvoir politique et la sauvegarde de ses intérêts dans le monde, intérêts incarnés notamment dans l’empire colonial qu’il fallait maintenir coûte que coûte.

L’empire colonial ne représentait pas seulement une source de surprofits pour l’impérialisme français. En termes de territoires répartis dans les quatre coins de la planète, il devait servir de socle solide dans la rude rivalité qui s’annonçait avec les USA. Les politiciens de l’impérialisme US prodiguaient des promesses pour attirer à eux les mouvements anticolonialistes dans les pays tenus par leurs concurrents anglais ou français. Les gaullistes s’en inquiétaient bien que leur priorité fût de tirer partie de l’aide US pour monter l’armée appelée à participer au débarquement en France.

Des franges importantes du nationalisme algérien misaient sur l’appui des USA pour se débarrasser à peu de frais du colonialisme français. Comme d’autres avaient attendu la libération de l’Algérie d’une victoire hypothétique de Hitler sur la France, au nom de l’adage : « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » avant de se rendre compte de leurs bévues. Fort heureusement, Messali s’était vigoureusement opposé à cette tendance.
L’enrôlement, contre leur volonté, de dizaines de milliers d’Algériens dans la campagne de la libération de la France, devait contribuer à familiariser beaucoup de patriotes au maniement des armes. Il les avait imprégnés de l’esprit d’organisation requis pour mener une guerre implacable contre le colonialisme. Leur détermination n’en fut que plus renforcée devant le spectacle des massacres du 8 mai à leur retour au pays.

Les USA mirent rapidement en sourdine leurs discours sur la libre disposition des peuples. Ils se rendirent compte que le rapport des forces n’évoluait pas comme ils le souhaitaient. Après les grandes batailles de Stalingrad et de Kourk, la priorité n’était pas de contrer la France en Algérie mais de contenir l’URSS. Les débâcles de l’armée allemande en URSS, la marche inévitable de l’Armée rouge vers Berlin en libérant les peuples de leur cruel asservissement, imposaient de rallier derrière eux toutes les nations impérialistes à ce qu’ils considéraient comme un péril plus grand que le nazisme. Les nazis avaient instauré un ordre tyrannique mais ils ne remettaient pas en cause le capitalisme. Ils en étaient au contraire les défenseurs les plus acharnés. Ils avaient montré qu’en cas de grave crise du régime capitaliste et de situation quasi-insurrectionnelle de la classe ouvrière, ils n’hésitaient pas à exterminer physiquement les dirigeants prolétariens. Ils ne reculaient pas devant la suppression de la démocratie bourgeoise - sous laquelle se camoufle la dictature du Capital- dans la mesure où, par ses palabres et les divergences qu’elle entretenait entre différentes fractions de la bourgeoisie, elle entravait la course effrénée des grands monopoles capitalistes vers la conquête des territoires. Avec ceux d’entre les nazis qui acceptaient désormais de tourner leurs armes et leurs bases de données contre l’URSS, les USA pouvaient s’entendre.

De tout cela il résulta que la France gaulliste sentit qu’elle avait les mains libres pour mater toute manifestation même pacifique du mouvement national dont le développement étaient en train de connaître des sauts qualitatifs que le 8 mai 1945 allait révéler au grand jour.

A ce moment-là de l’histoire de l’impérialisme français, il n’était donc pas question pour de Gaulle, il ne pouvait être question de renoncer à cet empire, ni de le partager avec qui que ce soit, ni même courir le risque de tout perdre en faisant ne serait-ce que de menues concessions politiques aux forces patriotiques en lutte pour l’indépendance de leurs pays. A la trappe Le Manifeste de la bourgeoisie autochtone conciliatrice menée par Ferhat Abbas ! Le discours de Brazzaville n’était que promesses verbales devant faciliter l’enrôlement du maximum d’indigènes, mais aussi de colons - en passant l’éponge sur leur infamante compromission avec Pétain et les nazis - dans l’offensive pour la libération de la France.

En alignant le maximum d’hommes et d’équipements militaires mis à sa disposition par l’Angleterre et les USA, il lui fallait prendre de vitesse le PCF dont l’influence sur les forces de la résistance interne ne pouvait être méprisée. En reprenant le contrôle de l’Etat, la bourgeoisie dirigée par les gaullistes pouvaient à la fois contrer le PCF, discuter le verbe haut avec les Anglais et les Américains et même jouer des contradictions entre ses rivaux et l’URSS.

Les massacres du 8 mai 1945 ne peuvent être dissociés de ce contexte, des objectifs stratégiques de la bourgeoisie française affairée à rétablir sa puissance ébranlée par la défaite de juin 1940.

Pour les Algériens, la victoire des peuples sur le nazisme, le 8 mai 1945, fut naturellement estompée par les massacres de Sétif, Guelma, Kherrata, etc. Il fallait être porté par un grand esprit internationaliste pour en même temps célébrer cette victoire, avec tout ce qu’elle portait en elle comme facteurs futurs d’émancipation pour le peuple algérien et condamner la répression coloniale.

Le mouvement national devait parcourir plusieurs étapes avant de triompher en réalisant ses buts. Les défaites infligées par l’armée coloniale à la résistance des Algériens de puis 1830 n’avaient pas réussi à éteindre complètement la flamme de la lutte. L’éveil du mouvement national moderne stimulé par l’écho de l’appel de l’Internationale Communiste à soutenir la lutte des peuples opprimés a abouti à la formation du mouvement de l’Emir Khaled. Mais son point de départ le plus vigoureux fut la création de l’Etoile Nord Africaine
dans les années 1920 en France. Malgré la répression impitoyable, la cristallisation du PPA, du PCA, et d’autres mouvements, s’est opérée à la faveur de la victoire du Front populaire en 1936. Le mouvement national, bien que frappé d’interdictions sous les plus prétextes les plus divers, a acquis le caractère d’un mouvement de masse. Il a rapidement suscité la crainte chez les tenants de l’ordre colonial. Il fallait le briser. Les colonialistes avaient préparé des provocations. La célébration du 1 er mai 1945 fut réprimée dans le sang. 8 manifestants pacifiques furent tués.

Les appels à manifester le 8 mai furent lancés sans que furent surmontés les défauts d’organisation, essentiellement dus au cloisonnement imposé par la clandestinité et à l’emprisonnement des cadres. Ils furent mis à profit par les colonialistes pour donner libre cours à leurs manœuvres provocatrices bestiales . L’objectif était d’écraser dans un bain de sang le mouvement national. Les colonialistes croyaient après cela dormir d’un sommeil tranquille sur des montagnes de cadavres et continuer à pressurer la paysannerie, les masses populaires. Vain calcul : il n’était pas en leur pouvoir d’arrêter la marche de l’histoire. Sous la cendre de 9 années de « paix » couvait le feu de la grande insurrection.

Ces journées enfantèrent l’esprit national conforme à la marche historique des peuples. Elles constituèrent le prélude au 1er novembre 1954.

Le peuple algérien n’affrontait pas seulement un ordre colonial honni. En fait il était opprimé par les « Cent seigneurs » mais aussi par la bourgeoisie française. Naguère classe progressiste dans son combat contre la féodalité et l’Eglise, porteuse de la Déclaration des Droits de l’Homme, elle est devenue à partir du 19 ème siècle une classe réactionnaire.

Dans un régime fondée sur la propriété privée des moyens de production, même si elle se distingua par sa participation à la lutte anticolonialiste, la bourgeoisie est condamnée à devenir une classe réactionnaire. Comme on le voit dans toutes les nations qui se sont constituées en s’affranchissant de la domination coloniale.

La bourgeoisie algérienne ne constitue pas une exception dans cette marche générale de l’histoire.

Zoheir BESSA